C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

19 février 2015

Anduze au Moyen-âge - IX

Le temps des orages (suite)

Après le comte Raimond VI subitement décédé en 1222, c’est le tour du vieux grand-père Bernard VII en 1223 de mourir non sans avoir redistribué ses domaines, c’est-à-dire que Pierre Bermond VII le nouveau chef de famille a presque tout, mais des deux autres petits-fils, Raimond récupère Florac et un quart d’Anduze, tandis que Bermond devient co-seigneur de Sommières. Son fils Bernard VIII ne pouvait espérer de cadeau mais il meurt lui aussi cette même année ; si bien que son épouse, au nom des enfants dut en appeler au pape lui-même pour que leurs droits soient établis.
C’est Arnaud, l’évêque de Nîmes, un fidèle des Montfort, qui fut chargé du jugement, assisté de deux oncles des parties, Bernard le moine de Mazan et Bermond devenu l’année précédente évêque de Viviers.
La sentence fut très politique car Pierre-Bermond VII récupéra ses domaines Alaisiens dont la co-seigneurie, tandis que les enfants de Bernard VIII se contentèrent de trois châteaux et des revenus de péages à Portes et Alais, sous la suzeraineté de leur cousin Pierre-Bermond.

Cette même année 1223 est mort aussi le roi Philippe Auguste qui n’avait jamais voulu s’impliquer dans la croisade contre les Cathares et contre son cousin le comte de Toulouse. Son fils et successeur Louis VIII est marié depuis 1200 avec Blanche de Castille. Celle-ci, femme énergique et dominatrice, sous l’influence de son grand ami le cardinal de Saint-Ange, légat du pape, pousse son époux à reprendre la guerre contre le comte de Toulouse qui, laissant se développer le catharisme, voit l’agitation se refaire contre lui chez les évêques. Malgré ses dénégations Raimond VII est excommunié et le roi se voit offrir un prétexte de plus à envahir ses terres par Amaury de Montfort qui vient de lui céder tous ses « droits » sur les conquêtes de son propre père... qu’il s’est avéré incapable de conserver.
La croisade est donc repartie avec une forte armée et en juin 1226 le roi est obligé d’assiéger Avignon pendant trois mois et demi à la suite d’une mésentente sur la traversée du Rhône par l’armée.
Ce délai est mis à profit par Louis VIII pour recevoir la libre soumission de plusieurs villes, inquiètes du rapport des forces : Nîmes et les Chevaliers des Arènes, puis Beaucaire. De même de nombreux seigneurs viennent devant Avignon faire acte d’allégeance, seule attitude raisonnable pour l’instant ; et Pierre-Bermond VII en fait autant dans l’été 1226, reconnaissant tenir du roi tous ses domaines d’Anduze, Sauve, Alès, etc., sauf ceux qu’il détient en fief de plusieurs évêques.
C’est dans les semaines suivantes que Jean Germain situe une aventure romanesque entre la reine Blanche et Pierre-Bermond... du moins selon une légende.

Louis VIII alors, pour asseoir la domination royale, installe un « sénéchal de Beaucaire et Nîmes », sorte de gouverneur pour toute la région, soient les diocèses de Maguelone, Nîmes, Uzès, Viviers, Mende et Le Puy. Le chevalier Peregrin-Latinier fut le premier sénéchal. Le roi ensuite continue sa promenade militaire et nomme un autre sénéchal à Carcassonne.
Mais le souverain est malade et en butte à un complot de grands seigneurs ; il renonce à attaquer Toulouse défendue par Raimond VII, allié au comte de Foix. Il doit repartir vers le Nord et meurt à Montpensier le 3 Novembre 1226 après avoir confié la régence à Blanche de Castille, car leur fils Louis IX n’a que douze ans, et la suite des opérations militaires à Humbert de Beaujeu.
La reine mère, usant de la ruse, tient tête aux complots alternés de soumissions des comtes de Champagne, son incorrigible amoureux, de Bretagne, de Lusignan, ainsi qu’à Henri III Plantagenet leur allié. Cette ligue s’effrite donc, et Raimond VII de Toulouse qui s’y était joint se retrouve seul et préfère traiter. Après plusieurs mois de discussions à Meaux, le 12 Avril 1229 à Notre Dame de Paris, le comte reçoit l’absolution de son excommunication. Mais dans son traité avec le roi, il lui céda le duché de Narbonne, les comtés particuliers de Narbonne, de Béziers, d’Agde, de Maguelonne ou Meilgueil, de Nîmes, d’Uzès, de Viviers ; tous ses droits sur ceux de Velai, de Gévaudan et de Lodève, une partie du Toulousain, la vicomté de Gévaudan ou de Grezes.

