Un siècle et demi de domination bicéphale
Bernard II est mort en 1029, laissant à Almérade la seigneurie d’Anduze et tout ce qu’il gérait déjà ; tandis que Pierre Bermond, fils de Garsinde, reçoit Sauve, sans doute Hierle et la co-seigneurie de Sommières partagée avec Bermond de Sommières qui pourrait être un jeune frère ou beau-frère de Bernard II. On le voit apparaître pour la première fois à la fin de 1029 comme témoin à la fondation du monastère St Pierre de Sauve voulue par Garsinde conjointement avec Pierre Bermond et Almérade. Ce monastère est mis sous l’autorité de l’abbaye de Gelone (Saint Guilhem le Désert) dont les seigneurs d’Anduze avaient paraît-il depuis très longtemps le « patronat » ou l’« avouerie », comme de celle d’Aniane. A cette cérémonie, outre Garsinde et les fils de feu Bernard II, furent présents de nombreux seigneurs en tête desquels Guillaume, le comte de Toulouse, l’évêque de Nîmes, Frotaire II, et son père, Aton II, vicomte de Nîmes. Cette affluence distinguée montre la considération dont jouissait alors la Maison d’Anduze et Sauve.
Almérade eut de son épouse Enaurs deux fils, Pierre et Bernard. Ce dernier dût décéder assez jeune et Almérade fit de Pierre II son héritier par son testament de 1052.
De son côté Pierre-Bermond I de Sauve eut de son épouse Astorge deux fils, Pierre-Bermond et Bernard-Bermond, et une fille Bellesinde. Etant décédé en 1054 à Rome au cours d’un voyage qu’il y faisait avec son épouse, l’héritier de Sauve fut Pierre-Bermond II qui en continua la lignée avec son épouse Elisabeth. Sa soeur Bellesinde, mariée à un seigneur probablement cévenol, reçut des parts de domaines et on la retrouve en 1081 avec ses deux fils dans une donation de leur part dans l’église de Meyrueis. Le frère cadet, qui ne devait pas trop avoir la vocation pour devenir moine ou évêque, avait épousé Adélaïde de Mandagout, d’une vieille place wisigothique au Nord du Vigan. Ou alors pressentait-on pour lui un rôle plus utile à la famille... En effet Pierre II d’Anduze, qui n’avait pas de postérité, s’éteignit en 1077 et son cousin cadet de Sauve devint Bernard-Bermond, seigneur d’Anduze, Barre, Portes, Peyremale et en partie de Meyrueis (au diocèse de Mende). Il devait alors avoir la quarantaine.
Et après son grand-père, Bernard-Bermond reprend le titre de Marquis du Château d’Anduze : « Ego Bernardus Castri Andusianici Marchio...». Ce dont s’étaient abstenus semble-t-il ses prédécesseurs, l’oncle Almérade et le cousin Pierre II. Aussi est-il permis de voir chez Bernard-Bermond, attentif au prestige du titre, le souvenir de la comtesse Garsinde sa grand-mère.
D’ailleurs son frère aîné Pierre-Bermond II de Sauve, sans doute sous la même influence, avait aussi besoin d’un titre et, bien sûr, au moins aussi brillant que celui de son cadet, mais sans risquer l’offense à quelques susceptibilités très légitimes...
Alors il s’en est découvert un qui a vraiment dû laisser pantois ses contemporains et perplexes encore aujourd’hui nos historiens ! On le trouve la même année 1077 dans l’acte de donation de sa part de l’église de Meyrueis à l’abbaye de Gélone :
« Ego Petrus satrapa Salvensis » –- Moi Pierre satrape de Sauve... Etait-ce par esprit d’indépendance, de dérision ou de défi envers quelque voisin imbu des honneurs hérités de ses pères ? Petite rivalité entre frères ? Satrape désignait effectivement « le seigneur du pays » dans la Perse depuis cinq siècles avant notre ère ; c’était le gouverneur d’une province, la « satrapie ».
