C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

26 octobre 2014

Anduze au Moyen-âge - II

Premières lueurs sur les seigneurs d’Anduze

Le premier connu avec ce titre est Aldebralde. Il était propriétaire entre autres d’un domaine, villa ou village, appelé Berthomates, situé en contrebas du bourg et du château d’Anduze. Il l’avait cédé à Auscinde, abbesse d’un couvent de filles également voisin du château. Elle est aussi qualifiée de «seigneuresse» sans qu’on sache bien ce que cela veut dire... Or celle-ci fit don de cette villa à l’abbaye d’Aniane selon une charte de 810 trouvée dans le cartulaire de cette abbaye et qui donne tous ces détails, faisant ainsi connaître Aldebralde.
Le lieu de Berthomates n’a pas laissé le moindre souvenir sur le territoire d’Anduze et cela peut s’expliquer :
En effet, j’ai découvert dans les « Mémoires de l’Académie de Nîmes pour l’année 1886 », une étude traitant des «Brotteaux», quartier de Lyon anciennement inondable. Ce toponyme « paraît dériver du celtique brett, ou brot, bois, latte, jonc, servant à la fabrication des brettos ou hottes à l’usage des montagnards riverains de la vallée du Rhône ».
On trouve d’ailleurs des Breteaux et Brotteaux jusqu’au Sud de Mondragon, et puis près d’Alès, le village de St-Hilaire de Brethmas, « Bertomasis ou Bretomansus des anciennes chartes ».
On peut donc imaginer, sans trop se tromper, que le Berthomates du seigneur Aldebralde vivait de cet artisanat de vannerie de si grande utilité alors aux activités tant agricoles que ménagères.
Implanté sur les berges de la rivière qu’affectionnent aujourd’hui encore les roseaux (ne parlons pas des bambous...) et les amariniers, (cette variété de saules aux longues tiges d’osier, qui a donné au-delà de Mialet le quartier des « Abarines »), Berthomates, aussi village en bois, lattes et torchis, par une sombre journée, dut être emporté par une « gardonnade » un peu plus furieuse...

En ce même début du neuvième siècle Anduze avait un autre seigneur ou co-seigneur, sans doute plus riche et puissant qu’Aldebralde. C’était Dadila, « fils de Grégoire », « seigneur et duc de Septimanie », soit au sens latin de dux, un chef d’armée. Il avait dû se distinguer dans la lutte contre les sarrasins car il dit dans son testament de 813 avoir été favorisé par Charlemagne de terres et droits seigneuriaux, notamment dans les territoires de Nîmes, d’Uzès, de Maguelone, d’Anduze, de St-Jean de Gardonnenque, etc.
Etait-il de l’aristocratie Gallo-romaine, Franque ou Wisigothique ? On peut pencher pour cette dernière étant données les donations importantes qu’il fit, ainsi que sa veuve, en 815 au monastère de Psalmodi et en particulier à son abbé, le Goth Théodemir.

Après Aldebralde et Dadila, les textes sont à nouveau complètement muets sur Anduze pendant un bon siècle. C’est du moins ce qui apparaît en lisant les différents auteurs qui ont fait oeuvre historique sur le pays en exploitant essentiellement la monumentale «Histoire Générale du Languedoc» des moines Dom De Vic et Dom Vaissette au XVIIIème siècle et l’Histoire de Nîmes de Léon Ménard. Le premier est le Dr. Paulet de souche Anduzienne (1740-1826), suivi par le rigoureux Dr. Viguier qui, Montpelliérain, fait un peu le ménage dans les sympathiques libertés de son prédécesseur... (pour l'anecdote, un autre auteur, un certain M. F. de Lafarelle, envoie aussi une volée de bois vert au Dr. Paulet dans le cadre d'un article sur les seigneurs d'Anduze paru dans les Mémoires de l'Académie Royale du Gard de 1842 ! Phil Gaussent). Mais chez leurs émules aussi, jusqu’à nos jours, on constate qu’il faut attendre l’an 949, pour rencontrer Pierre Ier, le premier seigneur auquel on puisse accrocher la chronologie de ses successeurs avec certitude... ou presque.

