La tourmente et la foudre
Le seigneur d’Anduze et Sauve, qui vient de monter d’une marche dans le concert des grandes familles, va se trouver entraîné dans la grande politique. La croisade contre les Albigeois est passée depuis longtemps sans mal pour ses gens et ses terres ; plus au Sud pourtant, reprise en mains par les sénéchaux, se poursuit la traque contre les cathares qui, abandonnant leur non-violence, se livrent à la guérilla. Le Pape a envoyé vers eux des Dominicains mais leurs prêches ne suffisant pas, il les charge « d’enquêtes » et c’est le début vers 1234 de « l’Inquisition » de sinistre mémoire.
Le comte Raymond VII essaie bien d’en atténuer les effets mais il a d’autres préoccupations qui l’opposent au roi Louis IX. Il a toujours des visées sur la Provence auxquelles le roi met un coup d’arrêt en 1239. Celui-ci en effet a épousé en 1234 Marguerite, fille de Raimond-Béranger de Provence. Or il y a deux autres héritières et Raymond VII voudrait bien avoir enfin un fils qui remettrait en question le traité de 1229, quitte à répudier Sancie d’Aragon. Alors il complote avec le roi d’Aragon... neveu de Sancie.
1240 est l’année où Trencavel, fils de l’ex-vicomte de Béziers, a lancé son expédition arrêtée sous les murs de Carcassonne. Le comte de Toulouse en est resté prudemment à l’écart... mais Pierre-Bermond VII y aurait apporté son aide.
Enfin en 1241, Alphonse, frère de Louis IX et donc gendre de Raimond VII, est officiellement nommé comte de Poitou et d’Auvergne, ce qui ne plaît pas du tout aux grands seigneurs de l’Ouest et entre autres à Hugues de Lusignan, comte de la Marche, mais surtout à la comtesse ; celle-ci était justement Isabelle qui, à la mort de Jean-sans-Terre, avait épousé le comte Hugues, aboutissement d’un vieux roman d’amour : il avait été son premier fiancé...
Il se crée donc une puissante ligue où entrent le fils d’Isabelle, Henri III Plantagenet qui considère que ces terres lui sont usurpées, le roi d’Aragon circonvenu par le comte Raimond VII , qui lui-même entraîne avec lui ses vassaux Pierre Bermond VII et le seigneur de Lunel Raimond-Gaucelm V, entre autres. Harcelé par sa chère Isabelle mais conscient du faux pas, Hugues de Lusignan refuse toujours l’hommage à son nouveau suzerain Alphonse. Alors le roi lui-même envahit en avril 1242 les domaines du beau-frère de Pierre-Bermond VII. Celui-ci, on s’en souvient, avait fait serment en 1218 au comte de Toulouse de le servir envers et contre tous, excepté contre le roi de France à moins qu’il refusât de lui faire justice...
Sans doute estima-t-il que cette réserve concernait aussi la famille de son épouse et le déliait de son hommage-lige de 1226 au roi ? En fait, le roi lui tiendra sévèrement rigueur de son entrée dans la ligue.
En attendant, la ligue s’organise mais avec retard, dû semble-t-il au fait que Raimond VII est tombé gravement malade en Mars ; et ce n’est qu’en Avril, alors que Louis IX a lancé son offensive, que le comte charge son connétable Raimond-Gaucelm de Lunel de décider les vassaux à prendre les armes. En Mai, le roi Henri III débarqua ses troupes à Royan mais la jonction des ligueurs ne se fera pas et Louis IX va successivement battre le roi d’Angleterre en Juillet à Taillebourg sur la Charente, et puis à Saintes contraindre Hugues de Lusignan et Isabelle à se rendre et demander leur pardon.
Henri III, d’abord replié sur Bordeaux, se rembarque vers l’Angleterre non sans avoir encore signé une autre alliance avec Raimond VII… inutile car il va conclure une trêve de cinq ans avec le roi de France !
Le comte de Toulouse, comprenant qu’il n’a rien à en attendre et attaqué par ailleurs en Quercy par les troupes royales de Humbert de Beaujeu, en conclut qu’il n’a plus qu’à aller à nouveau rencontrer le roi. Et c’est en Janvier 1243 à Lorris en Gatinais qu’est signé un traité confirmant le précédent et où il s’engage à la soumission de ses vassaux.
Le saint roi Louis IX fut assez gentil avec Raimond VII, lui laissant Toulouse et quelques domaines, et il lui confiera même des missions diplomatiques. Mais cette fois c’est vraiment la fin de la domination quatre fois centenaire de la Maison de Toulouse sur le Midi.
