C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

30 octobre 2011

1852, l'épilogue…

Quatrième et dernier extrait du récit de l'anduzien Ernest Massot.
 
Napoléon III, Empereur des Français
Bien entendu l'auteur de ce récit n'était pas un écrivain et il faut découvrir ce texte pour ce qu'il est avant tout : le témoignage partisan et subjectif d'un homme qui prit une part active avec sa famille et ses amis politiques dans le déroulement des faits cités, de 1848 à 1852. Il n'en demeure pas moins que ce document traduit bien à l'échelon local l'atmosphère particulière de ce milieu du XIX ème siècle avec ses luttes de pouvoir entre différents régimes. On ne peut que regretter de ne pas avoir la version des autres protagonistes locaux (royalistes, bonapartistes et autres) pour un tableau plus complet de ces quatre années mouvementées…

Les renvois dans le texte ne sont pas d'origine : ils indiquent des précisions ou remarques personnelles que vous trouverez à la fin.


" A huit heures du matin, nous étions au plan de la Fougasse. Des citoyens en grand nombre formaient le cercle. Encontre, de Nîmes, faisait des observations aux chefs du parti républicain qui l'entouraient. Ce Nîmois avait traversé les sentiers les plus étroits et les plus pénibles pour faire éviter des effusions de sang. Il fit observer que Rostolan, général en chef à Montpellier, s'était rendu à Nîmes avec 2000 hommes et avait fait afficher sur les murs que tout insurgé qui serait pris les armes à la main serait fusillé.
Ces mots ne furent pas achevés que sur le flanc gauche arriva une fusillade ; nous ripostâmes par une fusillade bien nourrie, et l'avant-garde battit en retraite. Encontre fit remarquer que cette retraite avait pour but de nous attirer dans un traquenard. La plupart des chefs furent de l'avis d'Encontre ; quelques-uns cependant voulaient résister, faisant observer que Baudin(1) venait d'être tué sur les barricades de Paris et que nous devions suivre son exemple. Nous fîmes un kilomètre en avant et à l'embranchement de la route d'Alais et d'Anduze, nous fûmes plus nombreux. Des canons qu'on avait mis en batterie derrière des fagots de bois lancèrent sur nous leurs projectiles qui nous firent trois blessés. Nous ripostâmes en déchargeant nos fusils sur l'ennemi. Il fut décidé de soutenir la lutte jusqu'à de nouveaux ordres. Mais ces ordres furent attendus en vain.
Forcés de céder, chacun prit sa direction. Je marchais en compagnie de Crès, de Barafort, de Vigne d'Alais et de Valla de Vézénobres. Ce dernier nous conseilla de quitter la route et de marcher sur la droite, dans les champs, pour atteindre la rive du Gardon. Avant d'arriver à Cassagnole, nous aperçûmes des soldats qui se dirigeaient vers ce village. Entendant des mères de famille affolées, se plaignant de ce qu'on leur enlevait leurs maris, nous décidâmes de nous arrêter et de nous blottir dans un ravin. Nous ne reprîmes notre route qu'à la nuit. Arrivés au confluent des Gardons d'Alais et d'Anduze, nous traversâmes cette rivière à un gué que nous connaissions. Des pas lourds que nous entendîmes derrière nous poussèrent à avancer plus vite.
En ce moment, des soldats descendaient de la montagne ; ils prirent le chemin de la prairie et nous nous trouvâmes pris entre deux pelotons de soldats. Inutile de décrire les souffrances que nous firent subir ces farouches soldats, commandés par un capitaine. On nous attacha, les bras derrière le dos, à des peupliers ; on nous fouilla, et avec la poudre que nous avions sur nous on nous barbouilla la figure. Le capitaine se contenta de nous dire : Demain, Rostolan vous lavera la figure avec du plomb, et ce soir vous irez coucher à la prison de Lédignan, où, pendant la nuit dernière, vous avez désarmé les gendarmes.
Le lecteur peut juger si nous la passâmes bonne ou mauvaise. Les soldats qui nous conduisaient à Lédignan s'emparèrent d'autres insurgés sur la route ; voici les noms des principaux : Barbusse de Cardet, Gérome et Bonnet de Cassagnole, Simon et Thérond d'Alais, etc.
Nous voilà à la prison de Lédignan. C'était le 6, un samedi, et nous passâmes tout le dimanche dans cette sale prison. A dix heures du soir, le capitaine vint nous dire : J'avais l'ordre de vous faire fusiller, mais si vous me promettez d'être tranquilles, nous allons vous conduire au fort d'Alais. Les gendarmes, plus inquiets que le capitaine, nous serrèrent les menottes jusqu'à nous faire enfler les poignets. Nous nous mîmes en marche entourés d'une colonne de soldats.
(…) Le 9, à deux heures de l'après-midi, des gardiens subalternes vinrent ouvrir les portes des cellules et nous dirent : Descendez dans la cour. En arrivant dans la cour, nous fûmes enchaînés deux à deux par des gendarmes. Mazade d'Anduze et Crès furent les premiers attachés. Lozes d'Anduze fut attaché avec Massot, mon frère ; Travier dit le Blondin, de Bagard, fut attaché avec Berthrand. Dépourvus de chaînes, on se servit de cordes. Nous étions en tout soixante-six, et nous nous disions entre nous : Où allons-nous ? Nous n'en savions rien.
(…) On nous conduisit à la gare où un convoi spécial nous attendait. Dans les premières voitures, le sous-préfet, le juge d'instruction, ainsi que des officiers de tout grade avaient pris place. Ensuite les prisonniers, avec toujours les soldats à leurs côtés et les gendarmes s'installèrent sur des wagons découverts. Le train se mit en marche et fit le trajet d'Alais à Nîmes en cinquante minutes.
(…Maison d'arrêt de Nîmes…) Les portes de la prison s'ouvrent et les gardiens nous donnent l'ordre de nous habiller à l'instant. Dans la cour, où un bec de gaz donnant sa plus belle lueur, nous fûment de nouveau attachés deux à deux, et en ce moment un aimable gendarme me souffla ces quelques mots dans l'oreille : Ne vous effrayez pas, l'on vous retourne à Alais.
(…Fort d'Alais…) Du 10 décembre au 31 de ce mois, il arriva constamment des prisonniers, nous nous vîmes jusqu'au nombre de 10 ou 12 dans chaque cellule. Les interrogatoires commencèrent le 10 janvier 1852. Tous les jours nous allions chez le juge d'instruction, la chaîne au cou et accompagnés de gendarmes.
La commission mixte commença d'opérer les jugements le 4 mars. Ceux qui furent condamnés sous la surveillance de la police furent mis en liberté le 25 avril. Une deuxième partie, condamnée à être internée dans telle ou telle ville, quitta le fort d'Alais le 10 mai. Les condamnés à la déportation furent embarqués à Cette (Sète) le 28 mai 1852. "

