Les « Communes d’Anduze » : le Tiers-Etat local (cf. en Angleterre, la « Chambre des Communes ».
• L’hommage au Roi figure dans presque tous les Cahiers locaux. On fait confiance au monarque pour promouvoir les réformes nécessaires.
• Les 44 articles du Cahier (c’est un nombre important) semblent directement inspirés par les écrits politiques de Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne. Par son style limpide et son contenu presque exhaustif, le Cahier d’Anduze est un des plus intéressants dans la Sénéchaussée.
Le Cahier d’Anduze n’évoque pas, cependant, le problème de la liberté religieuse (abordé seulement dans une vingtaine de Cahiers villageois). En fait, les protestants sont ici tellement majoritaires qu’ils bénéficient (pour l’essentiel) d’une liberté de fait. Il y a peut-être, aussi, la préoccupation de ne pas se couper des secteurs catholiques, afin de donner une force accrue au mouvement unitaire des idées réformatrices ; dans l’assurance que, si des réformes fondamentales sont réalisées par les Etats Généraux, une compète liberté religieuse deviendra aussi inévitable que l’égalité des Droits. D’autre part, un édit de 1787 a rendu aux protestants le droit à l’état civil (dont ils avaient été privés pendant un siècle) ; cette « tolérance » est le premier résultat de la persévérante action de Rabaut Saint-Etienne.
Le Cahier d’Anduze est d’un niveau politique élevé. Quinze articles évoquent l’organisation des Etats Généraux, les libertés et les réformes fondamentales. Huit autres articles traitent des impôts et des vœux d’équité fiscale. Notre ville manufacturière et marchande revendique (en huit articles) la liberté du commerce et du travail. La réforme fait l’objet de cinq articles.
A/ Etats Généraux, réformes fondamentales, libertés
Article premier : Remerciements au Roi pour le « doublement du Tiers » (qui obtient autant de députés que nobles et clercs réunis).
Art. 2 : pour donner son efficacité au doublement du Tiers Etat, une revendication est formulée partout : celle du vote par tête aux Etats Généraux (une voix par député), et non par ordres séparés (les ordres privilégiés disposeraient alors de deux voix, contre une seule au Tiers Etat).
Art. 3 : on redoute que la Noblesse et le Clergé ne s’opposent à ce mot d’ordre, dangereux pour leurs privilèges.
Art. 4 : la Côte du Rhône (proche du Dauphiné, qui vient d’obtenir une réforme de ses « Etats provinciaux ») et les secteurs protestants (Cévennes, Gardonnenque, Vaunage) se liguent contre la structure anachronique des « Etats du Languedoc » (assemblée provinciale, composée de membres non élus, avec faible représentation du « Tiers », et portée à de coûteuses dépenses de prestige). On réclame des « Etats » élus par les trois ordres de toute la province (campagnes comprises), avec la parité Tiers-Privilégiés, selon le modèle de la « Constitution du Dauphiné » (de novembre 1788).
Art. 5 : exigence d’une Constitution nationale écrite (souhait exprimé par de nombreux Cahiers).
Art. 6 : principe du vote des lois par la représentation nationale.
Art. 7 : à tous niveaux de représentation : parité tiers-privilégiés. Périodicité des Etats Généraux (qui n’ont pas été réunis depuis 175 ans !).
Art 8 et 9 : modalités d’exécution des lois.
Art. 10 : égalité de tous devant la Loi (fin des privilèges juridiques).
Art. 11, 12, et 14 : liberté individuelle.
Les « lettres de cachet » (royales), mais aussi les « veniat » (qu’il vienne) des gouverneurs et intendants provinciaux permettent des arrestations arbitraires (en dehors de toute garantie juridique).
Art 23. : supprimer censure et autorisation préalable, pour livres et gazettes.
Art. 41 : il existe encore des serfs sur les terres d’Eglise !
B/ La justice
Art. 13 : garanties d’une bonne justice. Collégialité des tribunaux.
Art. 19 : simplification de la justice et de ses procédures.
Art. 20 : au premier des trois degrés de juridiction, les justices seigneuriales (basse justice) sont unanimement critiquées.
Art. 21 : les justices d’exception (à compétences spécialisées) sont trop nombreuses ; leur multiplicité est à l’origine de nombreux conflits d’attributions, laborieux et onéreux. Chaque « ferme » (concession) d’impôts a sa propre justice, se trouvant à la fois juge et partie (au grand détriment des contribuables).
