C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

20 février 2016

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette : suite et fin…


VII – NOTRE HERITAGE

A/ La destinée de Jean-Louis Roquier


Au fil de notre récit, un personnage a été présent de bout en bout. Jean-Louis Roquier, né en 1763, est, à l’âge de 26 ans, député du Tiers d’Anduze à l’assemblée de la Sénéchaussée. De 1790 à 1792, Roquier, administrateur du district d’Alais, déploie une grande activité, surtout au moment de la « guerre des châteaux », pour contenir « l’anarchie » qui s’insinue jusque dans certaines « gardes nationales ».
En novembre 1792, la république a deux mois d’existence. Roquier devient (à 29 ans) membre du Directoire départemental. Il est le benjamin de cette Administration (plusieurs membres du Directoire ont dépassé la cinquantaine). A l’Assemblée électorale du Gard, Roquier dirige la protestation contre l’élection du « modéré » Vigier à la présidence du tribunal criminel ; les amis de Vigier essaient (vainement) de chasser Roquier du Directoire. En mars 1793, Roquier, Commissaire du Directoire pour l’achat des fournitures nécessaires aux Armées, mène rapidement à leur terme les missions qui lui sont confiées.
Survient la dissidence « fédéraliste ». Les Girondins ont engagé la France dans une guerre hasardeuse ; mais ils ont refusé de donner à la Révolution les moyens de sauver la Patrie menacée. Seule, une dictature momentanée permettait de faire front aux dangers, de préserver l’existence de la République. Un tel gouvernement révolutionnaire ne pouvait agir qu’avec l’appui des classes populaires (dont les grands bourgeois Girondins se méfiaient). C’est pourquoi la Convention suit les Montagnards, qui ont une attitude opposée.

Mais la « chute des Girondins » est mal acceptée par les administrateurs des départements méridionaux, qui ne craignent pas d’être en dissidence contre Paris, au moment même où la Convention doit faire face aux attaques redoublées des ennemis de dedans et du dehors. Peut-être les administrateurs, grisés par les prérogatives extraordinaires que la Convention leur confiait, ont-ils eu la faiblesse de surestimer le rôle qui leur était imparti. Cela n’excuse pas la formation d’organes illégaux, ni la volonté de résister aux armées « légales ».
Malgré leur ralliement à la Constitution de l’An I, et leur docilité aux ordres reçus après la chute de Pont-Saint-Esprit, les « fédéralistes » sont sanctionnés avec rigueur. Même si on leur avait fait grâce, ils auraient payé pour leurs erreurs par une « mort politique » certaine ; c’est vrai aussi pour Roquier, qui avait été, pendant quatre années, un artisan si actif de la construction révolutionnaire.

B/ Le bilan révolutionnaire d’Anduze

Comme toutes les périodes difficiles, la Révolution mêle des ombres aux lumières. En mesurant la grandeur de son bilan global, il n’est pas interdit d’émettre des interrogations sur certains aspects de l’époque révolutionnaire comme cette « déchristianisation », suggérée de haut, alors qu’un peuple entier était sollicité par les tâches les plus impérieuses.
Notre très fragmentaire évocation de la révolution à Anduze permet d’apprécier positivement le bilan de cette tranche d’histoire locale. A l’actif d’Anduze, il y a d’abord le texte si complet du cahier des doléances, qui soutient la comparaison avec les « cahiers » de villes plus importantes.
La vigilance des Anduziens, leur lucidité face au danger sont des constantes de l’époque révolutionnaire. Dès septembre 1789, on veut préserver la liberté religieuse, sans se dérober à la discipline révolutionnaire. En mars 1792, les Anduziens (moins exposés que les localités rhodaniennes) sont au premier rang de ceux qui poussent l’administration départementale à une action rapide et énergique ; ils tiennent à y participer !

On peut admirer la constante présence de la Garde nationale d’Anduze, partout où il faut protéger la légalité révolutionnaire (à St Jean de Gardonnenque en 1789, à Nîmes en 1790, au canton de Lédignan et à Alais en 1791, au canton de Saint-Ambroix en 1793). L’ardeur patriotique de nos devanciers est illustrée par la présence de volontaires sur le front franco-espagnol, mais aussi par l’aide appréciable dont ils prennent l’initiative, en faveur de l’armée des Pyrénées.
Enfin, Anduze, occupe une place honorable dans le fonctionnement des nouvelles institutions et (grâce à son Club) dans la réflexion et l’action politique. Il n’est pas surprenant que le souvenir de cet élan révolutionnaire ait marqué de nombreuses générations d’Anduziens.