Comme en ces temps-là c’est par leurs actes de donation aux religieux que sont connus ces seigneurs, on peut penser qu’ils sont tout à coup devenus parcimonieux, et ils ont quelques raisons :
D’abord, sûrement sollicités par Bernard de Septimanie, puis par ses fils dans leurs démêlés avec le pouvoir royal, ils l’ont été après 850 par Charles-le-Chauve au moins financièrement. Alors valait-il mieux ne pas se livrer à des générosités trop ostentatoires sous l’oeil du vicomte de Nîmes, ce fonctionnaire du roi. A la mort de celui-ci en 877, on est déjà dans l’ère de l’hégémonie Toulousaine et de ses comtes, Rouerguois d’origine, auxquels les seigneurs d’Anduze seront très liés soit par des liens de vassalité soit de famille.
C’est d’ailleurs au cours de cette époque obscure que ces derniers commencent à acquérir la puissance qu’on leur verra au siècle suivant.
Il faudra le hasard d’autres recherches même extérieures à la région pour que notre longue lacune se meuble de quelques noms. Ainsi, sans doute, Jean Germain, l’historien de Sauve a-t-il pu écrire qu’après Aldebralde « il y eut au moins Bernard Ier, puis Bernard II qui épousa Eustorge, fille de Raimond Ier, comte de Toulouse et vicomte de Narbonne, et de Ricarde de Rhodès».
L’existence du premier ne semble pas très certaine, du moins sous ce nom, aussi nous ne retiendrons que l’époux d’Eustorge et le numérotons Bernard Ier, ce qui s’accorde mieux avec la suite que nous allons voir. Il est dommage que Jean Germain n’ait pas indiqué ses sources dans son ouvrage. Néanmoins nous avons ainsi un élément que l’on peut situer à peu près, car on sait que Raimond Ier, qui est mort en 865, avait au moins une fille qui avait vu ses fiançailles rompues vers 860 avec Etienne, un comte d’Aquitaine ; un scandale d’état dans ces années-là. S’agissait-il d’Eustorge ?...

Ensuite une autre information plusieurs fois rencontrée, mais dont je ne connais pas encore le document original, fait état d’un seigneur d’Anduze, des années 900, nommé Foucault II. Il aurait même été investi du « comté » d’Aristum. Or Aristum, jadis siège d’un évêché créé en 534 par Théodebert, n’a jamais été un comté mais inclus dans ce qui sera plus tard la baronnie d’Hierle (Le Vigan). Celle-ci, peut être alors un fief des comtes de Rouergue, appartiendra en effet aux seigneurs d’Anduze-Sauve.
Il faut remarquer que si Foucault II était le fils de Bernard I et d’Eustorge, il était petit fils de Raimond I comte de Toulouse et de Rouergue et arrière-petit fils de Foucoald (Foucault Ier ?) comte de Rouergue…
On ne sait pas si Foucault II laissa une descendance après 915, mais il se trouve qu’un plaid s’est tenu dans le château d’Anduze le 18 Juillet 914, présidé par Frédelon, désigné comme vassal du Comte Raimond. Or treize ans plus tard en 927, toujours à Anduze, c’est un Frédelon qui préside un autre plaid qui se terminera par la prestation de serment des participants dans l’église Saint-Etienne.
Frédelon appelé « Commissaire du Comte Raimond » (Raimond III Pons, fils du précédent) n’est pas désigné dans la charte comme seigneur d’Anduze.

Et nous voilà arrivés à Pierre 1er cité comme chef de la maison d’Anduze en 949 quand son frère Bernard est devenu Evêque de Nîmes, siège qu’il va occuper pendant 42 ans ! Un cadet d’Anduze à la tête du diocèse témoigne bien de l’influence dont y jouit le seigneur.
Nous ne connaissons pas l’épouse de Pierre ni celles de ses prédécesseurs immédiats, mais selon la coutume elles leur ont sans doute apporté chacune quelque domaine ou seigneurie, dont l’importance cumulée va apparaître avec l’héritier Bernard II d’Anduze. (Bernard I ou II pour le Dr Paulet, III pour Jean Germain, I pour Lina Malbos). Mais Bernard est dit « fils d’Almérade ».
Cette expansion ne devenait-elle pas un peu inquiétante aux yeux du suzerain, le comte de Toulouse ?
En effet à ce moment la vicomté de Nîmes était tenue par une femme, la vicomtesse Gauciane. Quelque fils d’Anduze aurait très bien pu être candidat à sa main... avec la bénédiction du frère évêque. Or ce fut Bernard, fils du vicomte Aton d’Albi, qui l’épousa.
En eut-on du dépit à Anduze ? En tous cas, les relations entre les deux familles, sans conflit apparent toutefois, sont restées assez froides ou conventionnelles et pendant deux siècles on n’y décèle aucune alliance matrimoniale.

