C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

21 janvier 2017

Rififi chez Jean Gautier, potier de terre d’Anduze…

« Ce jourd’hui », avec le document que je vous propose, nous entrons de façon inédite dans l’univers des potiers d’Anduze à travers la famille Gautier qui est sans conteste la plus emblématique de l’histoire locale de cette corporation puisqu’à l’origine même de la dynastie des Boisset et de l’entreprise actuelle « Les Enfants de Boisset »…
Comme dans l’avant dernier billet il s’agit d’une plainte déposée sous l’autorité de notre juge de paix de l’époque, Jean Coulomb aîné. Cette fois la date – le 7 mai 1806 – est compréhensible immédiatement car écrite selon notre calendrier grégorien au détriment du républicain (brumaire, nivôse, pluviôse, etc…), définitivement abandonné par l’Empire quelques mois plus tôt.

En dehors de la description savoureuse des déboires du plaignant, avec quelques fois des mots d’argot et des expressions populaires oubliés depuis longtemps, ce petit manuscrit officiel de plus de deux cents ans s’avère être aussi d’un grand intérêt pour notre histoire potière. En effet le plaignant, David Castanet, fut le premier d’une lignée de potiers reconnus ayant exercé tout au long du XIX ème siècle. Dans son magnifique livre « Le vase d’Anduze » Laurent Tavès nous apprend ainsi que le jeune homme est venu s’installer rue Fusterie en 1804 pour ouvrir son atelier. Ce qu’il ne nous dit pas et que vient confirmer sans ambiguïté notre document c’est qu’en attendant d’acquérir son indépendance, David Castanet est encore en 1806 au service de son voisin Jean Gautier et que celui-ci a été certainement son formateur… Une époque de transition car c’est ce même Jean Gautier qui forma aussi quelques années plus tôt le fils du cousin de sa femme, un certain Louis-Etienne Boisset…

Voici le texte de ce procès-verbal atypique, avec quelques remarques personnelles rajoutées entre parenthèses :
Est comparu David Castanet, journailler (journalier : ouvrier, manuel du pays) habitant de cette ville d’Anduze, lequel nous a requis de rédiger la plainte qu’elle vient nous rendre des faits ci-après détaillés, à quoi nous avons procédé d’après les déclarations du dit Castanet, qui a dit qu’il y a environ une heure la femme du sieur Louis Suisse est venue chez le sieur Jean Gautier, potier de terre de cette ville pour acheter un baquet. Le dit Gautier après lui avoir vendu le dit baquet lui a dit votre mari me doit deux jarres ; non a t’elle répondu, nous les avons payées à Castanet votre garçon qui est là ; alors le plaignant lui a dit non ma chère vous vous trompez, ce n’est pas à moi que vous les avez payées, parce que j’en aurais fait compte à mon bourgeois (mot d’argot d’autrefois désignant le patron, l’employeur). Elle a beaucoup fait du train (expression ancienne populaire exprimant l’emportement d’une femme) et a dit au plaignant que s’il soutenait de n’avoir point reçu le paiement des dites deux jarres il serait bien capable d’autres choses. Ce qui l’a décidé de se transporter chez le dit Louis qui du moment qu’il l’a vu il lui a dit ce n’est pas à toi que j’ai payé les jarres et lui a fait ses excuses. Mais le nommé Gervais aîné, boulanger de cette ville, ayant appris sans doute par quelque faux rapport que la femme du dit Louis, qui est sa sœur, avait été maltraitée par le comparaissant est couru chez le sieur Gautier, a trouvé Castanet, le pris au collet, l’a secoué fortement en lui disant c’est toi qui a battu ma sœur, et l’aurait maltraité si les personnes qui se trouvaient présentes ne lui avait empêché. Alors on l’a fait sortir de la maison, et s’en allant il l’a menacé qu’il le lui paierait. Sous lesquels faits le dit Castanet affirme vrais et sincères et désigne pour témoins Frédéric Dhombre journailler, Angélique Gautier (cousine de Etienne Boisset et épouse de Jean Gautier), Jean Gautier père, potier de terre, et le nommé Guillot domestique chez Mr d’Estienne aîné.

7 janvier 2017

L’énigme du vieux canon d’Anduze…

Dans la salle du Conseil de la mairie on peut admirer depuis quelques semaines le vieux canon d’Anduze ! Entreposé depuis des lustres dans un coin des ateliers municipaux, nous avions décidé il y a plusieurs mois, sur le conseil judicieux de notre agent mécanicien Eric Roux, lui-même amateur éclairé d’armes anciennes, de le restaurer pour stopper une dégradation devenue inquiétante, notamment les grandes roues de son affût en bois. Ce beau vestige militaire, unique sur la commune et restant encore fragile malgré le travail efficace de rénovation, ne peut malheureusement pas rester dehors à demeure sans risquer une nouvelle et rapide détérioration.
 
A ce jour nous ne savons rien de l’histoire de cette pièce d’artillerie, certes rudimentaire, mais capable à son époque de faire un dégât considérable avec l’envoi de boulets ou de mitraille à courte portée. Quand et comment la municipalité l’a-t-elle récupérée ? Mystère. En nettoyant le canon, une date à peine lisible sur un des tourillons (excroissances cylindriques de chaque côté qui permettent de le poser sur l’affût) fut mise à jour : 1841. D’autres traces illisibles sont présentes au même endroit. Cette découverte a été une bonne surprise car elle m’a permis de faire la relation avec un document retrouvé récemment qui nous apprend qu’en 1846 Anduze abritait une compagnie du premier bataillon du quinzième régiment d’infanterie légère…
Ce régiment trouve son origine à la fin du dix-septième siècle mais eut plusieurs intitulés au cours de sa longue existence. Le quinzième prit naissance en 1803 pour devenir le quatre-vingt dixième régiment d’infanterie de ligne à partir de 1855 jusqu’en 1998 où il fut dissous.
Mais faisons un peu d’histoire pour retrouver la trace du numéro quinze alors qu'au moins une de ses compagnies occupa nos casernes anduziennes. Suite à la conquête de l’Algérie par la France en 1830, l’émir Abd el-Kader fédéra plusieurs tributs pour s’opposer aux Français. En 1839 il réussit à obtenir l’appui du sultan du Maroc pour déclarer la guerre à la France. Celle-ci finira par l’emporter à la célèbre bataille décisive d’Isly, à la frontière algéro-marocaine, le 14 août 1844. Notre régiment d’infanterie légère y participa. On le retrouve plus tard dans la province d’Oran en avril 1846. Affaibli par la défaite des Marocains et après quelques années de résistance, Abd el-Kader finit par se rendre en 1847. Il est donc fort probable que notre ville, équipée de casernes et sans doute avec d’autres localités dans le sud, ait servi de base arrière à une partie de l’armée française engagée sur le terrain nord-africain durant cette période. Est-ce que notre petit canon de campagne était au service de ce régiment ? Si oui, a-t-il fait le voyage africain ? Des questions dont nous n’avons pas les réponses aujourd’hui, mais qui sait, peut-être demain…