Pendant ce temps là Louis-Napoléon Bonaparte se préparait à devenir "Napoléon III, Empereur des Français". Cela se fit le 2 décembre 1852, date symbolique et anniversaire de son coup d'état de 1851, mais aussi du sacre de son oncle Napoléon 1er en 1804…
Comme pour "Louis-Philippe, Roi des Français", son règne dura 18 ans. Il se termina à l'issue de la fameuse bataille de Sedan le 2 septembre 1870. Et comme Louis-Philippe, Louis-Napoléon termina sa vie en exil, en Angleterre…

(1) Célèbre député républicain mort sur les barricades à Paris lors du mouvement insurrectionnel provoqué par le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851.

25 octobre 2011

1851, Anduze, Bagard, Tornac, Lézan… et les autres !

Bien sûr, il s'agit bien de Lézan, autour de 1900, et non de Cardet comme indiqué.

 Troisième extrait et suite du récit de l'anduzien Ernest Massot. Les renvois dans le texte ne sont pas d'origine : ils indiquent des précisions ou remarques personnelles que vous trouverez à la fin.

 " Le 5, l'insurrection éclata à Bagard. A cet effet, nous mettons sous les yeux du lecteur, le rapport de César Loriol, maire de cette commune :
" (…) Il y avait là devant la Mairie, une troupe nombreuse de gens armés, Ribot avait un sabre et un fusil. Mr le sous-préfet leur dit qu'ils ne savaient ce qu'ils faisaient, qu'ils allaient se mettre dans un mauvais cas, qu'on les trompait, que ceux qui les auraient mis dans la peine ne viendraient pas ensuite les en tirer, et qu'il les engageait, non seulement à ne pas prendre les armes de la Mairie, mais encore de restituer celles qu'ils avaient en mains. Peut-être les auraient-ils rendues, lorsque Alexandre Ribot se mit à dire : Apprêtez vos armes ! et lui-même prépara son fusil ainsi que cinq ou six autres ; ils se montrèrent disposés à faire usage de leurs armes qu'ils abattirent sur le bras gauche. Dans ce moment, Ducros, dit patriote, se mit à crier : Aux armes ! On pénétra dans la Mairie ; j'ignore qui a enfoncé la porte, mais j'ai vu Casimir Massot(1) à la fenêtre de l'appartement où étaient les armes. On prit seize fusils qui s'y trouvaient. Ducros, dit patriote, s'approcha du sous-préfet et lui dit :  On nous a traduit aux Assises pour rien, à nous maintenant . Dès que les armes furent pillées, tous partirent. J'ai remarqué parmi les plus exaltés Ribot, Ducros et Massot. "
Ces trois derniers prirent le commandement et les insurgés se dirigèrent vers Anduze. Au pont de Granaud, ils rencontrèrent les insurgés de Boisset-et-Gaujac, commandés par Gibert. Après avoir monté la côte de la Vincente, ils prirent à droite pour se rendre sur les rochers de Peyremale, dans le but de voir arriver les citoyens de Saint Jean du Gard, qui avaient promis de se rendre à Anduze, à 2 heures de l'après-midi. Ces derniers, commandés par Cavalier de Valestaillères, prirent la direction de Saint-Hippolyte. Ce malentendu nous causa quatre heures de retard.
Il fut alors décidé d'envoyer un délégué à Alais pour savoir si la colonne commandée par Delord s'était mise en marche. Gascuel prit le cheval noir de Michel et se rendit immédiatement à la Société des Montagnards à Alais. Aussé, de l'Hermitage, délégué par la Société dans le but de faire partir les retardataires, l'informa que la colonne alaisienne était partie. Gascuel tourna bride et avant de rentrer dans Anduze fut arrêté en face de l'octroi(2) du pont par Gibert, commissaire de police, escorté par un piquet d'infanterie.
