La Porte des Cévennes, quand le pont du chemin de fer n'existait pas encore… |
Voici donc un premier extrait du récit de l'anduzien Ernest Massot. Les renvois dans le texte ne sont pas d'origine : ils indiquent des précisions ou remarques personnelles que vous trouverez à la fin.
" Mon premier maître d'école se nommait Barafort. L'esprit de cet instituteur était nourri de patriotisme. Celui-ci me mit un jour sous les yeux une pièce démocratique que j'appris par cœur. Cet excellent homme m'apprenait aussi à joindre le geste à la parole, et si je débitais les vers sans faute, il me donnait des bons points.
Constamment, au foyer paternel, on causait politique. Mothier, qui habitait la rue Beauregard, se rendait tous les soirs à la maison de mon père (maison située à Anduze, en face de l'entrée principale de l'église de Saint-Etienne)(1). Mothier avait les cheveux blancs, le front ridé. L'octogénaire faisait la lecture du journal, qui avait pour titre : "La Réforme"(2). La feuille en question s'imprimait à Paris. A cette époque, la ligne du chemin de fer n'aboutissant pas directement à la capitale, les nouvelles nous arrivaient avec deux jours de retard. Le grand Musulh, comme rédacteur du journal, commençait à blâmer les royalistes, et encourageait la population parisienne à la révolte.
J'avais quinze ans lorsque un bruit infernal se fit entendre dans les rues de notre ville. Les artisans et les industriels, femmes et enfants, se rendirent à la place du Plan-de-Brie. Je me trouvais dans la foule ; Puech, chapelier âgé de vingt ans, juché sur les épaules du colosse Verdeille, maître maçon, lut à haute voix le télégramme que l'autorité locale venait de faire afficher sur les murs de la mairie.
Cette affiche contenait au plus dix lignes que voici :
Paris, le 24 février 1848.
Nous avons l'honneur d'informer le public que le roi est détrôné. Les insurgés ont fait brûler les voitures de Philippe. Les charpentiers et les forgerons ont élevé des barricades sur tous les points(3) de Paris. Les municipaux sont battus. Les conjurés ont installé Caussidière(4) à la Préfecture de Police. Barbès et Ledru-Rollin ont pris l'initiative de former un gouvernement provisoire. Les Maires des provinces sont autorisés dans leurs localités de proclamer la République.
L'affiche fut à peine lue qu'un cri général de : "Vive la République" s'échappe de toutes les poitrines. Dix coups de canon sont tirés sur les quais de notre ville. Les timorés commentaient entre eux la politique des conspirateurs. Les républicains les plus exaltés supplièrent monsieur le Maire et une douzaine de conseillers municipaux qui se trouvaient présents de faire battre du tambour, sonner du clairon et proclamer la République.
Verdeille (dit le dragon), prit le drapeau et le cortège se dirigea vers la rue Basse. Arrivé au Portail du Pas, le cortège s'engagea dans la rue Haute et arriva un instant après sur la place Saint-Etienne. A ce moment les tambours battaient et les clairons sonnaient. Devant l'église deux voitures stationnaient, l'une appartenant à monsieur de Narbonne Lara de Labahou, l'autre à monsieur Gilly de la Madeleine. Dans ces mêmes instants un cri de "Vive Henri V"(5) fit retentir la voûte de la cathédrale. La foule se rapprocha et répliqua "Vive la République" et "A bas Henri V".
Tous ces cris aigus épouvantèrent les chevaux qui se cabrèrent comme des biches. Pour éviter un accident, des citoyens courageux saisirent les chevaux par la bride, ils les dételèrent et les voitures furent renversées. Quelques coups de poings furent échangés et les soldats qui se trouvaient en garnison à Anduze intervinrent et rétablirent l'ordre.
Le cortège reprit sa marche ; arrivé à la place Couverte la foule fut plus nombreuse. Des fenêtres, des fleurs furent lancées sur le peuple. Le jour était à son déclin, les cabarets furent éclairés, les citoyens y prirent place et levèrent leurs verres en l'honneur du drapeau de la République et des progrès sociaux.
Le 1er mai de la même année, un grand arbre de la liberté fut planté en face de la mairie. Les habitants des campagnes se rendirent à Anduze pour célébrer la fête commémorative et la "Carmagnole" fut chantée et dansée autour de l'arbre. Les chapeliers allèrent banqueter au "Chapeau-Rouge" (au bout du quai). Les menuisiers, les serruriers et les maçons se rendirent à "L'Orange" chez la mère des compagnons (au chemin neuf)(6). Le restant des citoyens se rendit à l'auberge Michel (dans la rue Cornue)(7).
A partir de ce jour, les trois cabarets que nous venons de citer furent des clubs républicains. Le club du Chapeau-Rouge eut pour président Castanet ; le club Michel eut pour président Gascuel, instituteur ; et celui de l'Orange eut Loges. "
A suivre…
(1) Cette maison a sans doute disparu a l'occasion de l'ouverture du boulevard Jean Jaurès.
(2) Journal fondé en 1843 par Ledru-Rollin et défendant les idées républicaines et sociales.
(3) Certainement une faute de frappe : lire "les ponts".
(4) Nouveau préfet du peuple.
(5) C'était le comte de Chambord, depuis longtemps prétendant royaliste au trône de France sous ce nom.
