Les Bernard et Bermond d’Anduze et Sauve
Bernard II d’Anduze épousa Ermangarde vers 990 et apparaît bientôt être également le maître de nombreux fiefs dont le pays d'Hierle, de Sauve, d'Alais, de Barre, de Portes, de Sommières cette vieille forteresse wisigothique. Lunel est sans doute déjà en relations étroites, sinon aussi un fief.
On le voit, des sommets cévenols jusqu’à la mer s’échelonnent les possessions du seigneur d’Anduze et en particulier tout au long de la vallée du Vidourle, ce qui lui assurait une voie indépendante et sûre pour ses échanges commerciaux même lointains.
En effet, le Vidourle se jetait alors dans l’étang de Mauguio, en communication avec la Méditerranée. Près de l’embouchure, sur l’étang, existait d’ailleurs un port et un bourg pas très loin de l’abbaye de Psalmodi et de Lunel. Il s’appelait justement « Portus » et était assez important puisque s’y est tenu en 887 un concile présidé par l’archevêque de Narbonne et un autre en 897. Portus, par la suite, dut être ensablé et emporté par les crues du Vidourle, ou supplanté par le port de Saint-Gilles. Aujourd’hui, il n’en subsiste aucun vestige sauf dans le nom de deux mas.
On peut penser que par cette vallée jalonnée de places fortes étaient véhiculés notamment les métaux extraits des mines cévenoles et surtout l’argent fourni aux ateliers de frappe monétaires du comté de Melgueil, laissant dans la transaction de confortables bénéfices au seigneur d’Anduze.
Le « sol Melgorien », apprécié des marchands orientaux, valait 8 « sols tournois » des ateliers de Tours par exemple. Mais le sol était devenu monnaie de compte pour les marchés, comme la livre qui valait 20 sols. Il n’y avait plus de sous d’or depuis 815 et le commerce ordinaire utilisait des pièces d’argent : le « denier » et « l’obole » ou demi-denier ; 1 sol correspondait à 12 deniers ; et pour fixer les idées le prix d’une vache tournait autour de 6 sols Melgoriens vers l’an 1000 ; il faut le préciser car on connaissait aussi l’inflation...
Il est curieux de constater comment se sont perpétuées ces appellations : certes le denier et l’obole ne signifient plus que des quantités négligeables, et la livre, restée unité de compte jusqu’à la révolution française, est devenue le « Franc » fractionné en centimes (on avait pourtant connu un franc d’or au XIVème siècle) ; mais encore à la veille de la guerre de 1939, on entendait les gens appeler couramment un « sou » la pièce de 5 centimes et bien sûr « 20 sous » celle de 1 franc, qui leur permettait de s’acheter non pas trois vaches mais... le journal !
Revenons donc un millénaire en arrière ; Bernard II d’Anduze et Ermangarde ont eu trois fils :
Almérade, associé par son père à la seigneurie d’Anduze.
Frédol qui, devenu évêque du Puy en 1016, sera remarqué pour son action bienfaitrice par le Pape Benoît VIII.
Géraud que nous avons vu succéder de 1019 à 1027 à Frotaire, à l’évêché de Nîmes.
Et peut-être y a-t-il eu un Bermond placé comme co-seigneur à Sommières ; on en voit un en 1029 et les Bermond et Pons-Bermond vont y apparaître en diverses occasions pendant plus de deux siècles.
Par contre on ne rencontrera jamais de fils d’Anduze à Lunel :
En fait on ne sait pas comment ni quand Anduze aurait pris pied à Lunel qui faisait partie du diocèse de Maguelone ; il est probable que cette baronnie, créée paraît-il en 888, a été à l’origine incluse dans les limites du comté de Melgueil ; mais peut-être aussi domaine privé d’une famille également wisigothique.
Selon Thomas Millerot (" Histoire de la ville de Lunel " vers 1880), Lunel appartenait au seigneur d’Anduze puisque Bernard II la « céda » vers l’an 1000 à la famille Gaucelm. On ne connaît pas la date exacte mais c’est à ce moment (1004 et 1007) qu’un Gaucelm seigneur de Lunel se manifeste dans divers actes.
