C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

12 décembre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 9


Problèmes monétaires – Loi sur les émigrés.

Dans une période si troublée, la situation économique devient difficile ; elle ne peut que s’aggraver après la déclaration de guerre à l’Empereur germanique (20 avril 1792). La bonne monnaie (thésaurisée par certains particuliers) devient rare. Les assignats (billets gagés sur les biens nationaux) n’inspirent pas confiance ; ils se déprécient rapidement.
Dans 35 localités gardoises, on tente de remédier à cette situation par l’émission de billets de confiance, pour faciliter le règlement des petites transactions. A Anduze, deux délibérations municipales (avril et août 1792) décident l’émission de billets de 2, 3 et 5 sols.
Le 13 mai 1792 (trois semaines après la déclaration de guerre), l’administration départementale envoie aux 31 sociétés des « Amis de la Constitution » (Anduze a la sienne) un exemplaire de la loi du 29 avril, sur les émigrés. Le concours des sociétés est sollicité pour l’application de cette loi.

Le 14 juillet 1792 à Alais

Pour le second anniversaire de la Fédération Nationale, le serment fédératif doit être renouvelé. Les gardes nationales des diverses localités se rassemblent à Alès ; en fin de matinée, la cérémonie fédérative se déroule dans un ordre parfait.
Au début de l’après-midi, divers groupes de « légionnaires » et de femmes se dirigent vers le Fort ; ils veulent libérer certains prisonniers et en massacrer d’autres ; on envoie la Légion d’Anduze pour les disperser. Mais, vers 4 heures, les prisons sont forcées ; deux suspects prisonniers sont massacrés ; les administrateurs locaux proclament la loi martiale ; escortés par la cavalerie nationale d’Alais, d’Anduze et de St Jean du Gard, ils se dirigent vers les attroupés.
Les « factieux » se dispersent vers différents quartiers de la ville, dévastant des maisons, malgré les efforts de la Garde nationale d’Anduze. Son commandant, le négociant GAUTHIER, est menacé de coups de sabres et de baïonnettes ; il est sauvé par le dévouement de ses grenadiers. Les administrateurs parviennent à disperser les émeutiers.
 

Le recrutement des Compagnies franches

Pendant l’été 1792, la France est menacée d’invasion. Un décret de l’Assemblée législative proclame « La patrie en danger ». Le 10 août, une insurrection parisienne met fin au règne de Louis XVI ; la Législative se prépare à céder la place à une nouvelle Assemblée constituante : la Convention nationale.
Le Conseil de département se hâte d’appliquer la loi qui prévoit le recrutement de Compagnies franches  ; le nombre des volontaires dépasse l’objectif prévu. Le 20 août, les commissaires chargés du recrutement distinguent Anduze, Générargues et 7 autres communes gardoises qui ont fourni des volontaires avant même la réception de la loi.

La vie politique pendant l’été 1792

Le 19 août, à Nîmes, 25 clubs gardois (dont celui d’Anduze) forment un Comité central des Sociétés populaires. Le 26 août, les Assemblées primaires se réunissent, afin de choisir les 540 électeurs gardois qui désigneront les six députés du Gard à la Convention. Quatre assemblées locales (dont celle d’Anduze) approuvent solennellement les mesures prises, après le 10 août, par l’Assemblée législative.
L’Assemblée électorale du Gard se réunit le 2 septembre, à Beaucaire. Pour l’élection du Bureau, le doyen d’âge est assisté de trois scrutateurs : l’un d’entre eux est l’Anduzien FRAISSINET-GIBERT. L’Assemblée estime que le « Directoire du département et le procureur général syndic ont perdu la confiance des administrés pour avoir pris des arrêtés improuvant les évènements arrivés à Paris, le 20 juin et le 10 août dernier ». Les membres du Directoire démissionnent et demandent qu’on leur trouve des successeurs.
L’Assemblée électorale prie alors l’Assemblée législative de faire prononcer sans retard ces démissions ; elle lui fait parvenir un extrait du procès-verbal de la séance dans laquelle le corps électoral a déclaré que le Directoire et le procureur général syndic ont perdu la confiance des administrés.

