C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

28 novembre 2014

Pierre-Albert Clément s'en est allé, par le chemin…

C'est avec tristesse que nous avons appris la disparition de Pierre-Albert Clément ce mercredi 26 novembre 2014 à Alès. Cet homme simple et discret, mais au charisme certain en public, au parcours atypique – avec notamment son étonnante période d'organisateur de spectacles à Canaules avec des célébrités nationales de l'époque – qui caractérise souvent les personnalités hors du commun, était encore à 90 ans l'infatigable chercheur dont la curiosité et l'enthousiasme étaient restés intacts.
L'écrivain prolifique qu'il fut nous laisse de nombreux ouvrages qui sont devenus pour certains des références incontournables dans leurs domaines, comme par exemple " Les chemins à travers les âges en Cévennes et bas Languedoc " ou les " Eglises romanes du bas Languedoc " et autre " Via Domitia ".
Si sa réputation est d'abord le résultat d'un travail acharné avec une rigueur sans faille dans ses recherches, il était loin d'être aussi un homme sans humour ! La publication d'un roman sur l'histoire d'un muletier au XVI ème siècle, truffé d'anecdotes savoureuses, en est entre autres une parfaite illustration.
Régulièrement de passage dans notre cité, il l'aimait et la connaissait particulièrement bien. Nous conservons un excellent souvenir de la présence de ce grand érudit pour une conférence sur notre histoire locale en septembre 2008, lors des Journées du Patrimoine.
Il ne fait aucun doute que Pierre-Albert Clément laisse l'une des plus grandes traces, celles qui sont indélébiles, dans notre histoire culturelle régionale.

24 novembre 2014

Anduze au Moyen-âge - IV


Les Bernard et Bermond d’Anduze et Sauve (suite)

Bernard II, devenu veuf, s’est remarié en 1013 avec Garsinde, vicomtesse de Béziers et Agde, veuve du comte de Carcassonne Raimond-Roger. De Raimond-Roger elle avait deux fils : Guillaume qui devint comte de Carcassonne et Pierre qui eut Béziers et Agde. C’est une fille de ce dernier, Ermengarde, qui apportera l’ensemble de cet héritage au vicomte de Nîmes Raimond-Bernard Trencavel. Bernard II et Garsinde eurent encore deux autres fils ; l’un, Raimond, mourra sans postérité et l’autre fut destiné à la seigneurie de Sauve, le futur Pierre-Bermond I. En attendant sa majorité, Bernard II continua bien entendu à gérer l’ensemble des domaines avec Almérade qui avait pour lot Anduze, Barre, Portes et Peyremale.
Barre contrôlait la Vallée Française ; Portes, sur son col, surveillait la « voie Régordane » menant de Nîmes au Puy dont, rappelons-le, les évêques étaient respectivement les frères Géraud et Frédol.
Quant à Peyremale, non loin de Portes, son château contrôlait la Haute Cèze et se trouvait dans le diocèse d’Uzès ; la région, notamment vers Génolhac, recelait aussi du plomb argentifère...

Il va de soi que circuler au pied de ces places avec des marchandises impliquait l’acquittement d’un péage destiné à l’entretien des routes et leur sécurité, ce qui devait laisser une bonne marge pour le seigneur du lieu, à voir leur attachement à cette fiscalité. Certains voudront même en abuser ! C’est sous Bernard II que Sauve prend de l’importance comme point de convergence des échanges commerciaux par les vallées trans-cévenoles. Au Sud, malgré l’alliance avec la baronnie de Lunel, son influence directe s’arrêtait à Sommières et ce n’est peut-être pas non plus une coïncidence s’il y reconstruit en 1024 la forteresse wisigothique.
Mais ce personnage riche, maître ou suzerain de nombreuses seigneuries, descendant présumé d’une lignée de seigneurs indépendants remontant, pourquoi pas, aux temps des rois de Tolède, est tout simplement Bernard d’Anduze face à tous ces vicomtes, comtes et marquis qu’il côtoie... Cela ne manque-t-il pas d’un peu de panache pour son épouse Garsinde, d’illustre famille, et pour ses enfants aussi ?