En revanche, si à plusieurs reprises un Gaucelm de Lunel s’affiche vassal du seigneur d’Anduze et Sauve, cette « cession » ne nous est attestée que par un acte d’hommage au Sénéchal Royal de Beaucaire et Nîmes deux siècles et demi plus tard ! Il est dit dans cet acte daté de 1257 « [...] ego Raymondus Gaucelm dominus Lunelli recognosco [...] quod antecessores mei tenebant Lunellum a Bernardo de Anduzia, domino de Salve sub forma et conventionibus infra scriptis, videlicet quod dicti antecessores mei tenebantur facere hominium et fidelitatem jurare eidem Bernardo de Andusia et successoribus ejus pro baronia de Salve et [...] », ce qui signifie : « Moi Raimond Gaucelm, seigneur de Lunel, je reconnais [...] que mes prédécesseurs tenaient Lunel de Bernard d’Anduze, seigneur de Sauve sous la forme et les conventions ci-après, étant bien entendu que mes dits prédécesseurs devraient rendre hommage et jurer fidélité à Bernard d’Anduze lui-même et à ses successeurs au titre de la baronnie de Sauve...» ; et il était précisé qu’à sa demande et pour les périodes en usage, ils devaient les suivre à la guerre eux-mêmes, ou un des leurs, avec quatre chevaliers entretenus aux frais du dit seigneur d’Anduze ou de ses successeurs pour la baronnie de Sauve. Et en contrepartie ceux-ci s’engageaient à aider et secourir Gaucelm et les siens en cas de nécessité.
Il est également précisé que les terres de Lunel en question s’étendaient du Vidourle à la rivière du Bérange et de Saint Sériès jusqu’à la mer ; c’était un territoire assez considérable.
Les raisons de cette « cession » n’y sont pas dites, mais le texte laisse penser qu’il s’agit d’autre chose :
Lunel pouvait être un « alleu » propriété des Gaucelm, vieille famille de Septimanie. Ils l’auraient alors soumis à Bernard d’Anduze qui le leur aurait aussitôt rendu en fief pour « le tenir de lui » selon la coutume féodale. Ce véritable traité d’assistance mutuelle se concluait en général lorsque l’un des partenaires éprouvait la nécessité d’avoir la protection d’un plus puissant, et ici l’intérêt des deux convergeaient de façon évidente.
On remarquera d’abord que le seigneur de Lunel paraît engagé envers Bernard d’Anduze seulement vis-à-vis de sa baronnie de Sauve, « Bernardus de Andusia pro baronia de Salve », on y insiste à sept reprises dans l’acte... Mais peut-être ce détail a son explication dans le contexte de l’hommage au Sénéchal ?
L’autre observation porte sur l’engagement formel de Bernard relatif à l’intégrité des domaines et ressortissants des Gaucelm, de sa part comme de ses descendants. Il n’est pas irréel alors d’imaginer que cet acte formalisait une alliance dans le cadre d’une lutte d’influences autour de la monnaie de Melgueil, peut-être depuis l’implantation des nouveaux vicomtes héréditaires de Nîmes dont l’histoire montrera par la suite les grandes ambitions.
D’ailleurs le Comte de Melgueil venait justement de créer, en 985, la seigneurie de Montpellier au profit d’un de ses fidèles... Sage précaution ou simple coïncidence ?
En poursuivant dans cette dernière hypothèse, ce n’est plus une simple coïncidence si le très indépendant seigneur d’Anduze et de Sauve Bernard II décide peu de temps après, vers 1010, de garder son minerai et créer son propre atelier de frappe de monnaie.
On en connaît trois pièces marquées au nom des deux villes, dont un denier d’argent équivalent paraît-il à six ou sept deniers de Melgueil et qui était fort apprécié : le « Bernardin ».