Débuts de la Convention (An I)
L’administration départementale pendant l’automne 1792

Le 20 septembre 1792, la victoire de Valmy redresse la situation militaire. Le lendemain, 21 septembre, lors de sa première séance, la Convention proclame la République.
L’Administration départementale sortante achève sa mission. Le 5 novembre, le Directoire prononce la confiscation des biens des émigrés. Figure sur la liste : François, Denis, Auguste BEAUVOIR-BRISON (Anduze et Tornac). Un arrêté du 8 novembre réduit de moitié le nombre des notaires du Gard. Le district d’Alais (56 000 habitants) n’aura que 23 notaires au lieu de 50. Anduze conserve trois études notariales !
Le 14 novembre, à Uzès, l’Assemblée électorale du Gard élit sept membres du nouveau Directoire départemental, auxquels s’ajoute (le lendemain) l’Anduzien ROQUIER.

Le 18 novembre, 39 membres de l’Assemblée électorale (dont ROQUIER) contestent l’élection du nouveau président du tribunal criminel, VIGIER, président de la « Société des Républicains français » (Club modéré de Nîmes, concurrent de la « Société populaire des Amis de l’Egalité et de la Liberté »). Les 329 protestataires considèrent l’élection de VIGIER comme illégale (il a été élu en son absence) ; ils envisagent de faire casser cette élection. Leur protestation suscite de nombreux remous ; un membre de l’Assemblée demande la cassation de l’élection de ROQUIER au Directoire. L’Assemblée demande à la Convention nationale de faire remplacer ROQUIER « dernier membre du nouveau Directoire, signataire de la protestation et capteur de signatures ».
« La Convention sera invitée à priver, par un décret, pendant dix ans, du droit de citoyen, les signataires de cette protestation ». Le 19 novembre, plusieurs signataires se rétractent ; l’Assemblée écrit à la Convention :
« ROQUIER d’Anduze, membre du nouveau Directoire du département du Gard, signataire de cette protestation, ayant perdu la confiance de l’Assemblée, doit être remplacé par le premier suppléant de l’Administration. »
En fait, ROQUIER et VIGIER restent en fonction. Un an plus tard, (le 5 décembre 1793), le Conseil de département les décharge des inculpations portées contre eux.

A suivre.

28 novembre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 8

 
Dévastation et incendie des châteaux (Avril 1792)

L’affaire d’Avignon étant réglée, trois compagnies de la garde nationale, en garnison à Villeneuve, ont reçu l’ordre de se rendre à Arles, pour rejoindre leur bataillon (24 mars). Les volontaires souhaitent « faire la route par eau ». Deux grands bateaux seraient nécessaires ; on n’en trouve qu’un seul, sur lequel les trois compagnies s’embarquent. Quelques minutes après le départ, le bateau s’entrouvre ; 69 volontaires gardois sont noyés.
Dans la situation très tendue de cette période, on croit à un complot contre-révolutionnaire. Aux affaires d’Arles et d’Avignon s’ajoute, en Bas-Vivarais, le second rassemblement « d’aristocrates » au camp de JALES ; on redoute de plus en plus vivement les menées des prêtres réfractaires et des aristocrates émigrés. Tout cela est à l’origine de la « Jacquerie » d’Avril 1792, dévastatrice de nombreux châteaux dans tout le département.