Raimond VII garde donc Toulouse, le Rouergue, l’Agenais, le Quercy et en partie l’Albigeois. Par contre le marquisat de Provence était cédé à la papauté, et deviendra le comtat Venaissin. Enfin ce rude traité prévoyait le mariage de Jeanne, l’unique enfant qu’a eu le comte avec Sancie d’Aragon en 1220, avec Alphonse, frère du roi ; ce qui, étant donnée leur jeunesse, n’interviendra qu’en 1237.
Depuis la soumission au roi, il semble qu’on soit sur les terres de la famille d’Anduze-Sauve en bonne intelligence avec le sénéchal Pérégrin-Latinier qui d’ailleurs n’intervient pas dans l’autorité et la justice des seigneurs de sa sénéchaussée. Seul, Bermond de Sauve, l’évêque de Viviers, eut avec lui un différend à propos de reconnaissances de fiefs de son église, une affaire qui ne se résoudra qu’en 1305. On dut même vivre une bonne décennie tranquille surtout après 1229. Pierre-Bermond VII pouvait se dire fidèle à la fois à son serment de 1218 au père de Raimond VII comme à celui de 1226 au roi, en restant neutre dans le dernier conflit du comte, mais il a dû trouver très sévères les conditions du traité et son attitude va changer.

Entre-temps on peut le voir toujours s’occuper de ses mines d’argent et de cuivre puisqu’il accorde en 1228 des privilèges aux mineurs, habitants de la terre d’Hierle. Cela s’est passé à Ganges et pour leur application s’engagent aussi « son frère B. Trencasers et P. de Leques son bailli ». Enfin en 1229 Pierre-Bermond VII épouse Josserande de Poitiers dont il aura trois garçons et deux filles. Josserande était une des filles d’Aymar III d’Angoulême et de Philippa de la Voulte – une voisine de l’évêque de Viviers. Mais Josserande a pour sœur Isabelle, veuve du roi Jean-sans-Terre et mère d’Henri III roi d’Angleterre depuis 1216. C’était donc en apparence pour le seigneur d’Anduze-Sauve un très beau mariage. On imaginerait volontiers qu’il fut favorisé par le comte de Toulouse dont on connaît les alliances et qui souhaite sans doute ramener son cousin Pierre-Bermond dans son camp. C’était un engrenage dangereux...

Pierre Gaussent - A suivre

6 février 2015

On a beau dire, à Anduze la philosophie c'est du latin !…

Pour le bon fonctionnement d'une bibliothèque et en l'occurrence celle d'Anduze, il est nécessaire périodiquement de procéder à ce que l'on appelle ici un " désherbage ", une opération consistant à retirer des étagères un certain nombre d'ouvrages jugés obsolètes pour les remplacer par de nouveaux titres, plus attrayants. Depuis des dizaines d'années ces livres " réformés " n'ont cessé de s'accumuler progressivement dans des cartons entreposés aujourd'hui sous les toits de la mairie.

Ces dernières semaines Sandrine et Chantal, nos agents du patrimoine qui gèrent la médiathèque, et moi-même décidions de braver le confort rudimentaire, le froid et la poussière de ce dernier étage pendant plusieurs matinées pour pouvoir enfin trier ces vieilles éditions, malheureusement loin d'avoir été toutes conservées dans les meilleures conditions. Il s'agissait pour nous de récupérer en priorité celles présentant un intérêt patrimonial indéniable et de les répertorier définitivement sur le listing du fond de la bibliothèque. C'est ainsi que nous avons pu découvrir de nombreux ouvrages des XVIII ème et début XIX ème siècle, à la reliure modeste et quelques fois abîmée mais encore solide, traitant toutes sortes de domaines. L'absence de tampons pour la quasi totalité d'entre eux nous confirme leur provenance : des dons de particuliers. Ils viennent compléter de façon moins clinquante mais tout aussi intéressante notre très belle collection de livres anciens de la salle du Conseil.

Une bonne surprise nous attendait parmi ces découvertes car l'une d'elles s'est révélée particulièrement exceptionnelle et émouvante avec celle d'un livre du XVI ème siècle habillé d'une couverture " muette " (sans textes) en vélin (peau d'agneau ou de veau). Daté de 1556, donc édité sous les règnes de Henry II et Catherine de Médicis, le texte en latin propose des traductions d'Aristote sur environ 750 pages dont les premières sont d'ailleurs annotées à la plume. Les deux traducteurs, Joachim Périon, moine bénédictin, et Nicolas de Grouchy (Montaigne fut son élève), protestant, étaient deux philologues réputés à l'époque …mais qui ne s'entendaient pas très bien sur l'interprétation des propos du philosophe grec !
De par l'ancienneté et la qualité de ce magnifique objet demeuré caché et ignoré pendant de si longues années, la municipalité, en le redécouvrant, remet à jour l'un des fleurons de la bibliothèque et par là même de notre patrimoine culturel anduzien.