Pierre Gaussent - A suivre
Bernard II d’Anduze épousa Ermangarde vers 990 et apparaît bientôt être également le maître de nombreux fiefs dont le pays d'Hierle, de Sauve, d'Alais, de Barre, de Portes, de Sommières cette vieille forteresse wisigothique. Lunel est sans doute déjà en relations étroites, sinon aussi un fief.
On le voit, des sommets cévenols jusqu’à la mer s’échelonnent les possessions du seigneur d’Anduze et en particulier tout au long de la vallée du Vidourle, ce qui lui assurait une voie indépendante et sûre pour ses échanges commerciaux même lointains.
En effet, le Vidourle se jetait alors dans l’étang de Mauguio, en communication avec la Méditerranée. Près de l’embouchure, sur l’étang, existait d’ailleurs un port et un bourg pas très loin de l’abbaye de Psalmodi et de Lunel. Il s’appelait justement « Portus » et était assez important puisque s’y est tenu en 887 un concile présidé par l’archevêque de Narbonne et un autre en 897. Portus, par la suite, dut être ensablé et emporté par les crues du Vidourle, ou supplanté par le port de Saint-Gilles. Aujourd’hui, il n’en subsiste aucun vestige sauf dans le nom de deux mas.
On peut penser que par cette vallée jalonnée de places fortes étaient véhiculés notamment les métaux extraits des mines cévenoles et surtout l’argent fourni aux ateliers de frappe monétaires du comté de Melgueil, laissant dans la transaction de confortables bénéfices au seigneur d’Anduze.
Le « sol Melgorien », apprécié des marchands orientaux, valait 8 « sols tournois » des ateliers de Tours par exemple. Mais le sol était devenu monnaie de compte pour les marchés, comme la livre qui valait 20 sols. Il n’y avait plus de sous d’or depuis 815 et le commerce ordinaire utilisait des pièces d’argent : le « denier » et « l’obole » ou demi-denier ; 1 sol correspondait à 12 deniers ; et pour fixer les idées le prix d’une vache tournait autour de 6 sols Melgoriens vers l’an 1000 ; il faut le préciser car on connaissait aussi l’inflation...
Il est curieux de constater comment se sont perpétuées ces appellations : certes le denier et l’obole ne signifient plus que des quantités négligeables, et la livre, restée unité de compte jusqu’à la révolution française, est devenue le « Franc » fractionné en centimes (on avait pourtant connu un franc d’or au XIVème siècle) ; mais encore à la veille de la guerre de 1939, on entendait les gens appeler couramment un « sou » la pièce de 5 centimes et bien sûr « 20 sous » celle de 1 franc, qui leur permettait de s’acheter non pas trois vaches mais... le journal !
Revenons donc un millénaire en arrière ; Bernard II d’Anduze et Ermangarde ont eu trois fils :
Almérade, associé par son père à la seigneurie d’Anduze.
Frédol qui, devenu évêque du Puy en 1016, sera remarqué pour son action bienfaitrice par le Pape Benoît VIII.
Géraud que nous avons vu succéder de 1019 à 1027 à Frotaire, à l’évêché de Nîmes.
Et peut-être y a-t-il eu un Bermond placé comme co-seigneur à Sommières ; on en voit un en 1029 et les Bermond et Pons-Bermond vont y apparaître en diverses occasions pendant plus de deux siècles.
Par contre on ne rencontrera jamais de fils d’Anduze à Lunel :
En fait on ne sait pas comment ni quand Anduze aurait pris pied à Lunel qui faisait partie du diocèse de Maguelone ; il est probable que cette baronnie, créée paraît-il en 888, a été à l’origine incluse dans les limites du comté de Melgueil ; mais peut-être aussi domaine privé d’une famille également wisigothique.
Selon Thomas Millerot (" Histoire de la ville de Lunel " vers 1880), Lunel appartenait au seigneur d’Anduze puisque Bernard II la « céda » vers l’an 1000 à la famille Gaucelm. On ne connaît pas la date exacte mais c’est à ce moment (1004 et 1007) qu’un Gaucelm seigneur de Lunel se manifeste dans divers actes.