Le 2 avril 1792, un attroupement de plusieurs centaines d’hommes armés se forme près de Mons. Le Directoire du district d’ALAIS y expédie soixante cavaliers, accompagnés des administrateurs ROQUIER et SUGIER ; on cerne les attroupés : ce sont des gardes nationaux du canton de Vézénobres, qui croyaient bien faire en allant désarmer des citoyens « suspects ». Ils rendent leurs armes et se retirent dans leurs villages.
Le soir du 3 avril, le château d’AIGREMONT est dévasté : la toiture est détruite, les meubles sont brûlés. Les dévastateurs se portent ensuite aux châteaux de MARUEJOLS et de CASSAGNOLES : ils fracassent les encadrements de fenêtres, abattent les arbres du verger, brûlent les meubles.
Le 4 avril, sur réquisition du Directoire départemental, le Directoire d’ALAIS envoie deux de ses membres à Lédignan, avec 30 cavaliers nationaux d’ALAIS, et surtout d’ANDUZE. On envoie aux Tavernes trois compagnies de grenadiers et un canon : les insurgés se retirent.
Les troupes rentrent à Alais. Mais on apprend alors le pillage et l’incendie du Château de LEZAN. Malgré les sommations, de nombreux habitants du village (parmi lesquels des gardes nationaux !) participent à cette opération.
Mêmes troubles dans le district de ST HIPPOLYTE DU FORT. Au soir du 4 avril, à CANAULES, une troupe armée dévaste la maison du prêtre réfractaire (dont les meubles sont brûlés). La bande découvre les tours du château, puis celles d’une maison appartenant à l’Anduzien OLODIER. Le même jour, à LASALLE, une troupe de 400 à 500 « Marseillais » (venus en réalité d’Anduze et de dix localités voisines) dévaste quatre manoirs, dont les meubles sont jetés dehors. La bande se fait héberger pour la nuit par des habitants du bourg.
Toujours le 4 avril, on incendie le château de TORNAC (propriété d’un Grenoblois). En même temps que le château, on détruit ses annexes : le pavillon de Bellefont et la « Glacière » de la madeleine. Des lettres rédigées par les administrateurs ROQUIER et SUGIER sont à l’origine des procès-verbaux établis, la semaine suivante, par la gendarmerie d’Alais et le juge de paix d’Anduze. Le district fait protéger les châteaux de LASCOURS, CARDET et RIBAUTE.

Le 5 avril, à ANDUZE, dans la plaine de la Bau, on dévaste la maison de campagne de l’homme de loi (GAILLERE) ; on détruit portes et fenêtres, vaisselle et mobilier, vases du jardin et orangers. Le même jour, à la nuit tombante, « une foule d’inconnus » arrive au mas de Prat-France (propriété du même GAILLERE). On saccage habitation et magnanerie ; une partie des bâtiments est incendiée. Les procès-verbaux établis, huit jours plus tard, par la gendarmerie d’Alais et la Sûreté d’Anduze, nous apprennent « qu’un prompt secours garantit le surplus de la maison ».

ROQUIER et SUGIER, commissaires du District, se rendent à Anduze le 6 avril ; cela leur vaut d’assister à un nouvel incendie de château : « A une distance peu éloignée de cette ville, un spectacle horrible pour de vrais citoyens s’est offert à nos yeux. Nous avons vu le ci-devant château de VEYRAC en proie aux flammes. Il était presque nuit ; nous nous y sommes transportés, quoiqu’il soit peu accessible à des hommes à cheval. Nous n’avons vu que des femmes et des enfants qui souriaient à cette espèce d’horreur ; les factieux s’étaient retirés ». Les procès-verbaux de la Sûreté d’Anduze et de la gendarmerie d’Alais (établis quelques jours plus tard) nous apprennent que les « factieux » ont tout brisé à l’intérieur, puis jeté au feu portes et fenêtres. Seule l’aile où logeait le fermier fut épargnée.