C’est alors que, dans un acte notifiant sa généreuse donation à une église, l'on voit Bernard d’Anduze qualifié de « Marchio », marquis d’Anduze ! Et le Dr Paulet de nous expliquer que c’est bien normal puisque ses terres sont une « Marche » aux confins de celles de Maguelone... Bien mince justification d’autant plus que Maguelone n’était même pas encore fief pontifical, ou alors le titre est fort déprécié depuis sa définition Carolingienne.
En fait il y a encore à ce moment un titre de marquis de Gothie, mais porté par le comte de Rouergue. La fierté de Bernard d’Anduze ne devait pas trop s’accommoder de cette décoration factice quand la gloire de ses propres ancêtres pouvait lui en fournir de moins dorées peut-être mais plus authentiques.
En effet, en octobre 1020, son fils Géraud étant devenu évêque de Nîmes, il lui fit donation, ainsi qu’à sa cathédrale et conjointement avec ses deux autres fils Frédol et Almérade, d’un domaine probablement hérité de sa première épouse Ermengarde. Dans l’acte, auquel assistèrent ses derniers fils Raimond et Bermond avec leur mère Garsinde, Bernard s’y intitule « miles pellitus » soit chevalier à la fourrure, ce que Léon Ménard dans son " Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la Ville de Nîmes " commente ainsi :

« On peut conjecturer par ce titre qu’il avait droit de porter une espèce de fourrure qui pouvait être d’hermine, de vair, de martre zibeline ou de quelque autre peau rare et recherchée, et qui devait marquer le degré de chevalerie le plus éminent. C’est ainsi que les rois Wisigoths portaient autrefois ces sortes de fourrures, ce qui leur faisait donner, comme l’a fait Sidoine Apollinaire, le titre de Princeps Pellitus ».

Voilà qui laisse à penser que les seigneurs d’Anduze étaient toujours habités par le souvenir des traditions wisigothiques. Ce n’est certes pas une preuve de cette origine mais un bon indice de plus.
Ce qualificatif devait plaire dans la famille car certains vont le garder comme patronyme : un peu plus tard quand il apparaît que le seigneur d’Anduze est co-seigneur d’Alais, l’autre co-seigneur s’appelle Raimond Pelet... Nous retrouverons les descendants de ce dernier à Alais jusqu’au début du XIVème siècle ; tous des « Pelet », Raimond, Bernard, Bermond, etc., et toujours co-seigneurs avec Anduze jusqu’en 1243. (voir aussi l'excellent ouvrage du grand spécialiste de la fin de l'Antiquité et du Haut Moyen-âge, André Bonnery, " La Septimanie au regard de l'Histoire " qui aborde ce sujet. Phil Gaussent).

Mais nous n’en avons pas fini avec les titres de Bernard II car le Dr Paulet relate une autre donation en 1024 à l’église d’Agde faite sans doute pour plaire à sa femme qui en était vicomtesse ; et l’acte porte : « Consilio et voluntate domini principis Bernardi de Andusia...». Et notre sympathique docteur lui donne aussitôt les titres de « seigneur et prince d’Anduze ». Il semble plus raisonnable de traduire « premier seigneur d’Anduze », sachant surtout qu’il avait alors associé son fils Almérade à la seigneurie. C’est aussi l’avis du Dr Viguier.
Cependant c’est à tort que nos auteurs se plaisent à monter en épingle cette anecdote, car le terme de prince n’était pas alors un titre avec la signification précise que nos rois lui donneront plus tard :
En ces temps, un domaine transmis héréditairement dans une famille depuis très longtemps, avant l’instauration de l’autorité Franque et qui avait échappé à la conquête, était appelé un « alleu ». C’était un domaine en pleine propriété, indépendant de toute suzeraineté officielle et donc non soumis aux impôts et redevances. Et souvent en effet, le seigneur s’en intitulait lui-même le prince, ce qui ne lui donnait d’autres prérogatives que sa seule satisfaction d’amour-propre ; mais il traduisait une indépendance réelle.

Anduze remplissait sans aucun doute les conditions d’un alleu et le comportement de ses seigneurs le confirme assez. Il y avait naturellement beaucoup de « terres allodiales » dans l’ancienne Septimanie et que l’on retrouve fréquemment mentionnées dans les actes de donation ou de vente de l’époque. Ces derniers alleux ne sont souvent que de petites propriétés résultant de partages successifs selon les principes des lois romano-wisigothiques toujours en vigueur dans le Midi. Ces principes assez respectés chez les paysans libres conduisaient bien sûr à l’éparpillement du patrimoine ; aussi les maisons seigneuriales évitaient ce grave inconvénient en usant d'un autre principe de ces lois : le droit absolu du chef de famille de distribuer par testament ses biens fonciers et financiers (dot pour les filles le plus souvent) assorti de clauses de substitution en cas de décès sans descendance d’un héritier. De la sorte l’ensemble des domaines ou seigneuries restait sous l’autorité des plus aptes à maintenir la puissance et l’indépendance du clan.

