C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

27 mars 2015

Le canton d'Anduze et son juge de paix en 1794…

Verso du feuillet avec les signatures
A titre privé ou dans le cadre de ma fonction actuelle de délégué à la culture, j'éprouve toujours la même émotion à la découverte d'un témoignage ancien et inédit de la vie locale, quelle que soit sa nature. Il est vrai que la ville d'Anduze ayant tellement perdu d'archives au cours de son histoire pour différentes raisons,  c'est toujours un immense plaisir de remettre la main sur un morceau de sa mémoire, si modeste soit-il. Au hasard de nos récentes investigations dans le grenier de la Mairie et dans certains des fameux cartons de livres anciens qui firent l'objet d'un précédent billet, j'ai pu récupérer aussi quelques " vieux papiers " que j'évoquerai progressivement dans de futurs écrits.
Parmi eux se trouvait notamment un document d'époque révolutionnaire assez original…

En 1790 " la Constituante " créa, pour régler les problèmes et autres petits conflits de la vie quotidienne des citoyens, les juges de paix. Cette nouvelle juridiction permettait une justice de proximité dont le ressort ne dépassait pas le canton. Après un certain nombre de modifications au cours du temps, une ordonnance la remplaça définitivement par les tribunaux d'instances en 1958.
Le manuscrit retrouvé est la déposition d'une jeune femme célibataire venue déclarer " officiellement " sa grossesse et les circonstances de celle-ci, sans oublier bien sûr d'en dénoncer l'auteur !…

" Ce jourd'hui vingt sixième nivose l'an second de la République française (15 janvier 1794 - l'accent circonflexe sur le o de nivose n'existait pas encore) …Devant nous Pierre Gibert juge de paix du canton d'Anduze assisté de citoyen Jean Victor Perot fils, notre secrétaire greffier "…
…" Est comparue citoyenne Françoise Crespou dite Robert, fille de Pierre Crespou dit Robert, cultivateur, habitante de la commune de Ribaute, agée comme a dit de vingt trois ans, assistée de son père. Laquelle nous a déclaré être enceinte des œuvres de citoyen Estienne Vigne de la commune de Ribaute qui est à l'armée des Pyrénées orientales "…


Un petit mot sur cette armée et son contexte. Quand Louis XVI fut exécuté en janvier 1793 l'Espagne, jusque là plutôt neutre vis à vis des événements politiques majeurs se déroulant en France, signa son adhésion à une coalition contre notre pays. Si à première vue cet engagement paraissait logique du fait de sa liaison étroite avec la famille Bourbon, une autre raison plus intéressée guida cette entrée en guerre : c'était une occasion inespérée de récupérer le Roussillon qu'elle avait perdu plus d'un siècle auparavant ! La République réagit donc en créant ce corps d'armée par décret, en avril 1793, pour contrer les ambitions hispaniques…

…" La Françoise Crespou Robert nous a dit qu'elle est enceinte du Vigne depuis environ sept mois, que ce dernier la connut charnellement de force pour la première fois le huit mai dernier dans le lit où la déclarante couche à la maison de son père à Ribaute, dans le jour, une seule fois et ensuite jusqu'à son départ pour l'armée et toutes les fois que les occasions se présentaient, que le dit Vigne lui a toujours promis de l'épouser."
" Et plus avant n'a été procédé, nous nous sommes signés avec notre greffier et le dit Crespou Robert père. La dite Robert fille requise de le faire a déclaré être illettrée et persiste suivant déclaration après lui en avoir fait faire lecture."


La guerre du Roussillon se termina en 1795 au bénéfice de la France. L'armée des Pyrénées orientales fut dissoute et peut-être qu'Estienne Vigne a… Nous ne le saurons jamais ! A moins qu'un passionné de recherches arrive à remonter le temps… Sinon à partir d'ici chacun peut imaginer à sa façon la suite de ces événements et pourquoi pas écrire son propre roman !