(6) Notre avenue du pasteur Rollin.
(7) Inconnue aujourd'hui, sans doute une faute de frappe : l'actuelle rue Cornie.
" Mon premier maître d'école se nommait Barafort. L'esprit de cet instituteur était nourri de patriotisme. Celui-ci me mit un jour sous les yeux une pièce démocratique que j'appris par cœur. Cet excellent homme m'apprenait aussi à joindre le geste à la parole, et si je débitais les vers sans faute, il me donnait des bons points.
Constamment, au foyer paternel, on causait politique. Mothier, qui habitait la rue Beauregard, se rendait tous les soirs à la maison de mon père (maison située à Anduze, en face de l'entrée principale de l'église de Saint-Etienne)(1). Mothier avait les cheveux blancs, le front ridé. L'octogénaire faisait la lecture du journal, qui avait pour titre : "La Réforme"(2). La feuille en question s'imprimait à Paris. A cette époque, la ligne du chemin de fer n'aboutissant pas directement à la capitale, les nouvelles nous arrivaient avec deux jours de retard. Le grand Musulh, comme rédacteur du journal, commençait à blâmer les royalistes, et encourageait la population parisienne à la révolte.
J'avais quinze ans lorsque un bruit infernal se fit entendre dans les rues de notre ville. Les artisans et les industriels, femmes et enfants, se rendirent à la place du Plan-de-Brie. Je me trouvais dans la foule ; Puech, chapelier âgé de vingt ans, juché sur les épaules du colosse Verdeille, maître maçon, lut à haute voix le télégramme que l'autorité locale venait de faire afficher sur les murs de la mairie.
Cette affiche contenait au plus dix lignes que voici :
Paris, le 24 février 1848.
Nous avons l'honneur d'informer le public que le roi est détrôné. Les insurgés ont fait brûler les voitures de Philippe. Les charpentiers et les forgerons ont élevé des barricades sur tous les points(3) de Paris. Les municipaux sont battus. Les conjurés ont installé Caussidière(4) à la Préfecture de Police. Barbès et Ledru-Rollin ont pris l'initiative de former un gouvernement provisoire. Les Maires des provinces sont autorisés dans leurs localités de proclamer la République.
L'affiche fut à peine lue qu'un cri général de : "Vive la République" s'échappe de toutes les poitrines. Dix coups de canon sont tirés sur les quais de notre ville. Les timorés commentaient entre eux la politique des conspirateurs. Les républicains les plus exaltés supplièrent monsieur le Maire et une douzaine de conseillers municipaux qui se trouvaient présents de faire battre du tambour, sonner du clairon et proclamer la République.
Verdeille (dit le dragon), prit le drapeau et le cortège se dirigea vers la rue Basse. Arrivé au Portail du Pas, le cortège s'engagea dans la rue Haute et arriva un instant après sur la place Saint-Etienne. A ce moment les tambours battaient et les clairons sonnaient. Devant l'église deux voitures stationnaient, l'une appartenant à monsieur de Narbonne Lara de Labahou, l'autre à monsieur Gilly de la Madeleine. Dans ces mêmes instants un cri de "Vive Henri V"(5) fit retentir la voûte de la cathédrale. La foule se rapprocha et répliqua "Vive la République" et "A bas Henri V".
Tous ces cris aigus épouvantèrent les chevaux qui se cabrèrent comme des biches. Pour éviter un accident, des citoyens courageux saisirent les chevaux par la bride, ils les dételèrent et les voitures furent renversées. Quelques coups de poings furent échangés et les soldats qui se trouvaient en garnison à Anduze intervinrent et rétablirent l'ordre.
Le cortège reprit sa marche ; arrivé à la place Couverte la foule fut plus nombreuse. Des fenêtres, des fleurs furent lancées sur le peuple. Le jour était à son déclin, les cabarets furent éclairés, les citoyens y prirent place et levèrent leurs verres en l'honneur du drapeau de la République et des progrès sociaux.
Le 1er mai de la même année, un grand arbre de la liberté fut planté en face de la mairie. Les habitants des campagnes se rendirent à Anduze pour célébrer la fête commémorative et la "Carmagnole" fut chantée et dansée autour de l'arbre. Les chapeliers allèrent banqueter au "Chapeau-Rouge" (au bout du quai). Les menuisiers, les serruriers et les maçons se rendirent à "L'Orange" chez la mère des compagnons (au chemin neuf)(6). Le restant des citoyens se rendit à l'auberge Michel (dans la rue Cornue)(7).
A partir de ce jour, les trois cabarets que nous venons de citer furent des clubs républicains. Le club du Chapeau-Rouge eut pour président Castanet ; le club Michel eut pour président Gascuel, instituteur ; et celui de l'Orange eut Loges. "
A suivre…
(1) Cette maison a sans doute disparu a l'occasion de l'ouverture du boulevard Jean Jaurès.
(2) Journal fondé en 1843 par Ledru-Rollin et défendant les idées républicaines et sociales.
(3) Certainement une faute de frappe : lire "les ponts".
(4) Nouveau préfet du peuple.
(5) C'était le comte de Chambord, depuis longtemps prétendant royaliste au trône de France sous ce nom.
(6) Notre avenue du pasteur Rollin.
(7) Inconnue aujourd'hui, sans doute une faute de frappe : l'actuelle rue Cornie.
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