Ecrites ou non, ces dispositions ont toujours présidé à l’histoire de la Maison d’Anduze et Sauve comme on va le voir.

Pierre Gaussent - A suivre.

14 novembre 2014

Anduze au Moyen-âge - III

Les Bernard et Bermond d’Anduze et Sauve

Bernard II d’Anduze épousa Ermangarde vers 990 et apparaît bientôt être également le maître de nombreux fiefs dont le pays d'Hierle, de Sauve, d'Alais, de Barre, de Portes, de Sommières cette vieille forteresse wisigothique. Lunel est sans doute déjà en relations étroites, sinon aussi un fief.
On le voit, des sommets cévenols jusqu’à la mer s’échelonnent les possessions du seigneur d’Anduze et en particulier tout au long de la vallée du Vidourle, ce qui lui assurait une voie indépendante et sûre pour ses échanges commerciaux même lointains.
En effet, le Vidourle se jetait alors dans l’étang de Mauguio, en communication avec la Méditerranée. Près de l’embouchure, sur l’étang, existait d’ailleurs un port et un bourg pas très loin de l’abbaye de Psalmodi et de Lunel. Il s’appelait justement « Portus » et était assez important puisque s’y est tenu en 887 un concile présidé par l’archevêque de Narbonne et un autre en 897. Portus, par la suite, dut être ensablé et emporté par les crues du Vidourle, ou supplanté par le port de Saint-Gilles. Aujourd’hui, il n’en subsiste aucun vestige sauf dans le nom de deux mas.

On peut penser que par cette vallée jalonnée de places fortes étaient véhiculés notamment les métaux extraits des mines cévenoles et surtout l’argent fourni aux ateliers de frappe monétaires du comté de Melgueil, laissant dans la transaction de confortables bénéfices au seigneur d’Anduze.
Le « sol Melgorien », apprécié des marchands orientaux, valait 8 « sols tournois » des ateliers de Tours par exemple. Mais le sol était devenu monnaie de compte pour les marchés, comme la livre qui valait 20 sols. Il n’y avait plus de sous d’or depuis 815 et le commerce ordinaire utilisait des pièces d’argent : le « denier » et « l’obole » ou demi-denier ; 1 sol correspondait à 12 deniers ; et pour fixer les idées le prix d’une vache tournait autour de 6 sols Melgoriens vers l’an 1000 ; il faut le préciser car on connaissait aussi l’inflation...
Il est curieux de constater comment se sont perpétuées ces appellations : certes le denier et l’obole ne signifient plus que des quantités négligeables, et la livre, restée unité de compte jusqu’à la révolution française, est devenue le « Franc » fractionné en centimes (on avait pourtant connu un franc d’or au XIVème siècle) ; mais encore à la veille de la guerre de 1939, on entendait les gens appeler couramment un « sou » la pièce de 5 centimes et bien sûr « 20 sous » celle de 1 franc, qui leur permettait de s’acheter non pas trois vaches mais... le journal !

Revenons donc un millénaire en arrière ; Bernard II d’Anduze et Ermangarde ont eu trois fils :
Almérade, associé par son père à la seigneurie d’Anduze.
Frédol qui, devenu évêque du Puy en 1016, sera remarqué pour son action bienfaitrice par le Pape Benoît VIII.
Géraud que nous avons vu succéder de 1019 à 1027 à Frotaire, à l’évêché de Nîmes.
Et peut-être y a-t-il eu un Bermond placé comme co-seigneur à Sommières ; on en voit un en 1029 et les Bermond et Pons-Bermond vont y apparaître en diverses occasions pendant plus de deux siècles.
Par contre on ne rencontrera jamais de fils d’Anduze à Lunel :
En fait on ne sait pas comment ni quand Anduze aurait pris pied à Lunel qui faisait partie du diocèse de Maguelone ; il est probable que cette baronnie, créée paraît-il en 888, a été à l’origine incluse dans les limites du comté de Melgueil ; mais peut-être aussi domaine privé d’une famille également wisigothique.