16 mars 2015

Anduze au Moyen-âge - XI

Epilogue

Il restait à Pierre-Bermond à assurer l’avenir des cinq enfants encore très jeunes qu’il avait avec Josserande de Poitiers.
Marie épousera Arnaud-Othon, vicomte de Lomagne et d’Auvillar (en Agenais).
Philippa épousera Amalric, vicomte de Narbonne ; Narbonne, par diverses interventions avait été épargnée dans la guerre des Albigeois.
De Béraud, le plus jeune fils, on parle peu, il aurait eu des terres dans le Toulousain.
Roger, héritier en 1246 de sa grand-mère maternelle Philippa comtesse d’Angoulême, devint seigneur de La Voulte et de quelques châteaux en Vivarais. On lui connaît une longue descendance qui portera toujours le nom d’Anduze.
Enfin l’aîné Guillaume fut destiné à la succession sur la baronnie d’Hierle et par mariage sera baron d’Olargues (au Nord de Saint-Chinian).
Par contre, sont encore à la tête de leurs seigneuries les deux frères de Pierre-Bermond qui, vingt ans plus tôt, reçurent chacun leur apanage du grand-père Bernard VII ; s’étant sans doute tenus tranquille durant ces périodes troubles, ils ne sont pas compromis : Raimond est seigneur de Florac et dispose d’un quart des revenus d’Anduze. Bermond, malgré l’éviction de son frère aîné, reste co-seigneur de Sommières.
Or en Août 1248, le roi Louis IX, partant pour sa première croisade en terre Sainte, vient s’embarquer au port d’Aigues-Mortes. Il entend développer le port, la ville, et assurer ses arrières pour l’avenir.

Alors, en attendant le départ, « il fit un échange avec Bermond de Sommières, daté du même mois. Par cet échange, Bermond céda au roi la ville de Sommières, avec la tour du château qu’il avait autrefois remise pour un temps à son sénéchal de Beaucaire, Peregrin Latinier, le château de Calberte avec toutes ses appartenances et les domaines qu’il possédait dans la vallée de ce nom. Le roi lui donna en échange le château du Cailar et toutes ses dépendances ».
Et puis, dans la foulée, Louis IX fit avec l’Abbaye voisine de Psalmodi, l’échange de terres sous les murs de Sommières en contrepartie du territoire où se trouve Aigues-mortes.
Le pouvoir royal possède désormais son propre port sur la Méditerranée, protégé de l’intérieur par sa place forte de Sommières... en attendant les fameux remparts. De plus, avant de lever l’ancre, le roi chargea son sénéchal de faire démanteler quelques forteresses privées, quitte à dédommager leur estimable propriétaire.

Les frères de Pierre-Bermond et leurs descendants vont se maintenir longtemps sur leurs terres puisque un demi-siècle plus tard, en 1303, une assemblée des nobles de la sénéchaussée se tenant à Montpellier, on verra y participer « Roger d’Anduze, seigneur de Florac » et « Pons-Bermond, seigneur du Cailar ».
Mais on y verra aussi «Raimond Pelet, seigneur d’Alais»; sa maison y est donc toujours présente car, on s’en souvient, ses ancêtres, bien qu’apparenté à Anduze, s’étaient désolidarisés du comte de Toulouse.
En 1249 , Raimond VII meurt à Millau, sans avoir eu de fils. Dès lors, comme prévu au traité de 1229, sa fille Jeanne et Alphonse son mari, frère du roi, héritent du comté de Toulouse. Et puis en 1254, c’est au tour de l’irréductible Pierre-Bermond VII de décéder à 51 ans à Narbonne où il s’était retiré chez sa fille Philippa. Son fils Guillaume, seigneur d’Olargues par mariage, devient donc seigneur d’Hierle, terre qu’il revendra trente ans plus tard. Sa lignée s’arrêtera avec son fils Bernard.
Cette même année 1254, Louis IX revenant enfin de sa difficile croisade, eut connaissance des excès de zèle de ses sénéchaux et viguiers ; épris de justice, il donna donc des instructions pour que soient restitués ou indemnisés « les biens injustement unis au domaine royal ». C’est ainsi, par exemple, que le château de Durfort fut rendu en 1255 à Jean et Bernard de Sauve, et à Gaucelm de Durfort.
Par contre, les efforts de Guillaume pour récupérer la baronnie de Sauve restèrent vains. D’ailleurs, sans doute pour ôter à sa famille tout espoir de retour dans les murs ancestraux, le roi avait ordonné que le château d’Anduze soit complètement rasé, ce qui fut fait en 1256.
Il ne reste de ce « château vieux » que des pans de murs et les salles basses du donjon initial, par la suite transformées en prisons…

Pierre Gaussent


Ce texte sur les seigneurs d'Anduze est tiré d'un ouvrage édité à compte d'auteur pour ses enfants et petits enfants car le sujet principal est l'étude de l'origine du patronyme familial. Pierre Gaussent (1924 - 2012) se disait surtout curieux d'Histoire. Ingénieur des Industries Agricoles (ENSIA) il fut un des plus grands spécialistes des techniques de distillation. Natif de Nîmes, il était issu d'une famille connue à Calvisson depuis au moins quatre siècles.

