C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

4 mars 2015

Anduze au Moyen-âge - X

La tourmente et la foudre

Le seigneur d’Anduze et Sauve, qui vient de monter d’une marche dans le concert des grandes familles, va se trouver entraîné dans la grande politique. La croisade contre les Albigeois est passée depuis longtemps sans mal pour ses gens et ses terres ; plus au Sud pourtant, reprise en mains par les sénéchaux, se poursuit la traque contre les cathares qui, abandonnant leur non-violence, se livrent à la guérilla. Le Pape a envoyé vers eux des Dominicains mais leurs prêches ne suffisant pas, il les charge « d’enquêtes » et c’est le début vers 1234 de « l’Inquisition » de sinistre mémoire.
Le comte Raymond VII essaie bien d’en atténuer les effets mais il a d’autres préoccupations qui l’opposent au roi Louis IX. Il a toujours des visées sur la Provence auxquelles le roi met un coup d’arrêt en 1239. Celui-ci en effet a épousé en 1234 Marguerite, fille de Raimond-Béranger de Provence. Or il y a deux autres héritières et Raymond VII voudrait bien avoir enfin un fils qui remettrait en question le traité de 1229, quitte à répudier Sancie d’Aragon. Alors il complote avec le roi d’Aragon... neveu de Sancie.

1240 est l’année où Trencavel, fils de l’ex-vicomte de Béziers, a lancé son expédition arrêtée sous les murs de Carcassonne. Le comte de Toulouse en est resté prudemment à l’écart... mais Pierre-Bermond VII y aurait apporté son aide.
Enfin en 1241, Alphonse, frère de Louis IX et donc gendre de Raimond VII, est officiellement nommé comte de Poitou et d’Auvergne, ce qui ne plaît pas du tout aux grands seigneurs de l’Ouest et entre autres à Hugues de Lusignan, comte de la Marche, mais surtout à la comtesse ; celle-ci était justement Isabelle qui, à la mort de Jean-sans-Terre, avait épousé le comte Hugues, aboutissement d’un vieux roman d’amour : il avait été son premier fiancé...
Il se crée donc une puissante ligue où entrent le fils d’Isabelle, Henri III Plantagenet qui considère que ces terres lui sont usurpées, le roi d’Aragon circonvenu par le comte Raimond VII , qui lui-même entraîne avec lui ses vassaux Pierre Bermond VII et le seigneur de Lunel Raimond-Gaucelm V, entre autres. Harcelé par sa chère Isabelle mais conscient du faux pas, Hugues de Lusignan refuse toujours l’hommage à son nouveau suzerain Alphonse. Alors le roi lui-même envahit en avril 1242 les domaines du beau-frère de Pierre-Bermond VII. Celui-ci, on s’en souvient, avait fait serment en 1218 au comte de Toulouse de le servir envers et contre tous, excepté contre le roi de France à moins qu’il refusât de lui faire justice...
Sans doute estima-t-il que cette réserve concernait aussi la famille de son épouse et le déliait de son hommage-lige de 1226 au roi ? En fait, le roi lui tiendra sévèrement rigueur de son entrée dans la ligue.

En attendant, la ligue s’organise mais avec retard, dû semble-t-il au fait que Raimond VII est tombé gravement malade en Mars ; et ce n’est qu’en Avril, alors que Louis IX a lancé son offensive, que le comte charge son connétable Raimond-Gaucelm de Lunel de décider les vassaux à prendre les armes. En Mai, le roi Henri III débarqua ses troupes à Royan mais la jonction des ligueurs ne se fera pas et Louis IX va successivement battre le roi d’Angleterre en Juillet à Taillebourg sur la Charente, et puis à Saintes contraindre Hugues de Lusignan et Isabelle à se rendre et demander leur pardon.
Henri III, d’abord replié sur Bordeaux, se rembarque vers l’Angleterre non sans avoir encore signé une autre alliance avec Raimond VII… inutile car il va conclure une trêve de cinq ans avec le roi de France !
Le comte de Toulouse, comprenant qu’il n’a rien à en attendre et attaqué par ailleurs en Quercy par les troupes royales de Humbert de Beaujeu, en conclut qu’il n’a plus qu’à aller à nouveau rencontrer le roi. Et c’est en Janvier 1243 à Lorris en Gatinais qu’est signé un traité confirmant le précédent et où il s’engage à la soumission de ses vassaux.

Le saint roi Louis IX fut assez gentil avec Raimond VII, lui laissant Toulouse et quelques domaines, et il lui confiera même des missions diplomatiques. Mais cette fois c’est vraiment la fin de la domination quatre fois centenaire de la Maison de Toulouse sur le Midi.
A Lorris, le comte était accompagné de son fidèle connétable Raimond-Gaucelm qui fit aussi sa soumission et moyennant promesse de démanteler ses dernières fortifications, s’en tira très bien : il garda sa baronnie de Lunel. Mais Pierre-Bermond VII d’Anduze et Sauve n’est pas allé à Lorris, et n’a pas l’intention de répondre aux injonctions du pouvoir. Par fierté, pense Jean Germain, et c’est très vraisemblable : en remontant jusqu’aux temps wisigothiques, on n’a jamais vu un seigneur d’Anduze devoir s’humilier devant qui que ce fût... Cette maison a toujours été pour celle de Toulouse une alliée solide, y compris en affichant quelquefois son indépendance face à des écarts de conduite de ses comtes, et ceux-ci l’ont respectée. On peut se demander si Pierre-Bermond VII aurait épousé Josserande de Poitiers s’il avait encore bénéficié des conseils éclairés de feu son grand-père Bernard VII ; ou tout au moins ne se serait-il pas laissé entraîner dans cette aventureuse ligue dont les véritables raisons ne le concernaient pas.