Mais n’aurions-nous pas tendance à faire du roman ?...

En se gardant de romancer l’Histoire qui nous échappe, il est permis d’émettre des hypothèses et tous les auteurs en font, plus ou moins raisonnables, avec les sources dont ils disposent (sauf le Dr. Viguier...).
Il en résulte fatalement des divergences, mais on trouve aussi des incompatibilités souvent aisées à mettre en évidence par un tableau chronologique un peu détaillé.
Or aucune des Histoires sur Anduze n’en comporte : c’est donc ce que j’ai essayé de bâtir en coordonnant ces divers ouvrages, et en avouant sans complexe que la version 2004, déjà un peu différente de celle de 1997, n’est peut-être pas la dernière !…

Pierre Gaussent - A suivre

16 octobre 2014

Anduze au Moyen-âge - I

Dans la nuit des temps…

Dès la plus haute antiquité le site d’Anduze s’est imposé aux hommes comme un lieu stratégique à occuper. De la « Grande faille des Cévennes » à l’ère tertiaire, il nous reste là une longue falaise rectiligne ; le Gardon en quelques millions d’années l’a tranchée en forme de cluse entre les hauteurs de Saint-Julien et de Peyremale, laissant apparaître les ondulations tourmentées des strates jurassiques.
Ce passage étroit le long de la rivière, parcouru depuis toujours par les troupeaux en transhumance, dut être la providence des chasseurs paléolithiques avant d’être le chemin obligé des marchands et à l’occasion des envahisseurs nordiques.
Ce n’est pas sans raison qu’on l’appelle la « Porte des Cévennes ».
Le vent aussi s’y engouffre quelquefois avec une telle force, qu’aux temps où les paysans venaient encore à pied au marché d’Anduze, on y avait installé pour qu’ils s’y cramponnent, une main courante en fer, ancrée dans les rochers bordant la route à l’endroit le plus étroit, le « Portail du Pas ». Au Sud c’est le pays sec des collines calcaires, des garrigues à chênes verts et puis de la vigne qui, elle, sait aller profondément chercher l’eau.

Au Nord de la falaise, on est presque de suite en terre acide qu’aiment les châtaigniers, les arbousiers, les grands pins et la bruyère, c’est déjà la montagne. De ce côté justement, il y a cinq ou six mille ans, quelques tribus vivaient alentour d’un peu de cultures déjà et d’élevage ; ce sont ces hommes qui ont érigé sur l’échine granitique de la « Grande Pallière » cette véritable nécropole de plusieurs dizaines de dolmens où, près du ciel, furent inhumés, sans doute, les chefs et leur famille au cours de mystérieuses cérémonies rituelles.
De ce côté toujours les terres d’argile rouge durent alimenter de bonne heure l’art des potiers, tandis que, nombreux dans les environs immédiats, les gîtes métallifères ont approvisionné le développement de « l’âge du cuivre », puis du bronze, puis du fer en attendant d’enrichir plus tard les seigneurs maîtres des mines de plomb-argentifère... sans oublier l’or du Gardon pour les nostalgiques de la pépite.

Vers le 4ème siècle av. J.C. les Volques Arécomiques arrivent, peuple Celte organisé qui n’eut probablement pas de peine à s’imposer entre la montagne et la mer à leurs prédécesseurs Ibériques. Aux dires du romain Pline et du grec Strabon du début de notre ère, les Volques ont fait d’Anduze l’une des vingt quatre cités dépendant de leur capitale Nîmes ; ce que semble confirmer l’inscription d’ANDUSIA en tête de onze d’entre elles sur la fameuse stèle déterrée à Nîmes en 1749 et dont les historiens n’ont pas fini de disserter sur les énigmes épigraphiques qu’elle porte.
Les Volques, menacés eux-mêmes par d’autres Celtes descendant de la montagne, éprouvèrent le besoin d’aller se mettre à l’abri sur un promontoire et ils ont donc fortifié en oppidum le sommet de St-Julien. On y voit encore les restes de dizaines d’habitats enchâssés dans les strates du versant ensoleillé et le sol est jonché de débris de tuiles rustiques en terre cuite.
Tandis que du haut de sa falaise, imprenable rempart, l’oppidum St-Julien surveillait le Nord, on en devine un autre dans les taillis de la crête de Paulhan, face au château de Tornac, verrouillant au Sud la petite plaine d’Anduze d’où s’échappe le Gardon.