Nous faisons observer aux lecteurs que les insurgés de Bagard et Boisset descendirent la montagne par la Régole et campèrent sur le chemin de Générargues.
Bez, Villaret, Malibran et moi attendions impatiemment Gascuel. Le commis de l'octroi, Arnaud, eut la complaisance de nous faire rentrer pour nous chauffer. Nous entendîmes alors la voix de Gascuel qui répliquait au fameux commissaire les mots suivants : Il n'y a plus de lois, plus d'autorité, le peuple rentre dans tous les exercices de ses droits ; lui seul est souverain. Le policier le cognait contre le mur et lui fermait la bouche. Armés de fusils de chasse, nous sortîmes et, impétueusement, nous saisîmes le commissaire et le caporal et nous délivrâmes Gascuel.
Un coup de sifflet fut donné et les insurgés campés sur la route se rendirent en toute hâte sur le pont. Malibran rentra dans la ville, fit le tour des cabarets pour organiser ses batteries qui devaient se rendre au moulin de la Figuière. Gascuel, ayant repris son sang-froid, se mit à la tête des insurgés et nous traversâmes le plan de Brie en chantant la Marseillaise. Pendant le temps que nous attendions Malibran, il nous arriva une provision d'armes et de munitions venant du plan des Molles. Tous réunis, nous nous mîmes en marche pour nous rendre au plan de la Fougasse.
A Tornac, nous apprîmes que les insurgés de cette commune, sous le commandement de Creissent, s'étaient dirigés du côté de Quissac.
Lorsque nous eûmes dépassé l'auberge de la Madeleine, nous entendîmes le trot de plusieurs chevaux. Des nuages dispersés au firmament rendaient la lueur de la lune intermittente et, ne pouvant reconnaître l'ami ou l'ennemi, nous criâmes : Halte-là ! Les chevaux s'avancèrent jusqu'à nous et nous reconnûmes alors que nous avions affaire à des gendarmes. Me trouvant au côté de Gascuel, je lui dit à voix basse : Saisissons les brides des chevaux et nous serons les maîtres. C'est ce que nous fîmes. Un des pandores(3) descendit de cheval et nous dit que son chef les envoyait à Anduze pour savoir ce qui s'y passait. Nous leur intimâmes l'ordre de nous suivre, ce qu'ils firent sans résistance. A Atuech, plusieurs citoyens armés rentrèrent dans nos rangs.
A Lézan, les gendarmes furent désarmés et enfermés dans l'auberge Chaptal et leurs chevaux dans l'écurie. Dans cette localité, les sieurs Claris(4) furent désarmés, ainsi que Privat et Falgon ; le juge de paix, lui aussi, fut sommé de céder ses armes et menacé de mort.
L'horloge sonnait minuit ; Malibran, avec une partie de la troupe, prit la route de Lédignan dans le but de désarmer totalement la gendarmerie de cette localité. L'autre partie de citoyens, commandé par Gascuel, prit la route de Cardet et, arrivée sur ce point, il fut décidé de nous débarrasser des deux pandores qui se faisaient prier pour marcher. Nous les laissâmes aller.
A la pointe du jour, nous arrivâmes à Boucoiran, dont la gendarmerie avait été désarmée par la colonne alaisienne. "
A suivre