L’emprise totale du pouvoir royal sur le Languedoc est maintenant irréversible et pour l’heure, Pierre-Bermond VII sait bien que ses prises de position ont accumulé de graves ressentiments à la cour où la reine-mère, surtout, entend régler ses comptes. Resté seul opposant, il est finalement contraint à se rendre après un « baroud d’honneur » contre une expédition militaire sur Sauve si l’on en croit Jean Germain.
C’est alors que le nouveau sénéchal de Beaucaire et Nîmes, Oudard de Villars, en Avril de cette année 1243, reçut une charte du roi Louis IX lui ordonnant « d’assigner six cents livres tournois de rente annuelle à Pierre Bermond, seigneur d’Anduze, sur le pays d’Hierle et sur le château de Roquedur, à condition que Bermond les tiendrait, ainsi que ses héritiers, en hommage lige ».
Le roi se réserve aussi d’en détruire les fortifications qu’il jugera utile et défend d’en faire de nouvelles sans autorisation. « Il fut, de plus, fait défense à Bermond d’entrer, lui et ses héritiers, sans son consentement, dans les châteaux et villes d’Alais, d’Anduze, de Sauve et de Sommières que le roi venait de lui confisquer et d’unir en partie au domaine royal »... ainsi que bien d’autres de ses possessions en Cévennes. Enfin le roi se réserve « sur les terres assignées quarante cinq marcs d’argent du poids d’Hierle, payable tous les ans »... La terre d’Hierle était, avec ses minerais, une des plus anciennes possessions des seigneurs d’Anduze.

A 40 ans, Pierre-Bermond, qui n’avait plus évidemment les bénéfices de ses ateliers monétaires, allait donc devoir réduire considérablement son train de vie et ses libéralités. Ayant d’abord accepté, il s’avisa de se plain-dre au roi de ce que les terres en question ne pouvaient produire 600 livres de rente ; mais il fut débouté de sa demande, le revenu réel étant apparu au moins dix pour cent plus élevé après enquête. La transposition de ce montant en monnaie actuelle n’aurait guère de signification, l’économie féodale de l’époque étant tellement différente. Néanmoins, cela constituait une confortable retraite sachant que le revenu d’un seigneur à l’aise était trois fois plus faible et d’ailleurs, quatre ans plus tard, c’est bien aussi une rente de 600 livres qui sera attribuée à Raimond Trencavel II dernier vicomte de Béziers et Carcassonne en échange de son désistement total de ses droits et titres, on l’a vu ; ce devait être le tarif... Tous les deux, en d’autres temps, auraient pu y laisser leur tête !

Louis IX tourne ainsi simplement la page ; l’avant-dernière de leurs sagas. Après avoir été tout à l’origine de ces déboires, une tragédie voit aussi en même temps se tourner une page : profitant de ces derniers conflits les Cathares, excédés par les abus des religieux inquisiteurs, se sont déchaînés jusqu’à en massacrer un groupe près de Castelnaudary. C’est ce qui décida le sénéchal de Carcassonne à forcer leur principale place forte, le château de Montségur, qui dût capituler le 3 Mars 1244 et où deux cents « parfaits » irréductibles dans leur foi furent brûlés vifs au pied de ce nid d’aigles sur le « Prat des Cremats ». Ce n’est pourtant qu’en 1255 que leur dernière place tombera, le château de Quéribus.

Pierre Gaussent - A suivre

19 février 2015

Anduze au Moyen-âge - IX

Le temps des orages (suite)

Après le comte Raimond VI subitement décédé en 1222, c’est le tour du vieux grand-père Bernard VII en 1223 de mourir non sans avoir redistribué ses domaines, c’est-à-dire que Pierre Bermond VII le nouveau chef de famille a presque tout, mais des deux autres petits-fils, Raimond récupère Florac et un quart d’Anduze, tandis que Bermond devient co-seigneur de Sommières. Son fils Bernard VIII ne pouvait espérer de cadeau mais il meurt lui aussi cette même année ; si bien que son épouse, au nom des enfants dut en appeler au pape lui-même pour que leurs droits soient établis.
C’est Arnaud, l’évêque de Nîmes, un fidèle des Montfort, qui fut chargé du jugement, assisté de deux oncles des parties, Bernard le moine de Mazan et Bermond devenu l’année précédente évêque de Viviers.
La sentence fut très politique car Pierre-Bermond VII récupéra ses domaines Alaisiens dont la co-seigneurie, tandis que les enfants de Bernard VIII se contentèrent de trois châteaux et des revenus de péages à Portes et Alais, sous la suzeraineté de leur cousin Pierre-Bermond.