A Lorris, le comte était accompagné de son fidèle connétable Raimond-Gaucelm qui fit aussi sa soumission et moyennant promesse de démanteler ses dernières fortifications, s’en tira très bien : il garda sa baronnie de Lunel. Mais Pierre-Bermond VII d’Anduze et Sauve n’est pas allé à Lorris, et n’a pas l’intention de répondre aux injonctions du pouvoir. Par fierté, pense Jean Germain, et c’est très vraisemblable : en remontant jusqu’aux temps wisigothiques, on n’a jamais vu un seigneur d’Anduze devoir s’humilier devant qui que ce fût... Cette maison a toujours été pour celle de Toulouse une alliée solide, y compris en affichant quelquefois son indépendance face à des écarts de conduite de ses comtes, et ceux-ci l’ont respectée. On peut se demander si Pierre-Bermond VII aurait épousé Josserande de Poitiers s’il avait encore bénéficié des conseils éclairés de feu son grand-père Bernard VII ; ou tout au moins ne se serait-il pas laissé entraîner dans cette aventureuse ligue dont les véritables raisons ne le concernaient pas.
L’emprise totale du pouvoir royal sur le Languedoc est maintenant irréversible et pour l’heure, Pierre-Bermond VII sait bien que ses prises de position ont accumulé de graves ressentiments à la cour où la reine-mère, surtout, entend régler ses comptes. Resté seul opposant, il est finalement contraint à se rendre après un « baroud d’honneur » contre une expédition militaire sur Sauve si l’on en croit Jean Germain.
C’est alors que le nouveau sénéchal de Beaucaire et Nîmes, Oudard de Villars, en Avril de cette année 1243, reçut une charte du roi Louis IX lui ordonnant « d’assigner six cents livres tournois de rente annuelle à Pierre Bermond, seigneur d’Anduze, sur le pays d’Hierle et sur le château de Roquedur, à condition que Bermond les tiendrait, ainsi que ses héritiers, en hommage lige ».
Le roi se réserve aussi d’en détruire les fortifications qu’il jugera utile et défend d’en faire de nouvelles sans autorisation. « Il fut, de plus, fait défense à Bermond d’entrer, lui et ses héritiers, sans son consentement, dans les châteaux et villes d’Alais, d’Anduze, de Sauve et de Sommières que le roi venait de lui confisquer et d’unir en partie au domaine royal »... ainsi que bien d’autres de ses possessions en Cévennes. Enfin le roi se réserve « sur les terres assignées quarante cinq marcs d’argent du poids d’Hierle, payable tous les ans »... La terre d’Hierle était, avec ses minerais, une des plus anciennes possessions des seigneurs d’Anduze.
A 40 ans, Pierre-Bermond, qui n’avait plus évidemment les bénéfices de ses ateliers monétaires, allait donc devoir réduire considérablement son train de vie et ses libéralités. Ayant d’abord accepté, il s’avisa de se plain-dre au roi de ce que les terres en question ne pouvaient produire 600 livres de rente ; mais il fut débouté de sa demande, le revenu réel étant apparu au moins dix pour cent plus élevé après enquête. La transposition de ce montant en monnaie actuelle n’aurait guère de signification, l’économie féodale de l’époque étant tellement différente. Néanmoins, cela constituait une confortable retraite sachant que le revenu d’un seigneur à l’aise était trois fois plus faible et d’ailleurs, quatre ans plus tard, c’est bien aussi une rente de 600 livres qui sera attribuée à Raimond Trencavel II dernier vicomte de Béziers et Carcassonne en échange de son désistement total de ses droits et titres, on l’a vu ; ce devait être le tarif... Tous les deux, en d’autres temps, auraient pu y laisser leur tête !
Louis IX tourne ainsi simplement la page ; l’avant-dernière de leurs sagas. Après avoir été tout à l’origine de ces déboires, une tragédie voit aussi en même temps se tourner une page : profitant de ces derniers conflits les Cathares, excédés par les abus des religieux inquisiteurs, se sont déchaînés jusqu’à en massacrer un groupe près de Castelnaudary. C’est ce qui décida le sénéchal de Carcassonne à forcer leur principale place forte, le château de Montségur, qui dût capituler le 3 Mars 1244 et où deux cents « parfaits » irréductibles dans leur foi furent brûlés vifs au pied de ce nid d’aigles sur le « Prat des Cremats ». Ce n’est pourtant qu’en 1255 que leur dernière place tombera, le château de Quéribus.