En revanche, si à plusieurs reprises un Gaucelm de Lunel s’affiche vassal du seigneur d’Anduze et Sauve, cette « cession » ne nous est attestée que par un acte d’hommage au Sénéchal Royal de Beaucaire et Nîmes deux siècles et demi plus tard ! Il est dit dans cet acte daté de 1257 « [...] ego Raymondus Gaucelm dominus Lunelli recognosco [...] quod antecessores mei tenebant Lunellum a Bernardo de Anduzia, domino de Salve sub forma et conventionibus infra scriptis, videlicet quod dicti antecessores mei tenebantur facere hominium et fidelitatem jurare eidem Bernardo de Andusia et successoribus ejus pro baronia de Salve et [...] », ce qui signifie : « Moi Raimond Gaucelm, seigneur de Lunel, je reconnais [...] que mes prédécesseurs tenaient Lunel de Bernard d’Anduze, seigneur de Sauve sous la forme et les conventions ci-après, étant bien entendu que mes dits prédécesseurs devraient rendre hommage et jurer fidélité à Bernard d’Anduze lui-même et à ses successeurs au titre de la baronnie de Sauve...» ; et il était précisé qu’à sa demande et pour les périodes en usage, ils devaient les suivre à la guerre eux-mêmes, ou un des leurs, avec quatre chevaliers entretenus aux frais du dit seigneur d’Anduze ou de ses successeurs pour la baronnie de Sauve. Et en contrepartie ceux-ci s’engageaient à aider et secourir Gaucelm et les siens en cas de nécessité.
Il est également précisé que les terres de Lunel en question s’étendaient du Vidourle à la rivière du Bérange et de Saint Sériès jusqu’à la mer ; c’était un territoire assez considérable.
Les raisons de cette « cession » n’y sont pas dites, mais le texte laisse penser qu’il s’agit d’autre chose :
Lunel pouvait être un « alleu » propriété des Gaucelm, vieille famille de Septimanie. Ils l’auraient alors soumis à Bernard d’Anduze qui le leur aurait aussitôt rendu en fief pour « le tenir de lui » selon la coutume féodale. Ce véritable traité d’assistance mutuelle se concluait en général lorsque l’un des partenaires éprouvait la nécessité d’avoir la protection d’un plus puissant, et ici l’intérêt des deux convergeaient de façon évidente.
On remarquera d’abord que le seigneur de Lunel paraît engagé envers Bernard d’Anduze seulement vis-à-vis de sa baronnie de Sauve, « Bernardus de Andusia pro baronia de Salve », on y insiste à sept reprises dans l’acte... Mais peut-être ce détail a son explication dans le contexte de l’hommage au Sénéchal ?
L’autre observation porte sur l’engagement formel de Bernard relatif à l’intégrité des domaines et ressortissants des Gaucelm, de sa part comme de ses descendants. Il n’est pas irréel alors d’imaginer que cet acte formalisait une alliance dans le cadre d’une lutte d’influences autour de la monnaie de Melgueil, peut-être depuis l’implantation des nouveaux vicomtes héréditaires de Nîmes dont l’histoire montrera par la suite les grandes ambitions.
D’ailleurs le Comte de Melgueil venait justement de créer, en 985, la seigneurie de Montpellier au profit d’un de ses fidèles... Sage précaution ou simple coïncidence ?
En poursuivant dans cette dernière hypothèse, ce n’est plus une simple coïncidence si le très indépendant seigneur d’Anduze et de Sauve Bernard II décide peu de temps après, vers 1010, de garder son minerai et créer son propre atelier de frappe de monnaie.
On en connaît trois pièces marquées au nom des deux villes, dont un denier d’argent équivalent paraît-il à six ou sept deniers de Melgueil et qui était fort apprécié : le « Bernardin ».
Pierre Gaussent - A suivre
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