C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

8 mars 2020

Anduze et ses docteurs Miergue d’exception…

Dans le précédent billet je vous signalais que l’un des passages du procès-verbal de 1805 que je vous proposais avait attiré mon attention ; il s’agit de celui-ci : « (…) lui crièrent qu’il était pourri, qu’il avait la vérole, que mr. Miergue le guerrissait, qu’il était un coquin, un voleur (…) ». En effet, au milieu de ce déferlement d’injures apparait le nom de Miergue qui m’était complètement inconnu jusqu’à présent. Sa découverte et quelques premières recherches m’ont permis d’établir que ce patronyme, complètement oublié aujourd’hui, appartenait à l’une des familles qui marquèrent de leur empreinte intellectuelle l’histoire d’Anduze au dix neuvième siècle.
 
Ce « Mr. Miergue » de notre procès-verbal se prénommait Jacques et avait comme fonction celle de chirurgien. Né sous Louis XV il décéda en 1815 en ayant transmis à son fils Jacques François sa vocation de médecin et qui lui-même la transmettra à son fils Auguste ; une véritable dynastie de docteurs qui, peut-être, remontait encore plus haut !  Mais le plus intéressant est sans aucun doute l’esprit scientifique qui les a animés pendant toute leur vie. Ce fut notamment les cas de Jacques François et d'Auguste, avec des recherches communes dans plusieurs domaines qui leurs octroyèrent une certaine renommée dépassant largement les frontières locales et même une reconnaissance de l’Académie de Nîmes.
Ils éprouvèrent une véritable passion pour les sciences naturelles dont, entre autres, l’étude des plantes communes de la région. Le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris conserve d’ailleurs un « herbier du docteur Miergues* » d’une centaine de planches. Voici un article du Courrier du Gard du mois d’octobre 1841 donnant la recette d’un « vin de fraise » :

« Nous pensons que nos lecteurs aimeront à connaître l’emploi bien facile, dans l’économie domestique, d’une plante fort commune dans nos champs, dont nous fait part M. Miergue, d’Anduze.
« J’emploie depuis quelque temps, nous écrit-il, la graine de la Nielle de Damas (nigella damascène) renonculacée, à la confection d’un vin de fraise. Pour cela, il ne s ‘agit que de faire macérer une pincée de ces graines dans un peu de vin, qu’on doit décanter au bout de vingt-quatre heures, et ajouter à un litre de bon vin cuit, très doux, ce qui donne un excellent vin de dessert, ayant le parfum de la fraise ananas. L’eau distillée de nielle, sert à confectionner des crêpes, glaces, etc., à la fraise. »


Mais le point d’orgue de leurs travaux concerna le secteur de la sériciculture.
Il s’agissait de l’invention d’un nouveau procédé de production qui permettait non seulement des économies de fonctionnement mais surtout d’améliorer très sensiblement les conditions de travail particulièrement pénibles des fileuses. A l’époque, en 1841, la nouvelle défraya la chronique, de nombreux journaux
– jusqu’à la gazette de Bâton Rouge en Louisiane ! – relayant le même article suivant  :
 
« Une découverte importante pour l’industrie de la soie vient d’être faite par M. Miergues, médecin à Anduze. Il est parvenu à substituer l’eau froide à l’eau chaude dans le filage des cocons en mêlant à cette eau froide un dissolvant capable de s’emparer de la gomme qui est unie naturellement au cocon. Dans ce système, il y a économie de combustible et du matériel ordinaire. Une bassine contenant la liqueur dissolvante, dont l’inventeur fait encore un secret, permet de filer toute la journée. Le soir, le liquide n’est pas même altéré, il est seulement épaissi et troublé. Il peut servir encore après avoir été filtré. La soie présente plus de lustre et de force, et l’atelier est rendu plus salubre. »
 
Le Bulletin des Lois de 1842 enregistra ce soixante sixième article : MM. Miergue père et fils, médecins, demeurant à Anduze, département du Gard, auxquels il a été délivré, le 27 octobre dernier, le certificat de leur demande d’un brevet d’invention de dix ans, pour un procédé propre à filer les cocons à l’eau froide.
 
Mais, enregistré ou non, leur brevet n’eut pas le succès escompté parmi les filateurs : nous en retrouvons les raisons dans un article du « Courrier de la Drome » du 26 juin 1845 :
 
« Il y a quelques années, M. Miergues, docteur en médecine d’Anduze, avait annoncé qu’il venait de faire une découverte de ce genre. Comme nous n’entendons plus parler de ce procédé, et que nous ne le voyons employé nulle part, il faut en conclure que s’il a réussi dans des expériences de laboratoire, il n’est pas applicable industriellement. Une expérience de filature de cocons à chaud et à froid avait été faite en 1839 par MM. David-Teulon et Teissier-Ducros, pour connaître la différence du rendement des cocons filés à l’eau chaude et à l’eau froide. Il fut reconnu : 1° qu’on ne pourrait jamais parvenir à battre les cocons d’une manière convenable sans eau chaude ; 2° que les cocons battus, filés ensuite dans l’eau froide, donnaient 1/8 de soie en moins que les autres ; 3° que la soie filée à froid était plus décheteuse et plus cassante au dévidage. »
 
L'affaire du « filage à froid » ne fut qu’une péripétie dans leur vie de chercheur bien remplie. Nous retrouvons leurs traces quelques années plus tard dans certains comptes rendus de l’Académie de Nîmes où cette fois leurs interventions intéressèrent directement la médecine et le malade…
 
Cette histoire d'Anduziens atypiques vient renforcer le sentiment d’un dix neuvième siècle local particulièrement riche en personnalités hors normes de toutes sortes ayant contribué, chacune à leur façon, au rayonnement de la cité…
 
* Selon les documents, comme souvent, Miergue prend un s à la fin ou non, mais il n’y a aucun doute que ce soit la même famille !