Pierre Gaussent - A suivre
Le seigneur d’Anduze et Sauve, qui vient de monter d’une marche dans le concert des grandes familles, va se trouver entraîné dans la grande politique. La croisade contre les Albigeois est passée depuis longtemps sans mal pour ses gens et ses terres ; plus au Sud pourtant, reprise en mains par les sénéchaux, se poursuit la traque contre les cathares qui, abandonnant leur non-violence, se livrent à la guérilla. Le Pape a envoyé vers eux des Dominicains mais leurs prêches ne suffisant pas, il les charge « d’enquêtes » et c’est le début vers 1234 de « l’Inquisition » de sinistre mémoire.
Le comte Raymond VII essaie bien d’en atténuer les effets mais il a d’autres préoccupations qui l’opposent au roi Louis IX. Il a toujours des visées sur la Provence auxquelles le roi met un coup d’arrêt en 1239. Celui-ci en effet a épousé en 1234 Marguerite, fille de Raimond-Béranger de Provence. Or il y a deux autres héritières et Raymond VII voudrait bien avoir enfin un fils qui remettrait en question le traité de 1229, quitte à répudier Sancie d’Aragon. Alors il complote avec le roi d’Aragon... neveu de Sancie.
1240 est l’année où Trencavel, fils de l’ex-vicomte de Béziers, a lancé son expédition arrêtée sous les murs de Carcassonne. Le comte de Toulouse en est resté prudemment à l’écart... mais Pierre-Bermond VII y aurait apporté son aide.
Enfin en 1241, Alphonse, frère de Louis IX et donc gendre de Raimond VII, est officiellement nommé comte de Poitou et d’Auvergne, ce qui ne plaît pas du tout aux grands seigneurs de l’Ouest et entre autres à Hugues de Lusignan, comte de la Marche, mais surtout à la comtesse ; celle-ci était justement Isabelle qui, à la mort de Jean-sans-Terre, avait épousé le comte Hugues, aboutissement d’un vieux roman d’amour : il avait été son premier fiancé...
Il se crée donc une puissante ligue où entrent le fils d’Isabelle, Henri III Plantagenet qui considère que ces terres lui sont usurpées, le roi d’Aragon circonvenu par le comte Raimond VII , qui lui-même entraîne avec lui ses vassaux Pierre Bermond VII et le seigneur de Lunel Raimond-Gaucelm V, entre autres. Harcelé par sa chère Isabelle mais conscient du faux pas, Hugues de Lusignan refuse toujours l’hommage à son nouveau suzerain Alphonse. Alors le roi lui-même envahit en avril 1242 les domaines du beau-frère de Pierre-Bermond VII. Celui-ci, on s’en souvient, avait fait serment en 1218 au comte de Toulouse de le servir envers et contre tous, excepté contre le roi de France à moins qu’il refusât de lui faire justice...
Sans doute estima-t-il que cette réserve concernait aussi la famille de son épouse et le déliait de son hommage-lige de 1226 au roi ? En fait, le roi lui tiendra sévèrement rigueur de son entrée dans la ligue.
En attendant, la ligue s’organise mais avec retard, dû semble-t-il au fait que Raimond VII est tombé gravement malade en Mars ; et ce n’est qu’en Avril, alors que Louis IX a lancé son offensive, que le comte charge son connétable Raimond-Gaucelm de Lunel de décider les vassaux à prendre les armes. En Mai, le roi Henri III débarqua ses troupes à Royan mais la jonction des ligueurs ne se fera pas et Louis IX va successivement battre le roi d’Angleterre en Juillet à Taillebourg sur la Charente, et puis à Saintes contraindre Hugues de Lusignan et Isabelle à se rendre et demander leur pardon.
Henri III, d’abord replié sur Bordeaux, se rembarque vers l’Angleterre non sans avoir encore signé une autre alliance avec Raimond VII… inutile car il va conclure une trêve de cinq ans avec le roi de France !
Le comte de Toulouse, comprenant qu’il n’a rien à en attendre et attaqué par ailleurs en Quercy par les troupes royales de Humbert de Beaujeu, en conclut qu’il n’a plus qu’à aller à nouveau rencontrer le roi. Et c’est en Janvier 1243 à Lorris en Gatinais qu’est signé un traité confirmant le précédent et où il s’engage à la soumission de ses vassaux.
Le saint roi Louis IX fut assez gentil avec Raimond VII, lui laissant Toulouse et quelques domaines, et il lui confiera même des missions diplomatiques. Mais cette fois c’est vraiment la fin de la domination quatre fois centenaire de la Maison de Toulouse sur le Midi.
