C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

1 janvier 2015

Anduze au Moyen-âge - VII

L’apogée

Dès 1172 donc, il importait que Sauve soit reprise en mains au pied levé ; comme pour Anduze six ans plus tôt, Bertrand alias Bernard VI s’en chargea, aidé ensuite par son second fils Bernard VII dont l’aîné des garçons va, bien sûr, s’appeler Pierre-Bermond…
Cette nouvelle fusion sous une même autorité renforçait le poids de la Maison d’Anduze. Ses domaines, ceux des vassaux et les co-seigneuries, s’étendaient des hautes vallées cévenoles à Sommières et la mer, compte tenu de châteaux tels que Lecques, Montpezat, Saint-Bonnet… tenus en fiefs de l’évêché de Nîmes ; Bernard VII en fit hommage à l’évêque Aldebert le 13 mars 1175, avec respect mais aussi une fière assurance.
Les seigneurs d’Anduze, tout en restant fidèles aux comtes de Toulouse savaient se désolidariser d’actions estimées injustes ; on l’a vu à propos des empiètements sur l’abbaye de Saint Gilles pour laquelle jadis le pape demanda leur intervention.
De même il semble que ni Bernard VI ni son fils Bernard VII ne se soient impliqués directement aux côtés de Raimond V dans sa guerre contre le vicomte de Nîmes Bernard Aton VI allié à Béziers, Montpellier, puis au comte de Provence et au roi d’Aragon, guerre qui ravagea la plaine de 1179 à 1185. Narbonne en était l’enjeu au début mais sa vicomtesse était toujours la cousine Ermengarde, épouse de Bernard-Bermond d’Anduze... Et puis il y avait trop de liens avec Montpellier bien qu’on ne partageât pas le penchant de plus en plus vif de Guilhem VIII pour l’Espagne.

Toutefois, contre Nîmes, l’un des plus efficaces alliés de Toulouse fut la Maison Gaucelm de Lunel... vassale d’Anduze. La politique a toujours des subtilités pour sauver les apparences ! En définitive, Ermengarde conserva sa vicomté et c’est Bernard-Aton VI qui en fit les frais, Nîmes lui étant confisquée par Raymond V. Celui-ci venait de conclure le traité de paix avec le roi d’Aragon en 1185.
D’une façon générale, ni Bernard VI ni Bernard VII ne sont connus pour quelque action guerrière que ce soit, le nombre de leurs vassaux leur devant chacun, en cas de besoin, plusieurs chevaliers en armes. Cela représentait une force non négligeable qui semble avoir dissuadé quiconque de leur disputer l’influence sur les territoires qu’ils contrôlaient.
Certes, ils étaient eux-mêmes des chevaliers que l’on voit figurés sur leur sceau en armure, à cheval et l’épée à la main, mais on les imagine mieux en hommes d’affaires usant de diplomatie dans les assemblées et administrant avec sagesse leurs domaines : en 1187 Bernard VI accorda des privilèges aux habitants d’Anduze et en 1200 son fils en fera autant à Alais conjointement avec son co-seigneur Raimond Pelet. Des restructurations se négocient également dans le cadre de la famille : le château de Fressac, par exemple, y était resté en indivis ; en 1189, Raimond de Roquefeuil céda sa part à son frère Bernard d’Anduze. Cette austère bâtisse sur son piton avait fait partie depuis l’origine du réseau de tours à signaux ; on l'aperçoit très bien du haut de Saint Julien d’Anduze.

Mais les seigneurs d’Anduze avaient aussi le temps des loisirs :
En effet, au revers même de leur sceau, ils ont voulu être représentés à cheval, sonnant de la trompe et suivis de leurs chiens, courant le gros gibier. Sans doute chassaient-ils le loup et peut-être l’ours, prédateurs des troupeaux ; toutefois dans les forêts de chênes bordant les plaines défrichées depuis trois siècles par les moines de Tornac, les sangliers devaient déjà pulluler ; ils venaient donc agrémenter leur ordinaire de glands en saccageant les cultures, et les chasser n’était alors pas un plaisir inutile... outre les cuissots rôtis et autres succulentes daubes qu’on imagine !
Au nord d’Anduze, ces mêmes sangliers se délectaient à décortiquer les « pelloux » tombés des châtaigniers dont ces mêmes bénédictins ont couvert les pentes des montagnes aménagées en « faïsses » avec leurs étonnants murets de grosses pierres de schistes ou granits. Bien sûr, ils n’ont pas fait cet énorme travail pour les sangliers... mais pour assurer une consistante nourriture à nos ancêtres cévenols, chargés d’en poursuivre l’œuvre.
Enfin, laissons les palefreniers s’affairer au pansage des chevaux rentrant de la chasse dans la basse cour du château. En ce XII ème siècle, mais probablement depuis les temps wisigothiques et au moins depuis le seigneur Aldebrade, on l’a vu, le château d’Anduze était érigé au point haut de la ville, au-dessus de son église Saint Etienne et contrôlant l’accès au rocher de Saint Julien. L’antique oppidum qui le couronnait, toujours ceinturé de murailles, restait encore prêt à reprendre du service ; à ses pieds l’habitation seigneuriale était une solide forteresse avec ses dépendances étagées sur des plates-formes taillées dans la roche. Au sommet de St Julien, des gardes se relayaient pour assurer le guet sur la vieille tour à signaux fortifiée, qui servait aussi de clocher à la chapelle dédiée au légionnaire romain jadis martyrisé en 304 à Brioude.