Selon Thomas Millerot (" Histoire de la ville de Lunel " vers 1880), Lunel appartenait au seigneur d’Anduze puisque Bernard II la « céda » vers l’an 1000 à la famille Gaucelm. On ne connaît pas la date exacte mais c’est à ce moment (1004 et 1007) qu’un Gaucelm seigneur de Lunel se manifeste dans divers actes.
En revanche, si à plusieurs reprises un Gaucelm de Lunel s’affiche vassal du seigneur d’Anduze et Sauve, cette « cession » ne nous est attestée que par un acte d’hommage au Sénéchal Royal de Beaucaire et Nîmes deux siècles et demi plus tard ! Il est dit dans cet acte daté de 1257 « [...] ego Raymondus Gaucelm dominus Lunelli recognosco [...] quod antecessores mei tenebant Lunellum a Bernardo de Anduzia, domino de Salve sub forma et conventionibus infra scriptis, videlicet quod dicti antecessores mei tenebantur facere hominium et fidelitatem jurare eidem Bernardo de Andusia et successoribus ejus pro baronia de Salve et [...] », ce qui signifie : « Moi Raimond Gaucelm, seigneur de Lunel, je reconnais [...] que mes prédécesseurs tenaient Lunel de Bernard d’Anduze, seigneur de Sauve sous la forme et les conventions ci-après, étant bien entendu que mes dits prédécesseurs devraient rendre hommage et jurer fidélité à Bernard d’Anduze lui-même et à ses successeurs au titre de la baronnie de Sauve...» ; et il était précisé qu’à sa demande et pour les périodes en usage, ils devaient les suivre à la guerre eux-mêmes, ou un des leurs, avec quatre chevaliers entretenus aux frais du dit seigneur d’Anduze ou de ses successeurs pour la baronnie de Sauve. Et en contrepartie ceux-ci s’engageaient à aider et secourir Gaucelm et les siens en cas de nécessité.
Il est également précisé que les terres de Lunel en question s’étendaient du Vidourle à la rivière du Bérange et de Saint Sériès jusqu’à la mer ; c’était un territoire assez considérable.

Les raisons de cette « cession » n’y sont pas dites, mais le texte laisse penser qu’il s’agit d’autre chose :
Lunel pouvait être un « alleu » propriété des Gaucelm, vieille famille de Septimanie. Ils l’auraient alors soumis à Bernard d’Anduze qui le leur aurait aussitôt rendu en fief pour « le tenir de lui » selon la coutume féodale. Ce véritable traité d’assistance mutuelle se concluait en général lorsque l’un des partenaires éprouvait la nécessité d’avoir la protection d’un plus puissant, et ici l’intérêt des deux convergeaient de façon évidente.
On remarquera d’abord que le seigneur de Lunel paraît engagé envers Bernard d’Anduze seulement vis-à-vis de sa baronnie de Sauve, « Bernardus de Andusia pro baronia de Salve », on y insiste à sept reprises dans l’acte... Mais peut-être ce détail a son explication dans le contexte de l’hommage au Sénéchal ?
L’autre observation porte sur l’engagement formel de Bernard relatif à l’intégrité des domaines et ressortissants des Gaucelm, de sa part comme de ses descendants. Il n’est pas irréel alors d’imaginer que cet acte formalisait une alliance dans le cadre d’une lutte d’influences autour de la monnaie de Melgueil, peut-être depuis l’implantation des nouveaux vicomtes héréditaires de Nîmes dont l’histoire montrera par la suite les grandes ambitions.
D’ailleurs le Comte de Melgueil venait justement de créer, en 985, la seigneurie de Montpellier au profit d’un de ses fidèles... Sage précaution ou simple coïncidence ?

En poursuivant dans cette dernière hypothèse, ce n’est plus une simple coïncidence si le très indépendant seigneur d’Anduze et de Sauve Bernard II décide peu de temps après, vers 1010, de garder son minerai et créer son propre atelier de frappe de monnaie.
On en connaît trois pièces marquées au nom des deux villes, dont un denier d’argent équivalent paraît-il à six ou sept deniers de Melgueil et qui était fort apprécié : le « Bernardin ».

Pierre Gaussent - A suivre