A Lorris, le comte était accompagné de son fidèle connétable Raimond-Gaucelm qui fit aussi sa soumission et moyennant promesse de démanteler ses dernières fortifications, s’en tira très bien : il garda sa baronnie de Lunel. Mais Pierre-Bermond VII d’Anduze et Sauve n’est pas allé à Lorris, et n’a pas l’intention de répondre aux injonctions du pouvoir. Par fierté, pense Jean Germain, et c’est très vraisemblable : en remontant jusqu’aux temps wisigothiques, on n’a jamais vu un seigneur d’Anduze devoir s’humilier devant qui que ce fût... Cette maison a toujours été pour celle de Toulouse une alliée solide, y compris en affichant quelquefois son indépendance face à des écarts de conduite de ses comtes, et ceux-ci l’ont respectée. On peut se demander si Pierre-Bermond VII aurait épousé Josserande de Poitiers s’il avait encore bénéficié des conseils éclairés de feu son grand-père Bernard VII ; ou tout au moins ne se serait-il pas laissé entraîner dans cette aventureuse ligue dont les véritables raisons ne le concernaient pas.
L’emprise totale du pouvoir royal sur le Languedoc est maintenant irréversible et pour l’heure, Pierre-Bermond VII sait bien que ses prises de position ont accumulé de graves ressentiments à la cour où la reine-mère, surtout, entend régler ses comptes. Resté seul opposant, il est finalement contraint à se rendre après un « baroud d’honneur » contre une expédition militaire sur Sauve si l’on en croit Jean Germain.
C’est alors que le nouveau sénéchal de Beaucaire et Nîmes, Oudard de Villars, en Avril de cette année 1243, reçut une charte du roi Louis IX lui ordonnant « d’assigner six cents livres tournois de rente annuelle à Pierre Bermond, seigneur d’Anduze, sur le pays d’Hierle et sur le château de Roquedur, à condition que Bermond les tiendrait, ainsi que ses héritiers, en hommage lige ».
Le roi se réserve aussi d’en détruire les fortifications qu’il jugera utile et défend d’en faire de nouvelles sans autorisation. « Il fut, de plus, fait défense à Bermond d’entrer, lui et ses héritiers, sans son consentement, dans les châteaux et villes d’Alais, d’Anduze, de Sauve et de Sommières que le roi venait de lui confisquer et d’unir en partie au domaine royal »... ainsi que bien d’autres de ses possessions en Cévennes. Enfin le roi se réserve « sur les terres assignées quarante cinq marcs d’argent du poids d’Hierle, payable tous les ans »... La terre d’Hierle était, avec ses minerais, une des plus anciennes possessions des seigneurs d’Anduze.
A 40 ans, Pierre-Bermond, qui n’avait plus évidemment les bénéfices de ses ateliers monétaires, allait donc devoir réduire considérablement son train de vie et ses libéralités. Ayant d’abord accepté, il s’avisa de se plain-dre au roi de ce que les terres en question ne pouvaient produire 600 livres de rente ; mais il fut débouté de sa demande, le revenu réel étant apparu au moins dix pour cent plus élevé après enquête. La transposition de ce montant en monnaie actuelle n’aurait guère de signification, l’économie féodale de l’époque étant tellement différente. Néanmoins, cela constituait une confortable retraite sachant que le revenu d’un seigneur à l’aise était trois fois plus faible et d’ailleurs, quatre ans plus tard, c’est bien aussi une rente de 600 livres qui sera attribuée à Raimond Trencavel II dernier vicomte de Béziers et Carcassonne en échange de son désistement total de ses droits et titres, on l’a vu ; ce devait être le tarif... Tous les deux, en d’autres temps, auraient pu y laisser leur tête !
Louis IX tourne ainsi simplement la page ; l’avant-dernière de leurs sagas. Après avoir été tout à l’origine de ces déboires, une tragédie voit aussi en même temps se tourner une page : profitant de ces derniers conflits les Cathares, excédés par les abus des religieux inquisiteurs, se sont déchaînés jusqu’à en massacrer un groupe près de Castelnaudary. C’est ce qui décida le sénéchal de Carcassonne à forcer leur principale place forte, le château de Montségur, qui dût capituler le 3 Mars 1244 et où deux cents « parfaits » irréductibles dans leur foi furent brûlés vifs au pied de ce nid d’aigles sur le « Prat des Cremats ». Ce n’est pourtant qu’en 1255 que leur dernière place tombera, le château de Quéribus.
Pierre Gaussent - A suivre
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