Cette même année 1223 est mort aussi le roi Philippe Auguste qui n’avait jamais voulu s’impliquer dans la croisade contre les Cathares et contre son cousin le comte de Toulouse. Son fils et successeur Louis VIII est marié depuis 1200 avec Blanche de Castille. Celle-ci, femme énergique et dominatrice, sous l’influence de son grand ami le cardinal de Saint-Ange, légat du pape, pousse son époux à reprendre la guerre contre le comte de Toulouse qui, laissant se développer le catharisme, voit l’agitation se refaire contre lui chez les évêques. Malgré ses dénégations Raimond VII est excommunié et le roi se voit offrir un prétexte de plus à envahir ses terres par Amaury de Montfort qui vient de lui céder tous ses « droits » sur les conquêtes de son propre père... qu’il s’est avéré incapable de conserver.
La croisade est donc repartie avec une forte armée et en juin 1226 le roi est obligé d’assiéger Avignon pendant trois mois et demi à la suite d’une mésentente sur la traversée du Rhône par l’armée.
Ce délai est mis à profit par Louis VIII pour recevoir la libre soumission de plusieurs villes, inquiètes du rapport des forces : Nîmes et les Chevaliers des Arènes, puis Beaucaire. De même de nombreux seigneurs viennent devant Avignon faire acte d’allégeance, seule attitude raisonnable pour l’instant ; et Pierre-Bermond VII en fait autant dans l’été 1226, reconnaissant tenir du roi tous ses domaines d’Anduze, Sauve, Alès, etc., sauf ceux qu’il détient en fief de plusieurs évêques.
C’est dans les semaines suivantes que Jean Germain situe une aventure romanesque entre la reine Blanche et Pierre-Bermond... du moins selon une légende.

Louis VIII alors, pour asseoir la domination royale, installe un « sénéchal de Beaucaire et Nîmes », sorte de gouverneur pour toute la région, soient les diocèses de Maguelone, Nîmes, Uzès, Viviers, Mende et Le Puy. Le chevalier Peregrin-Latinier fut le premier sénéchal. Le roi ensuite continue sa promenade militaire et nomme un autre sénéchal à Carcassonne.
Mais le souverain est malade et en butte à un complot de grands seigneurs ; il renonce à attaquer Toulouse défendue par Raimond VII, allié au comte de Foix. Il doit repartir vers le Nord et meurt à Montpensier le 3 Novembre 1226 après avoir confié la régence à Blanche de Castille, car leur fils Louis IX n’a que douze ans, et la suite des opérations militaires à Humbert de Beaujeu.
La reine mère, usant de la ruse, tient tête aux complots alternés de soumissions des comtes de Champagne, son incorrigible amoureux, de Bretagne, de Lusignan, ainsi qu’à Henri III Plantagenet leur allié. Cette ligue s’effrite donc, et Raimond VII de Toulouse qui s’y était joint se retrouve seul et préfère traiter. Après plusieurs mois de discussions à Meaux, le 12 Avril 1229 à Notre Dame de Paris, le comte reçoit l’absolution de son excommunication. Mais dans son traité avec le roi, il lui céda le duché de Narbonne, les comtés particuliers de Narbonne, de Béziers, d’Agde, de Maguelonne ou Meilgueil, de Nîmes, d’Uzès, de Viviers ; tous ses droits sur ceux de Velai, de Gévaudan et de Lodève, une partie du Toulousain, la vicomté de Gévaudan ou de Grezes.

Raimond VII garde donc Toulouse, le Rouergue, l’Agenais, le Quercy et en partie l’Albigeois. Par contre le marquisat de Provence était cédé à la papauté, et deviendra le comtat Venaissin. Enfin ce rude traité prévoyait le mariage de Jeanne, l’unique enfant qu’a eu le comte avec Sancie d’Aragon en 1220, avec Alphonse, frère du roi ; ce qui, étant donnée leur jeunesse, n’interviendra qu’en 1237.
Depuis la soumission au roi, il semble qu’on soit sur les terres de la famille d’Anduze-Sauve en bonne intelligence avec le sénéchal Pérégrin-Latinier qui d’ailleurs n’intervient pas dans l’autorité et la justice des seigneurs de sa sénéchaussée. Seul, Bermond de Sauve, l’évêque de Viviers, eut avec lui un différend à propos de reconnaissances de fiefs de son église, une affaire qui ne se résoudra qu’en 1305. On dut même vivre une bonne décennie tranquille surtout après 1229. Pierre-Bermond VII pouvait se dire fidèle à la fois à son serment de 1218 au père de Raimond VII comme à celui de 1226 au roi, en restant neutre dans le dernier conflit du comte, mais il a dû trouver très sévères les conditions du traité et son attitude va changer.