(1) Frère ainé de l'auteur.
(2) Il est intéressant de noter l'existence encore à cette époque de cette taxe à l'entrée de la ville.
(3) Surnom populaire d'un gendarme.
(4) Très ancienne famille Lézanaise, propriétaire du château.

20 octobre 2011

Anduze, les suites de 1848…

La "place du Plan de Brie", autour de 1900, avec son animation au départ de la diligence

Deuxième extrait et suite du récit de l'anduzien Ernest Massot. Les renvois dans le texte ne sont pas d'origine : ils indiquent des précisions ou remarques personnelles que vous trouverez à la fin.

" Le dernier dimanche d'automne de la même année, les trois sociétés en question se réunirent en groupe pour se rendre sur la montagne de Peyremale. Les citoyens marchaient deux à deux, et l'on remarquait en tête de la colonne Castanet, vêtu d'un costume de berger, portant du côté gauche une gourde contenant 3 litres de vin et tenant de sa main droite un bâton muni d'une courroie.(…)
Arrivée à Chantereine, la colonne prit la droite où se trouve le sentier (dit de la Rigole) qui conduit sur Peyremale. Parvenus au faîte de la montagne on fit un déjeuner frugal. Des chansons patriotiques furent chantées, des discours prononcés.
Quiminal joua du cor de chasse, et les citoyens formèrent le cercle. Les principaux républicains d'Anduze prirent la parole et formèrent le dessein de réunir les démagogues sous une seule bannière républicaine. A cet effet, des délégués furent nommés sur le champ. Voici les noms des citoyens qui firent partie du comité chargé d'examiner et même de formuler les statuts sur les règlements de la société des Montagnards, déjà fondée à Paris(1) : Lozes, menuisier ; Castanet, chapelier ; Chabran, boulanger ; Puech, chapelier ; Chaffiol, cafetier ; Léonore, menuisier ; Gascuel, instituteur ; Creissent, propriétaire à Tornac ; Pierredon, propriétaire à Tornac ; Gras, de Boisset-et-Gaujac ; Gibert, de Boisset-et-Gaujac ; Ribot, de Bagard ; Ducros, de Bagard.
Le congrès fut tenu chez Ribot, à Bagard. Il fut décidé que le camp républicain serait à Anduze, dans la rue du Luxembourg, à la maison Renard. Huit cent trente-trois sociétaires avaient donné leurs signatures, et tout sociétaire devait jouir de ses droits civils et cotiser deux francs par an pour couvrir les frais de logement ou autres frais imprévus.
La dite société eut pour président Arnassan, menuisier ; pour vice-président Loges, et pour secrétaire Gascuel, instituteur. L'établissement où était installé la société était géré par Chaffiol.