Le château de VEYRAC appartenait au Montpelliérain HOSTALIER, Seigneur de SAINT-JEAN DE GARDONNENQUE, où sa propriété est agressée, dans le même temps que celle d’Anduze. Les officiers municipaux de Saint-Jean constatent (avec CARDONNET, président du district, et un officier de police) :
« Quelques personnes, aveuglées par un patriotisme mal entendu, entrent dans le jardin de M. HOSTALIER. Elles abattent un mur, servant de clôture à une ancienne ruelle, qui lui avait été cédé par transaction. Dans cette circonstance, l’autorité de la municipalité fut méconnue par un grand nombre de citoyens, auxquels le vin avait ôté l’usage de la raison ». Pour éviter rixes et effusion de sang, les officiers municipaux préfèrent se retirer et souffrir une désobéissance momentanée, plutôt que d’agir avec sévérité.

Considérant la situation dans l’ensemble du district, les administrateurs ROQUIER et SUGIER écrivent : « l’anarchie est telle, que nous craignons que les gardes nationales ne refusent d’obéir à nos réquisitions ».  Le Directoire départemental constate qu’un très petit nombre de gardes nationales (dont celle d’Anduze) s’oppose aux dévastations. Le 8 avril, ROQUIER et SUGIER se rendent à Vézénobres, où l’on craint le pillage du château.

A suivre.

8 novembre 2015

Un poilu d'Anduze…

A l'approche de la commémoration du 11 novembre et dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, je vais évoquer la destinée d'un poilu anduzien dont le nom échappa de justesse à la trop longue liste figurant sur notre Monument aux Morts. Un véritable miraculé. Né le 12 mars 1890 à Anduze d'un père libraire et d'une mère institutrice, le caporal Alfred Genolhac reçut la balle d'un Maüser allemand en pleine tête, sa trajectoire allant de la tempe droite pour ressortir à la tempe gauche…
Voici son témoignage sous la forme d'un poème tiré d'un fascicule d'une vingtaine de pages, édité chez A. Castagnier (imprimeur anduzien) et regroupant sous le titre "Poésies d'un blessé" une série de textes composée par le soldat lors de sa convalescence, entre 1914 et 1916 :

Souffrance

Vous avez dû souffrir d’une telle blessure,
Dites-vous, endurer un supplice d’enfer ?
Eh bien vous vous trompez, Lecteurs, je vous l’assure,
Je ne me souviens pas d’avoir jamais souffert.

Il me serait aussi malaisé de décrire
L’effet que vous produit une balle en plein front,
Car je n’ai rien senti ; je ne puis que vous dire
Que, stupéfait, le soir, loin du bruit du canon,

Je m’éveillai couché dans un lit d’ambulance,
Me demandant parfois si je n’étais pas fou,
Cherchant à m’expliquer dans ce lieu ma présence.
J’avais été blessé : mais quand, comment ou où ?

Pendant deux ou trois jours je fus comme hébété,
Abruti, c’est le mot, mais sans douleur locale.
Quand enfin, un matin, mon pansement ôté,
Je compris que j’avais au front deux trous de balle.

Ingrats, je vous vois rire, et ces mots héroïques
Ont provoqué chez vous la joie et la gaité,
Pourtant ne sont-ils pas exacts, précis, uniques,
Et l’expression, hélas ! de la réalité ?

Suis-je donc bien fautif si l’argot populaire
A réuni ces mots sublimes, glorieux,
Dans une appellation triviale et vulgaire,
En usage aux faubourgs, aux cabarets douteux ?

Mais vous tous qui riez, et vous dont l’âme exquise
Palpite de dégoût pour ces propos grossiers,
Je serais très heureux que vous m’indiquassiez
S’il est une expression plus brève et plus précise.


Alfred Genolhac est décédé le 16 janvier 1973 à Nice.