Entre-temps on peut le voir toujours s’occuper de ses mines d’argent et de cuivre puisqu’il accorde en 1228 des privilèges aux mineurs, habitants de la terre d’Hierle. Cela s’est passé à Ganges et pour leur application s’engagent aussi « son frère B. Trencasers et P. de Leques son bailli ». Enfin en 1229 Pierre-Bermond VII épouse Josserande de Poitiers dont il aura trois garçons et deux filles. Josserande était une des filles d’Aymar III d’Angoulême et de Philippa de la Voulte – une voisine de l’évêque de Viviers. Mais Josserande a pour sœur Isabelle, veuve du roi Jean-sans-Terre et mère d’Henri III roi d’Angleterre depuis 1216. C’était donc en apparence pour le seigneur d’Anduze-Sauve un très beau mariage. On imaginerait volontiers qu’il fut favorisé par le comte de Toulouse dont on connaît les alliances et qui souhaite sans doute ramener son cousin Pierre-Bermond dans son camp. C’était un engrenage dangereux...

Pierre Gaussent - A suivre

6 février 2015

On a beau dire, à Anduze la philosophie c'est du latin !…

Pour le bon fonctionnement d'une bibliothèque et en l'occurrence celle d'Anduze, il est nécessaire périodiquement de procéder à ce que l'on appelle ici un " désherbage ", une opération consistant à retirer des étagères un certain nombre d'ouvrages jugés obsolètes pour les remplacer par de nouveaux titres, plus attrayants. Depuis des dizaines d'années ces livres " réformés " n'ont cessé de s'accumuler progressivement dans des cartons entreposés aujourd'hui sous les toits de la mairie.

Ces dernières semaines Sandrine et Chantal, nos agents du patrimoine qui gèrent la médiathèque, et moi-même décidions de braver le confort rudimentaire, le froid et la poussière de ce dernier étage pendant plusieurs matinées pour pouvoir enfin trier ces vieilles éditions, malheureusement loin d'avoir été toutes conservées dans les meilleures conditions. Il s'agissait pour nous de récupérer en priorité celles présentant un intérêt patrimonial indéniable et de les répertorier définitivement sur le listing du fond de la bibliothèque. C'est ainsi que nous avons pu découvrir de nombreux ouvrages des XVIII ème et début XIX ème siècle, à la reliure modeste et quelques fois abîmée mais encore solide, traitant toutes sortes de domaines. L'absence de tampons pour la quasi totalité d'entre eux nous confirme leur provenance : des dons de particuliers. Ils viennent compléter de façon moins clinquante mais tout aussi intéressante notre très belle collection de livres anciens de la salle du Conseil.

Une bonne surprise nous attendait parmi ces découvertes car l'une d'elles s'est révélée particulièrement exceptionnelle et émouvante avec celle d'un livre du XVI ème siècle habillé d'une couverture " muette " (sans textes) en vélin (peau d'agneau ou de veau). Daté de 1556, donc édité sous les règnes de Henry II et Catherine de Médicis, le texte en latin propose des traductions d'Aristote sur environ 750 pages dont les premières sont d'ailleurs annotées à la plume. Les deux traducteurs, Joachim Périon, moine bénédictin, et Nicolas de Grouchy (Montaigne fut son élève), protestant, étaient deux philologues réputés à l'époque …mais qui ne s'entendaient pas très bien sur l'interprétation des propos du philosophe grec !
De par l'ancienneté et la qualité de ce magnifique objet demeuré caché et ignoré pendant de si longues années, la municipalité, en le redécouvrant, remet à jour l'un des fleurons de la bibliothèque et par là même de notre patrimoine culturel anduzien.

26 janvier 2015

Anduze au Moyen-âge - VIII

De sombres nuages à l’horizon

Presque à la même époque que Bernard VI d’Anduze, le comte de Toulouse Raimond V décéda à Nîmes fin 1194 et il fut inhumé dans le cloître de la cathédrale. Raimond VI qui lui succéda est souvent dans la région, lui aussi, ne serait-ce qu’en raison des troubles perpétrés par des bandes de soldats, surtout aragonnais, laissés sans contrôle après la fin des derniers conflits.
Raimond VI est très mal vu par l’Eglise : d’abord, comme ses aïeux, il s’en prend aux religieux de Saint Gilles. Ensuite il se conduit de façon très bienveillante avec les Cathares. Enfin, il vient de se remarier après avoir sans ambages répudié Béatrix de Béziers dont il avait eu une fille, Constance, son seul enfant. Déjà excommunié, puis absout en 1198 moyennant des engagements qu’il ne tiendra pas, le comte de Toulouse, tout puissant qu’il fût, devait bien sentir la nécessité de resserrer les liens avec ses plus solides vassaux de l’Est, surtout s’ils ont accès à l’oreille du Saint-siège...

Il peut compter sur le seigneur de Lunel, son connétable pour le comté de Melgueil, sur celui de Sabran co-seigneur d’Uzès et aussi son connétable en Uzège. Et puis il y a la puissante Maison d’Anduze et Sauve toujours fidèle à la suzeraineté mais capable d’indépendance critique envers les extravagances du suzerain. Leur caution peut lui être d’autant plus utile que dans les trois diocèses dont elles relèvent, le catharisme y est très discret si l’on en croit Léon Ménard au moins pour Nîmes.
Ce sont peut-être ces considérations qui conduisent en 1202 Raimond VI à donner la main de sa fille Constance à Pierre-Bermond VI de Sauve. Raimond VI à nouveau excommunié à la suite d’évènements déjà décrits, Pierre-Bemond VI avec son père Bernard VII et les autres grands vassaux durent assister à la soumission du comte au légat du Pape à Saint Gilles en 1209 et avec lui prêter serment aussi.
Et puis ils assistent malgré eux au siège et au sac de Béziers, horrible début de la croisade contre les Albigeois qui, ensuite, se déplace dans toutes les terres du vicomte Trencavel dont les châteaux tombent l’un après l’autre.