4 mars 2015

Anduze au Moyen-âge - X

La tourmente et la foudre

Le seigneur d’Anduze et Sauve, qui vient de monter d’une marche dans le concert des grandes familles, va se trouver entraîné dans la grande politique. La croisade contre les Albigeois est passée depuis longtemps sans mal pour ses gens et ses terres ; plus au Sud pourtant, reprise en mains par les sénéchaux, se poursuit la traque contre les cathares qui, abandonnant leur non-violence, se livrent à la guérilla. Le Pape a envoyé vers eux des Dominicains mais leurs prêches ne suffisant pas, il les charge « d’enquêtes » et c’est le début vers 1234 de « l’Inquisition » de sinistre mémoire.
Le comte Raymond VII essaie bien d’en atténuer les effets mais il a d’autres préoccupations qui l’opposent au roi Louis IX. Il a toujours des visées sur la Provence auxquelles le roi met un coup d’arrêt en 1239. Celui-ci en effet a épousé en 1234 Marguerite, fille de Raimond-Béranger de Provence. Or il y a deux autres héritières et Raymond VII voudrait bien avoir enfin un fils qui remettrait en question le traité de 1229, quitte à répudier Sancie d’Aragon. Alors il complote avec le roi d’Aragon... neveu de Sancie.

1240 est l’année où Trencavel, fils de l’ex-vicomte de Béziers, a lancé son expédition arrêtée sous les murs de Carcassonne. Le comte de Toulouse en est resté prudemment à l’écart... mais Pierre-Bermond VII y aurait apporté son aide.
Enfin en 1241, Alphonse, frère de Louis IX et donc gendre de Raimond VII, est officiellement nommé comte de Poitou et d’Auvergne, ce qui ne plaît pas du tout aux grands seigneurs de l’Ouest et entre autres à Hugues de Lusignan, comte de la Marche, mais surtout à la comtesse ; celle-ci était justement Isabelle qui, à la mort de Jean-sans-Terre, avait épousé le comte Hugues, aboutissement d’un vieux roman d’amour : il avait été son premier fiancé...
Il se crée donc une puissante ligue où entrent le fils d’Isabelle, Henri III Plantagenet qui considère que ces terres lui sont usurpées, le roi d’Aragon circonvenu par le comte Raimond VII , qui lui-même entraîne avec lui ses vassaux Pierre Bermond VII et le seigneur de Lunel Raimond-Gaucelm V, entre autres. Harcelé par sa chère Isabelle mais conscient du faux pas, Hugues de Lusignan refuse toujours l’hommage à son nouveau suzerain Alphonse. Alors le roi lui-même envahit en avril 1242 les domaines du beau-frère de Pierre-Bermond VII. Celui-ci, on s’en souvient, avait fait serment en 1218 au comte de Toulouse de le servir envers et contre tous, excepté contre le roi de France à moins qu’il refusât de lui faire justice...
Sans doute estima-t-il que cette réserve concernait aussi la famille de son épouse et le déliait de son hommage-lige de 1226 au roi ? En fait, le roi lui tiendra sévèrement rigueur de son entrée dans la ligue.

En attendant, la ligue s’organise mais avec retard, dû semble-t-il au fait que Raimond VII est tombé gravement malade en Mars ; et ce n’est qu’en Avril, alors que Louis IX a lancé son offensive, que le comte charge son connétable Raimond-Gaucelm de Lunel de décider les vassaux à prendre les armes. En Mai, le roi Henri III débarqua ses troupes à Royan mais la jonction des ligueurs ne se fera pas et Louis IX va successivement battre le roi d’Angleterre en Juillet à Taillebourg sur la Charente, et puis à Saintes contraindre Hugues de Lusignan et Isabelle à se rendre et demander leur pardon.
Henri III, d’abord replié sur Bordeaux, se rembarque vers l’Angleterre non sans avoir encore signé une autre alliance avec Raimond VII… inutile car il va conclure une trêve de cinq ans avec le roi de France !
Le comte de Toulouse, comprenant qu’il n’a rien à en attendre et attaqué par ailleurs en Quercy par les troupes royales de Humbert de Beaujeu, en conclut qu’il n’a plus qu’à aller à nouveau rencontrer le roi. Et c’est en Janvier 1243 à Lorris en Gatinais qu’est signé un traité confirmant le précédent et où il s’engage à la soumission de ses vassaux.