Passons maintenant aux années 1849 et 1850. Un grand banquet fut organisé sur la rive droite du Gardon, au plan des Molles. Deux milles personnes du Gard, faisant partie de l'élite des sociétés des Montagnards, se rendirent sur le lieu indiqué, portant des cocardes rouges sur leurs poitrines. Parmi les convives, on remarquait : Encontre, de Nîmes ; Mourgues, d'Alais, accompagné de Delord ; Edouard Serres, de Villérargues ; Mazel fils, de Boucoiran ; Henri Joubaud, de Saint-Ambroise ; Antoine Cavalier, de Valestaillères ; Victor Champetier, de Saint-Julien.
A la fin du repas, César Crés se leva et chanta le "Chant du Départ". Ensuite Jalabert, de Mialet, prit le drapeau et chanta "Toute l'europe est sous les armes, c'est le dernier râle des rois". Puis Gascuel prononça l'allocution d'usage, et donna la parole à Mazade. (…) Le jeune étudiant en droit, Cazot, prononça aussi un discourt émaillé d'anecdotes historiques concernant la vie des rois. Ensuite, il passa en revue le socialisme de Louis Blanc, et après avoir remercié les Anduziens de leur bon accueil, leva son verre en l'honneur des sociétaires du département.
Les journaux firent grand bruit de ce banquet.
D'autre part, la bourgeoisie Anduzienne, fière de ses écus, mit en permanence une liste de souscription, la dite liste produisit 15.000 francs. Rodier, de la Bruguière, donna sa signature pour 5.000 francs de plus, total 20.000 francs qui furent employés à construire la Rotonde.
Ce camp antirépublicain eut pour président Ariste Colomb, de la Blaquière. Celui-ci eut la manie d'attirer à la Rotonde les voyous de la localité et les mouchards rôdaient dans les rues, cherchant noise aux républicains. Parmi ces êtres se trouvaient : Mougnet, surnommé Cocu ; Raymond, Pagès, Bancillon, Brunel dit Madu ; Gâche surnommé Donde ; Laurent Laporte dit Paon ; Feuillade, etc… Toutes les fois qu'il y avait bal à la Rotonde, ces derniers avaient le plaisir de danser avec les dames de la fine fleur aristocratique anduzienne.
Le commissaire de police, le juge de paix, se montraient bienveillants à l'égard des Bonapartistes et maltraitaient les républicains qu'on avait surnommé les rouges. Les municipaux payaient largement les mouchards qu'on avait surnommé les bleus. Ces imposteurs, en chantant des chansons antirépublicaines, faisaient le tour de l'île en passant par la rue du Luxembourg et la traverse de Pélico. Une fois sur toutes, les perturbateurs jetèrent des pierres dans l'enceinte de la maison Renard où les républicains tenaient une conférence, Gascuel et Malibran furent atteints et allèrent porter plainte au commissaire de police. Celui-ci les fit enfermer, au moyen de faux témoignages, ils eurent pour leur peine 3 mois de prison. Ce qui prouve qu'à cette époque, nos administrateurs donnaient droit aux bleus et inculpaient les rouges.
L'injustice ne fit qu'indigner les républicains avancés, et vers la fin de 1850, la société des Montagnards s'allia avec les sociétés secrètes. Pour le suivre, Cazot demanda des citoyens volontaires, et ceux-ci allèrent dans toutes les villes du département faisant de la propagande.
Vers la fin de l'année 1851, les républicains eurent beaucoup d'obstacles à surmonter. Louis Bonaparte étouffa la République(2) et au lendemain du crime, le 3 décembre, les chefs de la Société secrète d'Anduze prirent l'initiative de nommer les chefs capables de diriger la colonne.
Le 4 était jour de foire à Anduze, les gens de la campagne s'étaient rendus en grand nombre dans cette ville, une émeute se produisit devant la Mairie. Mazade, conseiller municipal, rentra dans la Mairie et sollicita la permission de monter au balcon pour haranguer la foule. Au milieu du couloir, il rencontra le Juge de paix et Fesquet, adjoint. Ces derniers repoussèrent sa demande et ajoutèrent : Puisque nous avons Louis Bonaparte pour président, nous n'avons plus besoin de Ledru-Rollin. Après ce refus, Mazade revint dans la foule et dit d'une voix forte : Respectons la Justice quand même elle ne le mérite pas, à demain les affaires ! "
A suivre…