Cette évolution très inquiétante incite Anduze et Sauve à une politique de prudence, peut-être aussi à prendre certaines précautions : en effet, à peine quelques mois après le début de cette tragédie, on voit le seigneur d’Anduze Bernard VII en mars 1210, entouré de sa femme et leurs quatre garçons, vendre le château de Fressac à la Cathédrale du Puy. Elle avait toujours des biens autour d’Anduze depuis l’épiscopat de Frédol deux siècles plus tôt et les relations étaient sans doute toujours très bonnes ; alors, on ne sait jamais... Fressac le cas échéant pourrait bien devenir place de sûreté par personne interposée, intouchable. Mais ceci n’est pas écrit dans les actes !
Encore excommunié en 1210, Raimond VI, qui a repris les armes, ne paraît pas avoir été suivi par ses vassaux de l’Est. Après son désastre de Muret en 1213 et son échappée en Angleterre, le vainqueur, Simon de Montfort, déjà investi par le pape des domaines Trencavel, réussit à se faire adjuger les possessions du comte de Toulouse à l’exception de tout ce qui se trouve à l’Est de Béziers. Il met pourtant la main sur Nîmes et tente de s’en justifier en extorquant en Mai 1214 un désistement en sa faveur de l’ancien vicomte Bernard Aton VI qui n’y avait plus aucun droit depuis presque trente ans !

Continuant ses conquêtes, Simon de Montfort s’empare du Rouergue où la Maison d’Anduze a pas mal d’intérêts ; peut-être pense-t-il alors la ménager, car ayant négocié la reddition de Déodat III seigneur de Sévérac le Château, avec qui elle a de vieux liens, au lieu de donner la garde de ce château à l’un de ses chevaliers du Nord comme d’habitude, il la confie en commun à l’évêque de Rodez et à Pierre-Bermond VI. Déodat, d’ailleurs, le récupèrera quelques années plus tard.
Malgré cela Pierre-Bermond VI ne craindra pas de se mettre en travers des ambitions de Simon de Montfort.

Le temps des orages

Comme le rapporte Léon Ménard « le concile assemblé à Montpellier au mois de janvier de l’an 1215, ayant donné provisionnellement à Simon de Montfort la possession des domaines du comte de Toulouse et de tous les pays dont les croisés avaient fait la conquête...», il était temps d’intervenir d’autant plus que le comte, toujours absent de ses états, n’arrivait pas à défendre ses droits auprès du pape ; et il faut ajouter que, de sa quatrième épouse Jeanne d’Angleterre, il avait enfin un fils.
Pierre-Bermond aurait envoyé à ce sujet au Saint-Siège une lettre qui dût l’embarrasser car elle n’eut pas de réponse. Alors il fait le voyage à Rome pour expliquer les droits de sa femme Constance : si Raimond VI doit être déchu de ses titres, c’est sa fille Constance sa seule héritière légitime, car le mariage avec Béatrix de Béziers, toujours en vie, n’a jamais été cassé ; l’union du comte en 1195 avec sa cousine Jeanne, fille d’Henri II Plantagenet, forcément n’avait pu obtenir, non plus, la dispense nécessaire ; donc leur fils Raimond était sans aucun droit...

Ces arguments indiscutablement inattaquables étaient sans doute très peu agréables au jeune Raimond et à son père... Mais n’y avait-il pas un accord secret entre Sauve et Toulouse pour une solution provisionnelle ? Car ces arguments ne devaient pas plaire du tout, non plus, à Simon de Montfort ! Ces arguments n’eurent pas de conclusions : Pierre Bermond VI est mort au cours de son séjour à Rome, subitement... secret d’Etat ?
Pierre-Bermond VI et Constance de Toulouse/Béziers avaient eu six enfants dont Pierre Bermond VII qui succéda à son père ; mais en 1215 donc, il n’a que 12 ans et c’est son grand-père Bernard VII toujours vaillant qui reprend les rênes jusqu’à la majorité du jeune seigneur de Sauve. En fait, durant les sept à huit ans qu’il lui reste à vivre il va former son petit fils à la sage politique ancestrale qui a fait la force de la Maison d’Anduze et Sauve, dans sa fidélité au comté de Toulouse... mais pas aveuglément au comte.
Pour l’heure, les empiètements en toute impunité de Simon de Montfort sont très préoccupants et certains se hasardent au double jeu avec lui, tel Rostaing de Posquières-Uzès qui lui fait allégeance en avril 1215 pour garder son château de Vauvert.