Le saint roi Louis IX fut assez gentil avec Raimond VII, lui laissant Toulouse et quelques domaines, et il lui confiera même des missions diplomatiques. Mais cette fois c’est vraiment la fin de la domination quatre fois centenaire de la Maison de Toulouse sur le Midi.
A Lorris, le comte était accompagné de son fidèle connétable Raimond-Gaucelm qui fit aussi sa soumission et moyennant promesse de démanteler ses dernières fortifications, s’en tira très bien : il garda sa baronnie de Lunel. Mais Pierre-Bermond VII d’Anduze et Sauve n’est pas allé à Lorris, et n’a pas l’intention de répondre aux injonctions du pouvoir. Par fierté, pense Jean Germain, et c’est très vraisemblable : en remontant jusqu’aux temps wisigothiques, on n’a jamais vu un seigneur d’Anduze devoir s’humilier devant qui que ce fût... Cette maison a toujours été pour celle de Toulouse une alliée solide, y compris en affichant quelquefois son indépendance face à des écarts de conduite de ses comtes, et ceux-ci l’ont respectée. On peut se demander si Pierre-Bermond VII aurait épousé Josserande de Poitiers s’il avait encore bénéficié des conseils éclairés de feu son grand-père Bernard VII ; ou tout au moins ne se serait-il pas laissé entraîner dans cette aventureuse ligue dont les véritables raisons ne le concernaient pas.

L’emprise totale du pouvoir royal sur le Languedoc est maintenant irréversible et pour l’heure, Pierre-Bermond VII sait bien que ses prises de position ont accumulé de graves ressentiments à la cour où la reine-mère, surtout, entend régler ses comptes. Resté seul opposant, il est finalement contraint à se rendre après un « baroud d’honneur » contre une expédition militaire sur Sauve si l’on en croit Jean Germain.
C’est alors que le nouveau sénéchal de Beaucaire et Nîmes, Oudard de Villars, en Avril de cette année 1243, reçut une charte du roi Louis IX lui ordonnant « d’assigner six cents livres tournois de rente annuelle à Pierre Bermond, seigneur d’Anduze, sur le pays d’Hierle et sur le château de Roquedur, à condition que Bermond les tiendrait, ainsi que ses héritiers, en hommage lige ».
Le roi se réserve aussi d’en détruire les fortifications qu’il jugera utile et défend d’en faire de nouvelles sans autorisation. « Il fut, de plus, fait défense à Bermond d’entrer, lui et ses héritiers, sans son consentement, dans les châteaux et villes d’Alais, d’Anduze, de Sauve et de Sommières que le roi venait de lui confisquer et d’unir en partie au domaine royal »... ainsi que bien d’autres de ses possessions en Cévennes. Enfin le roi se réserve « sur les terres assignées quarante cinq marcs d’argent du poids d’Hierle, payable tous les ans »... La terre d’Hierle était, avec ses minerais, une des plus anciennes possessions des seigneurs d’Anduze.

A 40 ans, Pierre-Bermond, qui n’avait plus évidemment les bénéfices de ses ateliers monétaires, allait donc devoir réduire considérablement son train de vie et ses libéralités. Ayant d’abord accepté, il s’avisa de se plain-dre au roi de ce que les terres en question ne pouvaient produire 600 livres de rente ; mais il fut débouté de sa demande, le revenu réel étant apparu au moins dix pour cent plus élevé après enquête. La transposition de ce montant en monnaie actuelle n’aurait guère de signification, l’économie féodale de l’époque étant tellement différente. Néanmoins, cela constituait une confortable retraite sachant que le revenu d’un seigneur à l’aise était trois fois plus faible et d’ailleurs, quatre ans plus tard, c’est bien aussi une rente de 600 livres qui sera attribuée à Raimond Trencavel II dernier vicomte de Béziers et Carcassonne en échange de son désistement total de ses droits et titres, on l’a vu ; ce devait être le tarif... Tous les deux, en d’autres temps, auraient pu y laisser leur tête !

Louis IX tourne ainsi simplement la page ; l’avant-dernière de leurs sagas. Après avoir été tout à l’origine de ces déboires, une tragédie voit aussi en même temps se tourner une page : profitant de ces derniers conflits les Cathares, excédés par les abus des religieux inquisiteurs, se sont déchaînés jusqu’à en massacrer un groupe près de Castelnaudary. C’est ce qui décida le sénéchal de Carcassonne à forcer leur principale place forte, le château de Montségur, qui dût capituler le 3 Mars 1244 et où deux cents « parfaits » irréductibles dans leur foi furent brûlés vifs au pied de ce nid d’aigles sur le « Prat des Cremats ». Ce n’est pourtant qu’en 1255 que leur dernière place tombera, le château de Quéribus.

Pierre Gaussent - A suivre