Jean Germain, dans son livre (" Sauve, antique et curieuse cité "), explique ce choix par le souvenir d’une occupation sarrasine de Sauve. Pourtant on peut douter qu’un Pierre-Bermond ait trouvé très glorifiant d’adopter le titre d’un de ces sarrasins tant combattus par ses propres ancêtres. Et puis, si les Arabes ont bien conquis et islamisé le royaume Persan entre 633 et 651, trois ou quatre générations avant leur arrivée en Septimanie, il semble qu’aucun de leurs chefs n'ait été nommé satrape...
En revanche, on était très imprégné de la Bible dans l’entourage si religieux du seigneur de Sauve. Or le peuple Juif éprouva l’administration des satrapes de l’empire Perse dès sa déportation. La tragédie passée, sinon oubliée, il s’en accommoda avec intelligence et certains firent même fortune à Babylone. Après le retour d’exil accordé par Cyrus, les Juifs ont pu vivre en paix en Palestine qui faisait partie d’une Satrapie jusqu’à l’arrivée des Grecs d’Alexandre le Grand.
Ces souvenirs étaient pieusement entretenus chez les Juifs réfugiés dans le Midi depuis l’époque romaine et puis sous les Wisigoths de Septimanie qui les ont protégés. Protégés ensuite sous Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve, ils étaient nombreux au tout début du Xème siècle à Nîmes où ils avaient une synagogue ; et surtout à Lunel qui sera le point de départ d’écoles célèbres.
Ne se privant pas de devenir les banquiers de tout le monde, on peut imaginer qu’ils avaient des relations très intéressées avec les seigneurs d’Anduze et de Sauve qui détenaient, avec leur monnaie, le nerf du commerce... Alors, n’ont-ils pas flatté le puissant Pierre Bermond de ce titre de satrape qu’ils connaissaient si bien ?…
On ne connaît que peu de choses des descendants de Pierre-Bermond II et de son épouse Elisabeth jusqu’à leur présumé arrière-petit-fils que nous retrouverons plus loin, mais si l’on en croit Jean Germain ils ont tous voulu rester « satrapes de Sauve »...
De leur côté Bernard-Bermond d’Anduze et Adélaïde de Mandagout semblent n’avoir eu qu’un fils héritier, Raimond Ier, jeune successeur de son père.
Raimond 1er épousa Ermengarde, veuve en 1074 de Guilhem III, seigneur de Montpellier. On notera que les veuves de riches seigneurs ne restaient pas longtemps sans époux... Mais ici Ermengarde avait déjà un fils pour continuer la lignée de Montpellier, Guilhem V, qui reprendra les rênes après son oncle Guilhem IV.
Il s’en suivra une longue période de très bonnes relations entre les deux familles. Raimond d’Anduze et Ermengarde ont eu au moins deux garçons, Bernard III futur seigneur d’Anduze et Pierre.
A partir de là, et sur un siècle environ, on constate que les généalogies déduites des divers auteurs pour les seigneurs d’Anduze et leurs familles sont très souvent en discordance. La désignation trop imprécise des personnages dans les actes originaux en est la cause initiale, mais non la seule. Même dans l’étude particulière de Lina Malbos (" Etude sur la famille féodale d'Anduze et Sauve du milieu du Xème siècle au milieu du XIIIème siècle ") qui apporte d’intéressantes sources, on remarque des déductions assez discutables. C’est pour cela qu’on ne trouve nulle part un tableau généalogique un peu détaillé ; pourtant il permet d’éviter bien des erreurs, au moins de chronologie… en attendant la découverte problématique d’un chartrier !
Pierre, cadet d’Anduze, devait approcher de la quinzaine d’années quand fut prêchée la Première Croisade et il dut sans doute accompagner son demi-frère Guilhem V en terre sainte avec le comte de Toulouse car on le voit entrer dans l’Ordre des Hospitaliers de Jérusalem en 1112, un établissement de cet ordre venant d’être fondé à Saint-Gilles.
Parmi les nombreux seigneurs du pays, également croisés, dont le cadet de Lunel, l’Histoire mentionne Raimond Pelet en 1099 qui se distingua en Palestine. Son nom laisse penser qu’il était issu de la famille d’Anduze, peut-être un fils de Raimond Ier qui lui aurait donné la co-seigneurie d’Alais et dont il sera le chef d’une longue lignée.
