LA LUTTE DES PREMIERS SENECHAUX CONTRE LA NOBLESSE
« Action militaire des premiers sénéchaux. – La tâche des premiers sénéchaux semblait donc pouvoir se réduire à peu de chose au point de vue militaire. Peut-être auraient-ils réussi, s’il l’avait voulu, à établir sans violence leur autorité dans le pays ; du moins, les premières années qui suivirent la conquête ne furent-elles marquées par aucun soulèvement.
« Mais, se sentant maîtres indépendants, les officiers royaux, non contents d’affermir leur domination, voulurent aussi l’étendre ; ils s’efforcèrent non seulement de prévenir les révoltes, mais encore de ruiner une noblesse qui constituait, par le seul fait de sa puissance, un obstacle à celle du roi, dont les justices limitaient la sienne, dont les châteaux forts enfin restaient un refuge possible pour les hérétiques et les rebelles.
« Aussi bien est-ce dans la lutte contre les châteaux forts que peut se résumer, à peu de chose près, l’action militaire des sénéchaux de Beaucaire. En s’en emparant, en les détruisant, ils ruinaient en effet dans leur élément les seigneuries qu’ils combattaient : une fois possesseurs d’un château, ils étaient maîtres de toute la circonscription territoriale qui en dépendait.
« (…) Au pays cévenol, les sénéchaux livrèrent à la maison d’Anduze une guerre sans merci et accablèrent de vexations les Pelet d’Alais, devenus coseigneurs du roi ; en Gévaudan, ils conduisirent ou ordonnèrent plus d’une chevauchée (ici la définition de chevauchée est une expédition militaire répressive et violente) contre les barons turbulents du pays ; enfin ils prirent part à la répression des derniers soulèvements du comte de Toulouse et de ses partisans contre la domination royale.
« Ruine de la maison d’Anduze. – Nulle part l’intervention des officiers de la sénéchaussée ne fut aussi énergique que dans la seigneurie d’Anduze, nulle part du moins elle n’eut, dès le temps de saint Louis, d’aussi complets résultats.
« On se l’explique aisément. Parmi les rares défenseurs que la cause toulousaine avait trouvés dans le Languedoc oriental, aucun ne lui avait été, on l’a vu, plus fidèle que Pierre Bermond VII. De tous les seigneurs du pays, il était le plus puissant, le plus dangereux pour la domination royale, étant un des moins éloignés du centre de son établissement.
« Aussi la lutte s’engagea-t-elle de bonne heure entre les sénéchaux et lui : par malheur, nous n’en connaissons guère que les effets. Nous savons cependant par un passage des enquêtes de saint Louis qu’elle était déjà commencée du temps de Pèlerin (Pèlerin Latinier, sénéchal de Beaucaire entre octobre 1226 et octobre 1238) ; on ne s’explique point en effet, sans l’hypothèse d’une guerre, l’amende prononcée par le viguier de Sommières contre un homme qui avait pénétré dans le château de Sauve alors que Pierre Bermond, seigneur du lieu, s’y trouvait.
« Un autre texte vient confirmer cette hypothèse ; il nous montre le baile royal (Agent financier et judiciaire du Sud. Son équivalent au Nord était le prévôt) Meynier, qui exerçait ses fonctions du temps de Pierre d’Athies (sénéchal de Beaucaire à partir de 1239), emprisonnant un homme accusé d’avoir soutenu Pierre Bermond.
« Si on constate de plus qu’en 1239 le roi a remplacé celui-ci comme coseigneur d’Alais, on admettra que c’est avant cette date qu’eut lieu la lutte qui enleva la seigneurie d’Alais à Pierre Bermond, en sorte que le seigneur de Sauve paraît avoir devancé la révolte de Trencavel, vicomte de Béziers, en 1240 : lorsqu’il s’y associa, il était vaincu déjà et dépouillé en partie.
« A cette nouvelle lutte il perdit encore Sommières, dont on lui avait jadis donné une moitié en gage, et sa ville de Sauve, dont le roi s’empara. En 1243, il avait perdu toute sa terre.
« Le roi lui assignait six cents livres tournois de rente annuelle, mais s’emparait de ses châteaux, de ses fiefs et de ses revenus. A Roquedur, dont il lui laissait la ville et le château (Le village, situé à quelques kilomètres au sud-ouest du Vigan, ne possède plus aujourd’hui de sa forteresse que quelques rares pans de murs, mais le site reste magnifique avec une vue imprenable sur la région à 360° !), il faisait enlever les machines de guerre et ordonnait à son sénéchal d’examiner s’il devait détruire ou conserver cette forteresse ; dans toute la terre d’Hierle, sur laquelle la rente était assignée, Pierre Bermond n’avait pas le droit d’en construire ou d’en réparer une seule. Il se voyait de plus interdire l’entrée des châteaux et des villes d’Alais, d’Anduze, de Sommières et de Sauve, sans l’assentiment du roi.
« Ainsi était consommée la ruine du seigneur cévenol le plus redoutable au roi ; il payait chèrement sa longue fidélité au parti toulousain. (…) »
« Les progrès considérables que sa défaite faisait réaliser au pouvoir royal dans la région alaisienne en devaient amener rapidement d’autres.
« Maître d’une moitié de Sommières par la dépossession de Pierre Bermond VII, le roi eut vite fait de s’emparer de l’autre partie de la ville, qui appartenait au frère du seigneur de Sauve, Bermond, lequel y avait succédé à son père : la royauté acheva ainsi de substituer dans le pays cévenol son autorité à celle de la maison d’Anduze.
« A dire vrai, en 1248, Bermond n’avait plus à Sommières que des droits restreints ; non seulement son père avait cédé à Pierre Bermond VII la moitié de la ville, mais il avait dû confier de gré ou de force au sénéchal de Beaucaire Pèlerin Latinier la tour de son château ; l’accord conclu au mois d’août entre saint Louis et le seigneur de Sommières ne faisait guère sans doute que consacrer en droit un état de fait déjà ancien. Mais, en même temps qu’il abandonnait définitivement au roi tous ses droits sur la ville, Bermond cédait toutes les possessions qu’il avait au château de Calberte et dans la vallée environnante. Il recevait en échange le château du Cailar (Château disparu aujourd’hui).
« Ainsi dépouillé de ses terres les plus importantes, le nouveau seigneur du Cailar ne possédait plus que des fiefs assez lointains, qu’il n’était point dans l’intérêt de la royauté de lui disputer, tel celui de Saussines, dont il partageait la justice avec l’abbé de Psalmody (Un des plus anciens et célèbres monastères de la région au Moyen-âge qui était situé non loin d'Aigues-Mortes ; il n'en reste que quelques ruines aujourd'hui) et où il avait des vassaux.
« (…) Ainsi par la violence ou par des échanges habiles consacrant de lentes usurpations, les premiers sénéchaux avaient étendu le pouvoir royal au détriment des seigneurs de Sauve, dans les châteaux d’Anduze, de Sauve, de Sommières et d’Alais. »
A suivre
Photo du haut : Une partie du site du premier château des seigneurs d’Anduze, à flan de St Julien et dominant la ville.
Photo du bas : Carte postale ancienne montrant quelques ruines du château de Sauve situées sur un éperon rocheux au-dessus de la ville.