Nos Volques devenus ensuite Gallo-romains, sans problème dit-on, descendirent des oppida. Absorbés par la civilisation latine de la « Province de Narbonnaise », ils n’ont pas été enrôlés par Vercingétorix et Anduze n’assista que de loin à la «Guerre des Gaules».
Dès lors, et durant la longue « Pax Romana », de beaux domaines se sont créés, propriétés de notables Nîmois ou de colons romains vétérans de la guerre d’Egypte. Leurs villas autour desquelles vont se grouper les habitations des nombreux serviteurs et artisans, seront à l’origine des villages aux noms terminés en « argues ». Ils sont surtout dans la plaine, mais on a près d’Anduze Générargues, et puis Massillargues voisin d’Atuech, vers le Gardon, qui a probablement une origine bien plus antique et celtique.
Nous nous souvenons de la controverse sur les séjours du célèbre Sidoine Apollinaire dans les environs vers 460 ; dommage qu’il n’ait jamais cité ANDUSIA, mais l’oppidum abandonné depuis longtemps n’était plus que le refuge des perdreaux et des lapins. La place forte Anduze n’avait plus aucune justification pour les Romains qui n’y ont pas laissé le moindre vestige autre que peut-être des adductions d’eau des sources.

Entre-temps l’Empire se lézarde, laissant passer les Vandales qui n’ont peut-être pas eu le temps de porter leurs saccages jusqu’en Cévennes. Puis les Wisigoths lancés à leur poursuite par l’Empereur avant qu’il finisse par les installer en Aquitaine en 418.
C’est en 471 que les conquêtes de leur roi Euric ont mis Anduze sous l’autorité Wisigothique et pour deux siècles et demi... au moins.
Pendant une quarantaine d’années, la vie dut s’y poursuivre comme avant, avec peut-être quelques têtes nouvelles dans les grands domaines mais ce n’est même pas certain car dans ce très vaste royaume de la Loire à Gibraltar, c’est par l’Espagne qu’ils sont attirés.
Ils vont y être rudement poussés après la victoire des Francs en 507 à Vouillé. Mais alors, la Septimanie et le Rouergue ayant résisté à l’invasion, Anduze devint presque ville frontière, la « Vallée Française » n’est pas loin, et la région dut recevoir un afflux de guerriers Wisigoths. Son rôle de place forte va prendre encore plus d’importance à partir de 535 quand Théodebert, petit fils de Clovis, aura mis la main sur le Rouergue, Lodève, le pays du Vigan et puis le Gévaudan, le Velay et l’Uzège.
La place tiendra encore le coup, comme Nîmes, lors de l’expédition Franque de 585.

Et puis pendant toute la durée du royaume de Tolède, loin de la capitale, les gouverneurs ou comtes en Septimanie deviennent des seigneurs très indépendants, ce qui justifiera les interventions des rois Reccarède en 588 et Wamba en 673.
Lorsque les cavaliers Arabes et Maures vont déferler en 719, cet esprit d’indépendance et l’habitude de leur autonomie va leur permettre de s’adapter aux circonstances, de composer peut-être avec le nouvel occupant qui, on le sait, les a laissés en place... moyennant tribut bien sûr. En tous cas, ils vont subsister et la victoire de Charles Martel à Poitiers en 732 n’ayant pas résolu le problème en Septimanie, ils seront tous là pour rechasser les Sarrasins jusqu’à Narbonne, derrière l’un des leurs, élu pour chef, le Comte Wisigoth Ansemond. Ils seront d’accord aussi pour se mettre sous la bannière de Pépin-le-Bref afin de libérer le pays jusqu’aux Pyrénées. Et encore ici ils sauront négocier le respect par le roi Franc de leur statut et de leurs propres lois romano-wisigothiques pour toute la Septimanie qui perdureront longtemps, comme leurs coutumes.
Ces seigneurs, jusqu’alors anonymes pour l’Histoire vont recevoir des commandements dans l’armée royale et on va connaître leurs noms ; à commencer par le Comte Théodoric qui, marié avec Aude, soeur de Pépin, aura une nombreuse descendance alliée avec presque toutes les grandes familles méridionales, surtout à partir du règne de Charlemagne.

Pierre Gaussent - A suivre