Pierre Gaussent - A suivre
Bernard II est mort en 1029, laissant à Almérade la seigneurie d’Anduze et tout ce qu’il gérait déjà ; tandis que Pierre Bermond, fils de Garsinde, reçoit Sauve, sans doute Hierle et la co-seigneurie de Sommières partagée avec Bermond de Sommières qui pourrait être un jeune frère ou beau-frère de Bernard II. On le voit apparaître pour la première fois à la fin de 1029 comme témoin à la fondation du monastère St Pierre de Sauve voulue par Garsinde conjointement avec Pierre Bermond et Almérade. Ce monastère est mis sous l’autorité de l’abbaye de Gelone (Saint Guilhem le Désert) dont les seigneurs d’Anduze avaient paraît-il depuis très longtemps le « patronat » ou l’« avouerie », comme de celle d’Aniane. A cette cérémonie, outre Garsinde et les fils de feu Bernard II, furent présents de nombreux seigneurs en tête desquels Guillaume, le comte de Toulouse, l’évêque de Nîmes, Frotaire II, et son père, Aton II, vicomte de Nîmes. Cette affluence distinguée montre la considération dont jouissait alors la Maison d’Anduze et Sauve.
Almérade eut de son épouse Enaurs deux fils, Pierre et Bernard. Ce dernier dût décéder assez jeune et Almérade fit de Pierre II son héritier par son testament de 1052.
De son côté Pierre-Bermond I de Sauve eut de son épouse Astorge deux fils, Pierre-Bermond et Bernard-Bermond, et une fille Bellesinde. Etant décédé en 1054 à Rome au cours d’un voyage qu’il y faisait avec son épouse, l’héritier de Sauve fut Pierre-Bermond II qui en continua la lignée avec son épouse Elisabeth. Sa soeur Bellesinde, mariée à un seigneur probablement cévenol, reçut des parts de domaines et on la retrouve en 1081 avec ses deux fils dans une donation de leur part dans l’église de Meyrueis. Le frère cadet, qui ne devait pas trop avoir la vocation pour devenir moine ou évêque, avait épousé Adélaïde de Mandagout, d’une vieille place wisigothique au Nord du Vigan. Ou alors pressentait-on pour lui un rôle plus utile à la famille... En effet Pierre II d’Anduze, qui n’avait pas de postérité, s’éteignit en 1077 et son cousin cadet de Sauve devint Bernard-Bermond, seigneur d’Anduze, Barre, Portes, Peyremale et en partie de Meyrueis (au diocèse de Mende). Il devait alors avoir la quarantaine.
Et après son grand-père, Bernard-Bermond reprend le titre de Marquis du Château d’Anduze : « Ego Bernardus Castri Andusianici Marchio...». Ce dont s’étaient abstenus semble-t-il ses prédécesseurs, l’oncle Almérade et le cousin Pierre II. Aussi est-il permis de voir chez Bernard-Bermond, attentif au prestige du titre, le souvenir de la comtesse Garsinde sa grand-mère.
D’ailleurs son frère aîné Pierre-Bermond II de Sauve, sans doute sous la même influence, avait aussi besoin d’un titre et, bien sûr, au moins aussi brillant que celui de son cadet, mais sans risquer l’offense à quelques susceptibilités très légitimes...
Alors il s’en est découvert un qui a vraiment dû laisser pantois ses contemporains et perplexes encore aujourd’hui nos historiens ! On le trouve la même année 1077 dans l’acte de donation de sa part de l’église de Meyrueis à l’abbaye de Gélone :
« Ego Petrus satrapa Salvensis » –- Moi Pierre satrape de Sauve... Etait-ce par esprit d’indépendance, de dérision ou de défi envers quelque voisin imbu des honneurs hérités de ses pères ? Petite rivalité entre frères ? Satrape désignait effectivement « le seigneur du pays » dans la Perse depuis cinq siècles avant notre ère ; c’était le gouverneur d’une province, la « satrapie ».