Les graves évènements que nous relaterons plus loin n’ont laissé que bien peu de vestiges de ce « Château vieux » pourtant jamais pris, ni de ses alentours. Au moins peut-on monter jusqu’à ces vieilles pierres éparses dans ce décor tellement évocateur de tout ce qu’elles pourraient nous raconter... ces quelques lignes par exemple :
Si les venteuses soirées d’hiver souvent réunissaient la famille devant l’ample cheminée de la grande salle du château aux tentures orientales, dès les beaux jours on gagnait par la cour haute, la poterne-nord débouchant de plain-pied sur les jardins.
Là, après quelques pas, une fois contourné l’éperon rocheux cachant à la vue le sévère donjon, murs crénelés et autres mâchicoulis, on se trouvait aussitôt dans un autre univers :
C’était, sur le versant Est de Saint Julien, un charmant désordre de terrasses bordées ou non de balustrades en poterie, ombragées de grands pins avec même quelques jeunes cèdres ramenés jadis du Liban par un vénérable croisé. De multiples petits escaliers fleuris faisaient passer d’une terrasse à l’autre, tandis que du haut en bas plusieurs bassins apportaient une fraîcheur très appréciée tout en assurant une réserve d’eau bien précieuse. Celle-ci s’écoulait en fine cascade de bassin en bassin depuis une source fraîche – aujourd’hui tarie – mais aussi une ingénieuse adaptation des pentes rocheuses par un réseau de caniveaux y collectait la moindre précipitation pluvieuse.
Un haut mur clôturant les jardins vers le bas soutenait une longue terrasse offrant une magnifique vue sur le « portail du pas », le Gardon tout au fond, et en face, le déferlement des mers antédiluviennes pétrifié dans la falaise de Peyremale.
Oui, Anduze avait là de véritables « jardins suspendus »... comme à Babylone ! ou presque... Mais alors, comment ne pas penser que depuis un bon siècle, au-dessus de Sauve, les cousins Pierre-Bermond avaient déjà aussi leurs « jardins suspendus » ? Et finalement, qu’ils se soient intitulés « satrapes de Sauve » ne nous paraît plus si étrange... Ils avaient de la culture et de l’esprit. Dans nos jardins d’Anduze donc, on le voit, tout incitait à la poésie et c’est là que les dames du château et leurs amies se plaisaient à venir entendre les troubadours de passage, chanter leurs romantiques épopées.

C’est là peut-être que Clara d’Anduze, la troubadouresse, trouva sa première inspiration... S’il ne nous reste presque rien de son œuvre, elle-même fut chantée par le troubadour Hugues de Saint-Circ. Tout porte à croire, selon Lina Malbos, qu’elle était Sybille, une des filles de Bernard VII d’Anduze, celle qui épousa vers 1200 le co-seigneur d’Alès Raimond Pelet déjà rencontré plus haut. On était vraiment « dans le vent » ici puisque la soeur de Sybille, Adélaïde qui épousa le seigneur de Mercœur, fut chantée, elle, par le célèbre troubadour Pons de Capdeuil. Ces charmantes récréations, la littérature galante qui les animait, manifestaient l’évolution vers un comportement des hommes plus raffiné, un nouvel art de vivre très méridional qui va malheureusement devoir affronter la brutalité arriérée des autres et leurs convoitises.

En attendant, de Bernard VII d’Anduze et son épouse Vierne – « Marquise » selon Lina Malbos – sont nés quatre garçons outre les deux filles dont nous venons de parler : l’aîné Pierre-Bermond VI, seigneur de Sauve mais que son père va beaucoup favoriser en s’appuyant sur lui pour ses autres domaines ; le cadet Bernard VIII d’Anduze qui n’aura pas le loisir de s’occuper de cette seigneurie du vivant de son père ni après, car il décèdera la même année que lui. Il jouit de la seigneurie de Portes, en partie Largentières, et des revenus de péages sur Alais ; il eut pour épouse Vierne, riche dame du Luc, de Joyeuse – près de Largentières  –  et de Génolhac.
Les deux derniers fils entrèrent dans les ordres, l’un, Bernard, moine à Mazan et l’autre, Bermond, deviendra évêque de Viviers en continuant à jouer un rôle important dans la famille.

Pierre Gaussent - A suivre

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