(1) A Paris, Ledru-Rollin avait formé un groupe appelé "la Montagne", d'où les surnoms des républicains d'extrême gauche : "montagnards", mais aussi "démocrates socialistes", ou bien "rouges".
(2) Coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte, qui arrivait à la fin de son mandat de Président de la Deuxième République, depuis février 1848, et non renouvelable…

15 octobre 2011

Anduze, février 1848…

La Porte des Cévennes, quand le pont du chemin de fer n'existait pas encore…

Voici donc un premier extrait du récit de l'anduzien Ernest Massot. Les renvois dans le texte ne sont pas d'origine : ils indiquent des précisions ou remarques personnelles que vous trouverez à la fin.

" Mon premier maître d'école se nommait Barafort. L'esprit de cet instituteur était nourri de patriotisme. Celui-ci me mit un jour sous les yeux une pièce démocratique que j'appris par cœur. Cet excellent homme m'apprenait aussi à joindre le geste à la parole, et si je débitais les vers sans faute, il me donnait des bons points.
Constamment, au foyer paternel, on causait politique. Mothier, qui habitait la rue Beauregard, se rendait tous les soirs à la maison de mon père (maison située à Anduze, en face de l'entrée principale de l'église de Saint-Etienne)(1). Mothier avait les cheveux blancs, le front ridé. L'octogénaire faisait la lecture du journal, qui avait pour titre : "La Réforme"(2). La feuille en question s'imprimait à Paris. A cette époque, la ligne du chemin de fer n'aboutissant pas directement à la capitale, les nouvelles nous arrivaient avec deux jours de retard. Le grand Musulh, comme rédacteur du journal, commençait à blâmer les royalistes, et encourageait la population parisienne à la révolte.
J'avais quinze ans lorsque un bruit infernal se fit entendre dans les rues de notre ville. Les artisans et les industriels, femmes et enfants, se rendirent à la place du Plan-de-Brie. Je me trouvais dans la foule ; Puech, chapelier âgé de vingt ans, juché sur les épaules du colosse Verdeille, maître maçon, lut à haute voix le télégramme que l'autorité locale venait de faire afficher sur les murs de la mairie.
Cette affiche contenait au plus dix lignes que voici :

Paris, le 24 février 1848.
Nous avons l'honneur d'informer le public que le roi est détrôné. Les insurgés ont fait brûler les voitures de Philippe. Les charpentiers et les forgerons ont élevé des barricades sur tous les points(3) de Paris. Les municipaux sont battus. Les conjurés ont installé Caussidière
(4) à la Préfecture de Police. Barbès et Ledru-Rollin ont pris l'initiative de former un gouvernement provisoire. Les Maires des provinces sont autorisés dans leurs localités de proclamer la République.