C/ Les fils de quatre-vingt neuf

Revenons au procès-verbal établi en mars 1789, à l’issue de l’assemblée locale du Tiers-Etat, pour y relever quelques patronymes qui resteront très présents dans la « geste » locale, pendant de nombreuses décennies : Mazade, Galoffre, Gaussorgues…
Sous le Second Empire, un Mazade, propriétaire aisé, aurait pu se limiter à la gestion de son patrimoine. Mais, porteur de l’héritage de quatre-vingt neuf et de quatre-vingt douze, il anime, dans des conditions difficiles, le combat républicain. Redouté par le pouvoir autoritaire, il est astreint à résidence hors du département, et soumis à une surveillance étroite.
La défaite de 1870 condamne le Second Empire. Lorsqu’elle est connue à Anduze, une commission municipale provisoire prend place à l’Hôtel de Ville : c’est un Galoffre qui la préside. La République est revenue : Mazade est de ceux qui en consolident l’assise locale en participant, derrière Jean Mace, aux efforts de la « Ligue de l’Enseignement » en faveur de l’instruction publique.
   
La mémoire révolutionnaire

Au moment du premier centenaire de la Révolution, la mairie d’Anduze est tenue, depuis plusieurs années, par des républicains « avancés » - les républicains radicaux – vingt ans avant la fondation du parti radical !
Les héritiers du « Tiers-Etat » comprennent-ils les aspirations du « Quatrième Etat », cette classe prolétarienne (désormais nombreuse à Anduze et ailleurs) qui attendait beaucoup de la République et que la répression de la « Commune de Paris » a traumatisée ? L’ouvrier chapelier Frédéric Gas, militant républicain sous l’Empire, organise un groupe anarchiste. Tentation momentanée : à l’aube de notre siècle, au moment où Jaurès écrit le premier volume de sa grandiose « Histoire socialiste de la Révolution Française », une section de son parti insère le mouvement ouvrier local dans la filiation républicaine.

1939 est l’année du cent-cinquantenaire. Tandis que les nuages de la Contre-Révolution s’amoncellent au-dessus de l’Europe, la municipalité du « Bloc Ouvrier et Paysan », fidèle au souvenir de la Grande Révolution, accueillante aux proscrits, héberge des républicains espagnols, chassés de leur malheureux pays ; elle organise, avec quelque éclat, la commémoration de la prise de la Bastille et de la Fédération nationale.

Un an plus tard, la France et la République étaient vaincues. Une nouvelle « Restauration » se para, un moment, de l’appellation « Révolution nationale » ! Il ne fut point facile de chasser Marianne de la salle du Conseil. Echappant (de justesse) à l’outrage que lui réservait un groupe extra-municipal, cette Mariane (qui n’avait pas le « look » des arrière-petites-filles que nous lui connaissons) fut cachée, pendant quatre années-poussière, dans le recoin le plus secret de la Maison Commune. Elle n’y dormit que d’un œil : quatre-vingt douze n’était pas mort !
 
Fin.

7 février 2016

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 11


B/ L’ANNEE 1794 
Réorganisation de l’Administration et de la Justice

Le conventionnel Borie, représentant en mission, réorganise l’administration gardoise, épurée par les destitutions prononcées pendant l’automne 1793 (les « fédéralistes ont été éliminés). Le 11 Ventôse (1er mars 1794) au district d’Alais Privat-Larouvière remplace Roux, d’Anduze (qui n’a pas accepté sa nomination).
Le 29 Floréal (18 mai 1794) les justices de paix sont réorganisées. Dufes, ci-devant procureur à Anduze, devient juge à Alais. Les deux juges de paix désignés par Anduze et son canton sont le cultivateur Pierre Gibert (déjà en place) et Chabaud, ancien lieutenant de juge.

Le culte de la Raison

Pendant l’hiver et au printemps de 1794, dans de nombreuses localités, le Culte de la Raison remplace les religions chrétiennes. 228 gardois, ministres des anciens cultes traditionnels, abdiquent leurs fonctions. Anduze renonce aux cultes traditionnels le 7 Ventôse (fin février) ; le Culte de la Raison débute le 24 Ventôse (mars).
Le 21 Ventôse, abdication du « ministre » Jean Mirial (âgé de 44 ans) et du pasteur proposant François Astruc (21 ans). Abdiquent pendant le mois de Germinal (avril) : le curé Desfeux (âgé de 40 ans) et le pasteur Daniel Encontre (35 ans).

Deux Anduziens devant le Tribunal révolutionnaire
Le procès du « Comité de Salut public »
13-15 Prairial an II (1er-3 juin 1794)

Jean-Louis Roquier, 31 ans, ci-devant avocat, ancien administrateur du département, est arrêté le 8 octobre, à l’initiative du Comité de Surveillance ; le 13 Frimaire (début décembre), l’Accusateur public le fait écrouer.
Marc, Antoine Raffin, 53 ans, cultivateur, né à Anduze, habitant à Quissac, est arrêté le même jour et dans les mêmes conditions que Roquier : l’Accusateur public le fait écrouer le 9 Ventôse (mars 1794). Les anciens administrateurs sont jugés dans les premiers jours de juin.
MARSIAL, SOULIER, RAFFIN, RIBES, ABAUZIT, BOISSIERES, ROQUIER, GUIZOT, administrateurs du département à l’époque du fédéralisme, sont accusés des faits suivants :

Le 14 juin 1794, l’administration révoltée forma le projet d’une « assemblée représentative des Communes » ; la majeure partie des communes du Gard se réunirent par députés. Cette même assemblée forma un Comité dit « de Salut public ». Les administrateurs formèrent les principaux membres de ce pouvoir, usurpateur de la souveraineté nationale. Les susnommés sont prévenus d’avoir altéré la forme du gouvernement républicain et usurpé l’autorité nationale.