Son voisin, mais de l’autre côté du Vidourle, le seigneur de Lunel, malade, termine sa vie dans l’inquiétude des lendemains incertains car son héritier désigné est jeune. Alors son long testament se termine par cette déclaration : « Je laisse Pons-Gaucelm mon fils et tous mes enfants, les tuteurs et curateurs et tout mon territoire et mes gens sous la protection et la garde et le soutien de mon seigneur Pierre-Bermond». Il s’agit de Pierre Bermond VI qui fut présent le 4 Juillet 1215, peu avant son départ pour Rome, à la publication de ce testament, avec son père Bernard VII d’Anduze. Celui-ci étant d’un âge avancé, plus de 60 ans, il était plus logique que son fils fut désigné comme protecteur, mais il est permis aussi d’y voir un autre indice du lien de vassalité de Lunel exclusivement envers le seigneur de Sauve.
C’est juste un an plus tard, en Juillet 1216, que le fils du comte de Toulouse revenu avec son père par la Provence, reprend Beaucaire avant de poursuivre sur toutes les places conquises par Simon de Montfort. Celui-ci pourtant se maintient à Nîmes, doit finalement s’emparer de Posquières et de Bernis dont plusieurs habitants sont pendus. On est alors surpris de voir deux personnages passer dans son camp : en 1217, son fils Amaury de Montfort reçoit le serment de fidélité de Raimond Pelet co-seigneur d’Alais et Bernard VIII frère de Pierre-Bermond VI en fait autant ; peut-être par dépit d’avoir été jadis peu favorisé par son père ? Peut-être aussi ne croient-ils plus à l’étoile de Toulouse ?
Pour l’instant ils se trompent car, on le sait, le 25 Juin 1218 Simon est tué devant Toulouse reprise et son fils, obligé de battre en retraite, ne va pas montrer les valeurs militaires de son père.

Raimond VI de Toulouse enfin respire et il va pouvoir s’appliquer à régler le différend avec sa fille Constance d’autant plus que la mort de son gendre à Rome a fait courir des bruits qui ne sont peut-être pas étrangers aux défections dans la famille d’Anduze. Cette même année 1218 à Perpignan il rencontre son petit-fils Pierre Bermond VII à qui il donne un château en Rouergue, une forte somme d’argent, la suzeraineté sur les terres de Raimond Pelet co-seigneur d’Alais et la domination sur celles de son oncle Bernard VIII.
En contrepartie de ce traité Pierre Bermond VII fait serment au comte de Toulouse, son grand père, « de le servir envers et contre tous, excepté contre le pape et le roi de France à moins qu’ils refusassent de lui faire justice ». 
Le serment s’appliquait aussi au fils du comte, Raimond VII, qui confirma le traité et qui prend en main de plus en plus les affaires de Toulouse, continuant à refouler Amaury de Montfort. Ce dernier, en 1220, eut encore le temps de rédiger un acte dépossédant Pierre Bermond VII de sa part sur Alais pour la donner à l’oncle Bernard VIII. On ne sait pas trop ce qu’il en a été sur le terrain mais cet imbroglio familial ne va pas durer…

Pierre Gaussent - A suivre

16 janvier 2015

Le départ de Michel Jeury…

Michel Jeury au milieu des lauréats du concours en 2009
Décidément les mauvaises nouvelles s'accumulent depuis quelques mois avec l'annonce de la mort de Michel Jeury dans la nuit du vendredi 9 au samedi 10 janvier 2015 à l'hôpital de Vaison-la-Romaine, à l'âge de 80 ans.
A Anduze nous sommes particulièrement touchés par le décès de l'écrivain qui a laissé une belle empreinte dans notre histoire culturelle locale. Je ne vais pas faire ici sa biographie, des personnes bien plus qualifiées que moi s'en étant déjà chargées, mais rappeler simplement et entre autres quel immense auteur de science-fiction il était. A titre personnel il a très fortement contribué à nourrir mon imaginaire entre les années 70 et 80, époque insouciante de ma jeunesse où je dévorais ce genre de littérature. Alors le rencontrer une trentaine d'années plus tard, en 2000 à Anduze, et lui faire dédicacer un de ses livres (en l'occurrence " Le jour des Voies " publié sous son pseudonyme d'alors Albert Higon) que j'avais conservé précieusement fut vraiment un instant magique…
Anduzien pendant un certain temps avant de déménager à plusieurs reprises pour finalement se rapprocher définitivement avec son épouse de sa fille Dany, installée dans le Vaucluse, l'homme de lettres participa à de nombreuses dédicaces et autres manifestations littéraires organisées dans notre cité. En ce qui concerne la municipalité et sa médiathèque, Michel Jeury nous avait fait l'honneur et l'amitié de présider en 2008/2009 le jury de notre premier concours de nouvelles " Anduze Mystère ". Si, bien sûr, le succès de cette entreprise fut le résultat du travail de toute une équipe motivée, il le fut aussi pour une bonne part grâce à la présence du grand romancier qui sut apporter avec la simplicité qui le caractérisait toute son expérience et tous ses conseils judicieux.
Heureusement pour nous, les créateurs ne meurent jamais tout à fait. Alors si par une belle nuit d'été nous levons la tête et voyons parmi les milliards d'étoiles l'une d'elles briller un peu plus que les autres et clignoter, ne soyons pas surpris : ce sont sans aucun doute des clins d'œil malicieux que Michel Jeury nous adresse…

10 janvier 2015

JE SUIS CHARLIE…

République, je suis resté muet d'effroi
Devant l'abomination chez Charlie Hebdo,
Notre ami qui dessine si bien les mots.
République, là réchauffe-moi, j'ai si froid.