L'affiche fut à peine lue qu'un cri général de : "Vive la République" s'échappe de toutes les poitrines. Dix coups de canon sont tirés sur les quais de notre ville. Les timorés commentaient entre eux la politique des conspirateurs. Les républicains les plus exaltés supplièrent monsieur le Maire et une douzaine de conseillers municipaux qui se trouvaient présents de faire battre du tambour, sonner du clairon et proclamer la République.
Verdeille (dit le dragon), prit le drapeau et le cortège se dirigea vers la rue Basse. Arrivé au Portail du Pas, le cortège s'engagea dans la rue Haute et arriva un instant après sur la place Saint-Etienne. A ce moment les tambours battaient et les clairons sonnaient. Devant l'église deux voitures stationnaient, l'une appartenant à monsieur de Narbonne Lara de Labahou, l'autre à monsieur Gilly de la Madeleine. Dans ces mêmes instants un cri de "Vive Henri V"(5) fit retentir la voûte de la cathédrale. La foule se rapprocha et répliqua "Vive la République" et "A bas Henri V".
Tous ces cris aigus épouvantèrent les chevaux qui se cabrèrent comme des biches. Pour éviter un accident, des citoyens courageux saisirent les chevaux par la bride, ils les dételèrent et les voitures furent renversées. Quelques coups de poings furent échangés et les soldats qui se trouvaient en garnison à Anduze intervinrent et rétablirent l'ordre.
Le cortège reprit sa marche ; arrivé à la place Couverte la foule fut plus nombreuse. Des fenêtres, des fleurs furent lancées sur le peuple. Le jour était à son déclin, les cabarets furent éclairés, les citoyens y prirent place et levèrent leurs verres en l'honneur du drapeau de la République et des progrès sociaux.
Le 1er mai de la même année, un grand arbre de la liberté fut planté en face de la mairie. Les habitants des campagnes se rendirent à Anduze pour célébrer la fête commémorative et la "Carmagnole" fut chantée et dansée autour de l'arbre. Les chapeliers allèrent banqueter au "Chapeau-Rouge" (au bout du quai). Les menuisiers, les serruriers et les maçons se rendirent à "L'Orange" chez la mère des compagnons (au chemin neuf)(6). Le restant des citoyens se rendit à l'auberge Michel (dans la rue Cornue)(7).
A partir de ce jour, les trois cabarets que nous venons de citer furent des clubs républicains. Le club du Chapeau-Rouge eut pour président Castanet ; le club Michel eut pour président Gascuel, instituteur ; et celui de l'Orange eut Loges. "
A suivre…

(1) Cette maison a sans doute disparu a l'occasion de l'ouverture du boulevard Jean Jaurès.
(2) Journal fondé en 1843 par Ledru-Rollin et défendant les idées républicaines et sociales. 

(3) Certainement une faute de frappe : lire "les ponts".
(4) Nouveau préfet du peuple.
(5) C'était le comte de Chambord, depuis longtemps prétendant royaliste au trône de France sous ce nom.
(6) Notre avenue du pasteur Rollin.
(7) Inconnue aujourd'hui, sans doute une faute de frappe : l'actuelle rue Cornie.

9 octobre 2011

Anduze et la Révolution de 1848 : le témoignage…

Louis-Philippe, roi des Français
Jusqu'à présent, parmi l'ensemble des ouvrages consacré à toute ou partie de l'histoire d'Anduze, il n'y en a aucun, à ma connaissance, qui ait abordé une des périodes les plus agitées du XIX ème siècle : celle de la Révolution de 1848…
Aussi je vais vous proposer, en plusieurs billets un peu plus longs que d'habitude, quelques passages du témoignage exceptionnel de Ernest Massot, né à Anduze le 11 octobre 1833. Celui-ci nous raconte, de façon très vivante, la réaction des Républicains d'Anduze et de ses environs suite à l'abdication de Louis-Philippe, roi des Français, le 24 février 1848 et sa fuite en Angleterre. L'intérêt de ce récit réside surtout dans le fait que le narrateur de cet épisode historique local en fut l'un des principaux acteurs, apportant ainsi un éclairage particulier et une mine de renseignements au niveau des noms des personnages et des lieux que, vous verrez, beaucoup reconnaîtront. On a, de ce fait, plaisir à suivre ces événements qui se sont déroulés "en pays de connaissance".
Ma source est un petit document original (14 X 21 cm) de 1904, sans nom d'éditeur, d'une cinquantaine de pages. Fabriqué par l'Imprimerie Générale de Marseille, il le fut certainement à compte d'auteur (Ernest Massot avait alors soixante et onze ans).
Voici l'avant-propos : "L'auteur de cette brochure informe ses aimables lecteurs que les divers documents relatifs à sa généalogie, et, aux incidents qui se sont passés de 1848 à 1851 dans le département du Gard, et auxquels il a pris une grande part, ont été l'objet de laborieuses recherches, dans le département et en particulier dans l'arrondissement d'Alais et le canton d'Anduze. Les faits rapportés sont absolument authentiques."
Alors à très bientôt pour le premier épisode…