Raffin était absent le 14 juin et n’a pas signé l’arrêté ; il dit n’avoir pas assisté aux séances du Comité du « Salut public ».
Roquier, envoyé comme Commissaire en Lozère, n’est rentré que le 21 juin ; il n’a pas participé à l’arrêté du 14. De retour, il ne s’est occupé que de l’Administration ; il dit n’avoir point paru au Comité.
L’accusateur dit que les Séances de l’Administration prirent fin le 28 juin, et n’ont été reprises que le 15 juillet ; il s’y trouve une lacune, pendant laquelle les administrateurs se sont transformés en membres du Comité de « Salut public ». Roquier et Raffin n’ont pas cessé d’être présents aux opérations du Comité ; ils n’étaient pas à la séance du 14 juin.
Raffin dit n’avoir eu aucune connaissance du « Comité de Salut public ». Il reconnaît être allé à Marseille, « pour fraterniser » avec les administrateurs des Bouches du Rhône ; il partit le 14 et rentra le 20. Chargé d’une mission à Montpellier avec Guizot, il partit le 2 juillet (sans connaître, dit-il, l’objet de sa mission) ; il revint le 4. Raffin était membre du Directoire départemental.

Le 1er juillet 1793, Roquier fut nommé pour une mission à Arles ; il n’y alla pas. Pour avoir dit à l’Administration de se rétracter, il fut traité de lâche. Deux secrétaires de l’Administration, cités par Roquier, sont entendus.
Raffin prenait autrefois le nom « Du Crouzier » : cette seigneurie de 30 habitants, sise en Lozère, est entrée dans sa famille en 1733.

Après trois jours de débats, le tribunal déclare :
« Que…, Jean Raffin, …, Louis Roquier, … ci-devant administrateurs du Gard, sont convaincus d’avoir été les chefs des susdites conspirations, pour avoir pris des arrêtés liberticides et pour s’être associés à un soi-disant « Comité de Salut public », formé, le 25 juin 1793, lors du fédéralisme, par l’assemblée dite représentative des Communes. Ils sont convaincus d’avoir tenté de rompre l’unité et l’indivisibilité de la République : les prévenus sont condamnés à la peine de mort.
»
En entendant cette sentence, Roquier s’emporte et s’avance vers les juges ; les gendarmes sont appelés pour le retenir. Les prévenus sont protestants ; Ribes était « ministre ». Avant l’exécution, au soir de leur procès (15 Prairial – 3 juin), Ribes les exhorte et ils chantent des psaumes.

Le procès de Bertezène
5 Thermidor an II (23 juillet 1794)

Jean-Louis Bertezène, tanneur, est le frère d’un député du Gard à la Convention ; il est arrêté le 12 Brumaire (début novembre 1793).
Bertezène, ex-maire de St Jean du Gard, a été député à l’Assemblée des Communes. Il a provoqué le départ d’une force armée qui alla à Pont-Saint-Esprit, pour s’opposer au passage de l’armée de la République.
Bertezène déclare n’avoir assisté qu’à la première session de l’assemblée. En qualité de maire, il a fait accepter la Constitution Républicaine par le Conseil de sa commune, qui a envoyé une Adresse à la Convention ; celle-ci a délibéré une mention honorable, le 13 juillet. Lorsque le texte constitutionnel fut connu officiellement, Bertezène l’a fait à nouveau accepter, le 22 juillet.
On reproche à Bertezène d’avoir quitté la Société populaire, pour aller à la « Société des Républicains » ; d’avoir constamment voté pour Roquier et les autres. Le tribunal le condamne à mort ; il est exécuté au soir de son procès.

La situation au moment de ces procès
 

Au moment du procès des administrateurs « fédéralistes », Robespierre et les « Montagnards », maîtres du pouvoir central depuis un an, ont réussi à redresser une situation qui semblait désespérée. Dès la fin du mois d’août 1793, la levée en masse a permis de réunir des troupes nombreuses, pour faire front aux ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. Pour équiper et ravitailler ces armées, de nombreuses réquisitions frappent les riches. Les défaillances et les menées contre-révolutionnaires sont sévèrement réprimées par la « Terreur ».
Les résultats obtenus sont à la hauteur de l’énergie déployée par la Convention « montagnarde » : les insurrections sont brisées, les frontières sont dégagées ; les armées de la République reprennent la Belgique. Mais l’ampleur même de ces succès remet en cause la rigueur de la dictature révolutionnaire : à la fin de Juillet 1794, les « Robespierristes » sont éliminés par les « thermidoriens ».

A suivre.