Art. 39 : l’Edit des Hypothèques (de 1771) n’offre que de très insuffisantes garanties aux créanciers, victimes de débiteurs de mauvaise foi. On réclame un peu partout son abolition.
C/ Les impôts
Art. 17 : souci de frapper les dépenses improductives.
Art. 29 : imposition de tous les « bien-fonds ». Les biens nobles et les biens d’Eglise ne sont pas soumis à la taille (le plus important des impôts locaux).
Art. 30 : consentement de l’impôt par la représentation nationale ; caractère temporaire de ce consentement.
Art. 31 : à tous les niveaux administratifs, répartition des impôts royaux par des Assemblées élues.
Art. 32 : représentation équitable des diverses catégories de contribuables.
Art. 33 : la richesse en argent est relativement peu imposée.
Art. 34 : on se plaint du caractère confus, arbitraire et changeant des droits de contrôle des actes notariés. Ces droits sont perçus par une « ferme » d’impôts qui rançonne une population en partie illettrée, obligée de recourir très souvent aux offices des notaires.
Art. 44 : vœu de simplification de la fiscalité royale.
D/ Liberté du travail et du commerce
Art. 15 : suppression des péages, qui renchérissent les produits agricoles et en gênent l’écoulement. Atténuation de la gabelle (le monopole du sel est trop coûteux pour les éleveurs).
Art. 25 : les maîtrises d’arts et métiers (acquises à titre onéreux) sont un obstacle à la liberté du travail.
Art. 26 : partout, la bourgeoisie revendique la liberté du travail et du commerce. Anduze (dont la viguerie royale s’étend depuis Lédignan jusqu’à Saint André de Valborgne) peut prétendre à un « tribunal de Commerce ».
Art. 27 : abolition de la réglementation « colbertiste » des manufactures, qui bloque les initiatives novatrices et freine la production.
Art. 28 : suppression des douanes intérieures.
Art. 37 : protestation contre les concessions minières, considérées comme attentatoires aux droits des propriétaires fonciers.
Art. 38 : l’impôt sur les cuirs ruine de nombreuses tanneries.
Art. 40 : les fabricants de drap ne peuvent exporter que par Marseille. Ce port commerce surtout avec le Levant méditerranéen : son monopole freine les exportations, en limitant les débouchés.
E/ Autres réformes
Art. 16 : la Milice (troupe provinciale) est recrutée par tirage au sort. Le jeune paysan retenu par le « sort » est éloigné de son village pour plusieurs années. Cette charge devrait incomber à tous : une contribution (qui frapperait aussi les privilégiés) permettrait de recruter des volontaires.
Art. 18 : en de nombreux endroits, le Tiers Etat veut s’assurer l’amitié du bas-clergé (auquel les gros « décimateurs » n’abandonnent qu’une faible partie du produit de la dîme). Ces « bénéficiers » de revenus ecclésiastiques accaparent l’essentiel de la dîme ; ils s’abstiennent presque complètement du service de l’Eglise, de l’aumône et même de la simple résidence sur les lieux. Cependant que beaucoup de prêtres desservants vivent dans la gêne.
Les paysans payent la dîme en nature. Son taux (variable d’un lieu à l’autre) et son application abusive à toutes les récoltes sont des objets de contestations multiples et de tracasserie sans fin. On préfèrerait le règlement collectif (en argent) d’une somme assurant aux curés des moyens d’existence convenables.
Art. 22 : dans l’armée, les grades d’officiers sont réservés aux nobles.
Art. 24 : contrairement aux règles habituelles du Droit, les redevances féodales sont imprescriptibles, ce qui ouvre la porte à de nombreux abus seigneuriaux.
Art. 35 : élément de base des futurs règlements des Assemblées élues.
Art. 36 : les officiers municipaux (consuls) sont nommés par les seigneurs, ou par le pouvoir royal ; certains consuls sont propriétaires de leur charge. On réclame l’élection des Consuls par l’Assemblée générale des habitants.
Art. 42 : défense des libertés municipales. Anduze, (qui a racheté les charges des Consuls) veut pouvoir choisir ses officiers municipaux.
Art. 42 : la bourgeoisie, créancière de l’Etat, demande partout la garantie de la Dette royale (dont l’importance a rendu inévitable la convocation des Etats Généraux).
Avec un lyrisme quelque peu visionnaire, le paragraphe terminal formule le vœu d’une union des trois ordres, dans la renonciation aux privilèges et le souci du bien public.
A suivre.
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