République, comment sortir du cauchemar
Quand le droit d'expression déchaîne la fureur
De certains dans un paroxysme de terreur ?
République, je suis bien sous ton étendard…

République, que tu sens bon la liberté,
cette douce insolence, cette fierté,
Mais aussi la créativité, nom de nom !

Allez, je cours affûter ma mine de plomb
Et retourne sans tarder à mon ouvrage.
République, je t'accompagne, courage !


Phil Gaussent

1 janvier 2015

Anduze au Moyen-âge - VII

L’apogée

Dès 1172 donc, il importait que Sauve soit reprise en mains au pied levé ; comme pour Anduze six ans plus tôt, Bertrand alias Bernard VI s’en chargea, aidé ensuite par son second fils Bernard VII dont l’aîné des garçons va, bien sûr, s’appeler Pierre-Bermond…
Cette nouvelle fusion sous une même autorité renforçait le poids de la Maison d’Anduze. Ses domaines, ceux des vassaux et les co-seigneuries, s’étendaient des hautes vallées cévenoles à Sommières et la mer, compte tenu de châteaux tels que Lecques, Montpezat, Saint-Bonnet… tenus en fiefs de l’évêché de Nîmes ; Bernard VII en fit hommage à l’évêque Aldebert le 13 mars 1175, avec respect mais aussi une fière assurance.
Les seigneurs d’Anduze, tout en restant fidèles aux comtes de Toulouse savaient se désolidariser d’actions estimées injustes ; on l’a vu à propos des empiètements sur l’abbaye de Saint Gilles pour laquelle jadis le pape demanda leur intervention.
De même il semble que ni Bernard VI ni son fils Bernard VII ne se soient impliqués directement aux côtés de Raimond V dans sa guerre contre le vicomte de Nîmes Bernard Aton VI allié à Béziers, Montpellier, puis au comte de Provence et au roi d’Aragon, guerre qui ravagea la plaine de 1179 à 1185. Narbonne en était l’enjeu au début mais sa vicomtesse était toujours la cousine Ermengarde, épouse de Bernard-Bermond d’Anduze... Et puis il y avait trop de liens avec Montpellier bien qu’on ne partageât pas le penchant de plus en plus vif de Guilhem VIII pour l’Espagne.

Toutefois, contre Nîmes, l’un des plus efficaces alliés de Toulouse fut la Maison Gaucelm de Lunel... vassale d’Anduze. La politique a toujours des subtilités pour sauver les apparences ! En définitive, Ermengarde conserva sa vicomté et c’est Bernard-Aton VI qui en fit les frais, Nîmes lui étant confisquée par Raymond V. Celui-ci venait de conclure le traité de paix avec le roi d’Aragon en 1185.
D’une façon générale, ni Bernard VI ni Bernard VII ne sont connus pour quelque action guerrière que ce soit, le nombre de leurs vassaux leur devant chacun, en cas de besoin, plusieurs chevaliers en armes. Cela représentait une force non négligeable qui semble avoir dissuadé quiconque de leur disputer l’influence sur les territoires qu’ils contrôlaient.
Certes, ils étaient eux-mêmes des chevaliers que l’on voit figurés sur leur sceau en armure, à cheval et l’épée à la main, mais on les imagine mieux en hommes d’affaires usant de diplomatie dans les assemblées et administrant avec sagesse leurs domaines : en 1187 Bernard VI accorda des privilèges aux habitants d’Anduze et en 1200 son fils en fera autant à Alais conjointement avec son co-seigneur Raimond Pelet. Des restructurations se négocient également dans le cadre de la famille : le château de Fressac, par exemple, y était resté en indivis ; en 1189, Raimond de Roquefeuil céda sa part à son frère Bernard d’Anduze. Cette austère bâtisse sur son piton avait fait partie depuis l’origine du réseau de tours à signaux ; on l'aperçoit très bien du haut de Saint Julien d’Anduze.

Mais les seigneurs d’Anduze avaient aussi le temps des loisirs :
En effet, au revers même de leur sceau, ils ont voulu être représentés à cheval, sonnant de la trompe et suivis de leurs chiens, courant le gros gibier. Sans doute chassaient-ils le loup et peut-être l’ours, prédateurs des troupeaux ; toutefois dans les forêts de chênes bordant les plaines défrichées depuis trois siècles par les moines de Tornac, les sangliers devaient déjà pulluler ; ils venaient donc agrémenter leur ordinaire de glands en saccageant les cultures, et les chasser n’était alors pas un plaisir inutile... outre les cuissots rôtis et autres succulentes daubes qu’on imagine !
Au nord d’Anduze, ces mêmes sangliers se délectaient à décortiquer les « pelloux » tombés des châtaigniers dont ces mêmes bénédictins ont couvert les pentes des montagnes aménagées en « faïsses » avec leurs étonnants murets de grosses pierres de schistes ou granits. Bien sûr, ils n’ont pas fait cet énorme travail pour les sangliers... mais pour assurer une consistante nourriture à nos ancêtres cévenols, chargés d’en poursuivre l’œuvre.
Enfin, laissons les palefreniers s’affairer au pansage des chevaux rentrant de la chasse dans la basse cour du château. En ce XII ème siècle, mais probablement depuis les temps wisigothiques et au moins depuis le seigneur Aldebrade, on l’a vu, le château d’Anduze était érigé au point haut de la ville, au-dessus de son église Saint Etienne et contrôlant l’accès au rocher de Saint Julien. L’antique oppidum qui le couronnait, toujours ceinturé de murailles, restait encore prêt à reprendre du service ; à ses pieds l’habitation seigneuriale était une solide forteresse avec ses dépendances étagées sur des plates-formes taillées dans la roche. Au sommet de St Julien, des gardes se relayaient pour assurer le guet sur la vieille tour à signaux fortifiée, qui servait aussi de clocher à la chapelle dédiée au légionnaire romain jadis martyrisé en 304 à Brioude.