Jean Germain, dans son livre (" Sauve, antique et curieuse cité "), explique ce choix par le souvenir d’une occupation sarrasine de Sauve. Pourtant on peut douter qu’un Pierre-Bermond ait trouvé très glorifiant d’adopter le titre d’un de ces sarrasins tant combattus par ses propres ancêtres. Et puis, si les Arabes ont bien conquis et islamisé le royaume Persan entre 633 et 651, trois ou quatre générations avant leur arrivée en Septimanie, il semble qu’aucun de leurs chefs n'ait été nommé satrape...
En revanche, on était très imprégné de la Bible dans l’entourage si religieux du seigneur de Sauve. Or le peuple Juif éprouva l’administration des satrapes de l’empire Perse dès sa déportation. La tragédie passée, sinon oubliée, il s’en accommoda avec intelligence et certains firent même fortune à Babylone. Après le retour d’exil accordé par Cyrus, les Juifs ont pu vivre en paix en Palestine qui faisait partie d’une Satrapie jusqu’à l’arrivée des Grecs d’Alexandre le Grand.
Ces souvenirs étaient pieusement entretenus chez les Juifs réfugiés dans le Midi depuis l’époque romaine et puis sous les Wisigoths de Septimanie qui les ont protégés. Protégés ensuite sous Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve, ils étaient nombreux au tout début du Xème siècle à Nîmes où ils avaient une synagogue ; et surtout à Lunel qui sera le point de départ d’écoles célèbres.
Ne se privant pas de devenir les banquiers de tout le monde, on peut imaginer qu’ils avaient des relations très intéressées avec les seigneurs d’Anduze et de Sauve qui détenaient, avec leur monnaie, le nerf du commerce... Alors, n’ont-ils pas flatté le puissant Pierre Bermond de ce titre de satrape qu’ils connaissaient si bien ?…
On ne connaît que peu de choses des descendants de Pierre-Bermond II et de son épouse Elisabeth jusqu’à leur présumé arrière-petit-fils que nous retrouverons plus loin, mais si l’on en croit Jean Germain ils ont tous voulu rester « satrapes de Sauve »...
De leur côté Bernard-Bermond d’Anduze et Adélaïde de Mandagout semblent n’avoir eu qu’un fils héritier, Raimond Ier, jeune successeur de son père.
Raimond 1er épousa Ermengarde, veuve en 1074 de Guilhem III, seigneur de Montpellier. On notera que les veuves de riches seigneurs ne restaient pas longtemps sans époux... Mais ici Ermengarde avait déjà un fils pour continuer la lignée de Montpellier, Guilhem V, qui reprendra les rênes après son oncle Guilhem IV.
Il s’en suivra une longue période de très bonnes relations entre les deux familles. Raimond d’Anduze et Ermengarde ont eu au moins deux garçons, Bernard III futur seigneur d’Anduze et Pierre.
A partir de là, et sur un siècle environ, on constate que les généalogies déduites des divers auteurs pour les seigneurs d’Anduze et leurs familles sont très souvent en discordance. La désignation trop imprécise des personnages dans les actes originaux en est la cause initiale, mais non la seule. Même dans l’étude particulière de Lina Malbos (" Etude sur la famille féodale d'Anduze et Sauve du milieu du Xème siècle au milieu du XIIIème siècle ") qui apporte d’intéressantes sources, on remarque des déductions assez discutables. C’est pour cela qu’on ne trouve nulle part un tableau généalogique un peu détaillé ; pourtant il permet d’éviter bien des erreurs, au moins de chronologie… en attendant la découverte problématique d’un chartrier !
Pierre, cadet d’Anduze, devait approcher de la quinzaine d’années quand fut prêchée la Première Croisade et il dut sans doute accompagner son demi-frère Guilhem V en terre sainte avec le comte de Toulouse car on le voit entrer dans l’Ordre des Hospitaliers de Jérusalem en 1112, un établissement de cet ordre venant d’être fondé à Saint-Gilles.
Parmi les nombreux seigneurs du pays, également croisés, dont le cadet de Lunel, l’Histoire mentionne Raimond Pelet en 1099 qui se distingua en Palestine. Son nom laisse penser qu’il était issu de la famille d’Anduze, peut-être un fils de Raimond Ier qui lui aurait donné la co-seigneurie d’Alais et dont il sera le chef d’une longue lignée.
Pierre Gaussent - A suivre
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