Les graves évènements que nous relaterons plus loin n’ont laissé que bien peu de vestiges de ce « Château vieux » pourtant jamais pris, ni de ses alentours. Au moins peut-on monter jusqu’à ces vieilles pierres éparses dans ce décor tellement évocateur de tout ce qu’elles pourraient nous raconter... ces quelques lignes par exemple :
Si les venteuses soirées d’hiver souvent réunissaient la famille devant l’ample cheminée de la grande salle du château aux tentures orientales, dès les beaux jours on gagnait par la cour haute, la poterne-nord débouchant de plain-pied sur les jardins.
Là, après quelques pas, une fois contourné l’éperon rocheux cachant à la vue le sévère donjon, murs crénelés et autres mâchicoulis, on se trouvait aussitôt dans un autre univers :
C’était, sur le versant Est de Saint Julien, un charmant désordre de terrasses bordées ou non de balustrades en poterie, ombragées de grands pins avec même quelques jeunes cèdres ramenés jadis du Liban par un vénérable croisé. De multiples petits escaliers fleuris faisaient passer d’une terrasse à l’autre, tandis que du haut en bas plusieurs bassins apportaient une fraîcheur très appréciée tout en assurant une réserve d’eau bien précieuse. Celle-ci s’écoulait en fine cascade de bassin en bassin depuis une source fraîche – aujourd’hui tarie – mais aussi une ingénieuse adaptation des pentes rocheuses par un réseau de caniveaux y collectait la moindre précipitation pluvieuse.
Un haut mur clôturant les jardins vers le bas soutenait une longue terrasse offrant une magnifique vue sur le « portail du pas », le Gardon tout au fond, et en face, le déferlement des mers antédiluviennes pétrifié dans la falaise de Peyremale.
Oui, Anduze avait là de véritables « jardins suspendus »... comme à Babylone ! ou presque... Mais alors, comment ne pas penser que depuis un bon siècle, au-dessus de Sauve, les cousins Pierre-Bermond avaient déjà aussi leurs « jardins suspendus » ? Et finalement, qu’ils se soient intitulés « satrapes de Sauve » ne nous paraît plus si étrange... Ils avaient de la culture et de l’esprit. Dans nos jardins d’Anduze donc, on le voit, tout incitait à la poésie et c’est là que les dames du château et leurs amies se plaisaient à venir entendre les troubadours de passage, chanter leurs romantiques épopées.

C’est là peut-être que Clara d’Anduze, la troubadouresse, trouva sa première inspiration... S’il ne nous reste presque rien de son œuvre, elle-même fut chantée par le troubadour Hugues de Saint-Circ. Tout porte à croire, selon Lina Malbos, qu’elle était Sybille, une des filles de Bernard VII d’Anduze, celle qui épousa vers 1200 le co-seigneur d’Alès Raimond Pelet déjà rencontré plus haut. On était vraiment « dans le vent » ici puisque la soeur de Sybille, Adélaïde qui épousa le seigneur de Mercœur, fut chantée, elle, par le célèbre troubadour Pons de Capdeuil. Ces charmantes récréations, la littérature galante qui les animait, manifestaient l’évolution vers un comportement des hommes plus raffiné, un nouvel art de vivre très méridional qui va malheureusement devoir affronter la brutalité arriérée des autres et leurs convoitises.

En attendant, de Bernard VII d’Anduze et son épouse Vierne – « Marquise » selon Lina Malbos – sont nés quatre garçons outre les deux filles dont nous venons de parler : l’aîné Pierre-Bermond VI, seigneur de Sauve mais que son père va beaucoup favoriser en s’appuyant sur lui pour ses autres domaines ; le cadet Bernard VIII d’Anduze qui n’aura pas le loisir de s’occuper de cette seigneurie du vivant de son père ni après, car il décèdera la même année que lui. Il jouit de la seigneurie de Portes, en partie Largentières, et des revenus de péages sur Alais ; il eut pour épouse Vierne, riche dame du Luc, de Joyeuse – près de Largentières  –  et de Génolhac.
Les deux derniers fils entrèrent dans les ordres, l’un, Bernard, moine à Mazan et l’autre, Bermond, deviendra évêque de Viviers en continuant à jouer un rôle important dans la famille.

Pierre Gaussent - A suivre