25 octobre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 7


C/ L’ANNEE 1791

La constitution civile du Clergé et ses conséquences

L’Assemblée constituante réorganise l’Eglise de France. Les propriétés de l’ancien Ordre du Clergé sont vendues comme « biens nationaux ». En compensation, curés et évêques (désormais choisis par les électeurs) reçoivent un traitement de l’Etat. Comme tous les fonctionnaires publics, ils doivent prêter un « serment civique ». Le pape condamnant la « Constitution civile du Clergé », une partie des prêtres refuse le Serment. Dans le district d’Alais, on compte 58 refus. Le serment est accepté par 25 prêtres parmi lesquels le curé d’Anduze (Antoine, Laurent, Joseph de BREMOND) et son vicaire ROUSSET.
Il n’y a plus qu’un seul diocèse par département. Les trois évêques « gardois » refusent le serment civique : il appartient donc aux électeurs de désigner un évêque « constitutionnel ». Le 27 février 1791, ils choisissent Jean-Baptiste DUMOUCHEL, recteur de l’Université de Paris.
Il faut délimiter les nouvelles paroisses : c’est fait, pour le district d’ALAIS, le 7 avril. La paroisse d’Anduze compte 5 051 catholiques. On prévoit, pour Anduze et Boisset, un curé et deux vicaires. La paroisse groupe trois « succursales », disposant chacune d’un vicaire (St Baudile de Tornac, Générargues et Bagard).
Le 20 avril, l’évêque DUMOUCHEL publie une lettre pastorale, dans laquelle il justifie le serment civique. Les prêtres du nouveau diocèse sont invités à lire cette lettre aux fidèles. Une vingtaine de prêtres (parmi lesquels BREMOND et ROUSSET) n’acceptent pas cette lecture, refusant ainsi de reconnaître le nouvel évêque. Le 5 juin, ROUSSET est élu curé de Salindres.
Lorsque, pendant l’hiver de l’année suivante, les prêtres « réfractaires » incitent à la rébellion et exercent de fortes pressions sur les prêtres « assermentés » quatre curés (dont BREMOND, d’Anduze) rétractent leur serment.

La vie politique pendant l’été 1791

A la fin juin, on apprend la tentative de fuite du Roi et de sa famille. Si le Club de Montpellier souhaite alors une République, tel n’est pas encore le vœu des « Amis de la Constitution », de Nîmes, ni du Club d’Anduze.
25 juin : le Conseil de département tire au sort les noms de la moitié de ses membres, soumis à renouvellement : l’Anduzien DUPLAN figure parmi les renouvelables.
L’Assemblée constituante ayant achevé sa mission, elle va céder la place à l’Assemblée Législative, prévue par la Constitution ; la Constituante a décidé qu’aucun de ses membres ne pourrait être élu à la première « Législative ». L’Assemblée électorale du Gard se réunit donc en septembre, pour désigner les huit députés du Gard. L’Anduzien DUPLAN (non élu) obtient 47 voix sur 351 votants.
Le 18 septembre, l’assemblée électorale désigne 18 administrateurs du département. Parmi les nouveaux élus, Jean-Pierre RIEU, d’Anduze, obtient 245 voix (le candidat le plus favorisé est élu par 262 suffrages). Le 30 septembre, l’assemblée électorale du district d’Alais nomme six membres de l’administration du district, parmi lesquels l’avocat anduzien Jean-Louis ROQUIER.
Ce même jour, l’Assemblée constituante se sépare.

V – L’ANNEE 1792
(Assemblée Législative : débuts de la Convention)

Les affaires d’Arles et d’Avignon

Pendant l’hiver 1792, les villes d’Arles et d’Avignon sont aux mains des contre-révolutionnaires. Les « patriotes » en sont chassés ; on y accueille des « rebelles » des contrées voisines. Les deux villes entretiennent des rapports entre elles, et avec l’émigration aristocratique, elles se fortifient.
Arles et Avignon sont les bases de départ d’incursions contre des localités gardoises. Le directoire départemental envoie des troupes dans le secteur rhodanien ; on songe à y rassembler des « Gardes Nationales » de tout le département, et à agir de concert avec les « patriotes » marseillais. Arles bénéficie de l’indulgence gouvernementale ; mais des troupes royales sont envoyées à Avignon.
Les localités rhodaniennes demandent la concentration de 4 000 gardes nationaux. Le Directoire Départemental reçoit, à cet effet, des « Adresses » et des délégations locales. Le 22 mars, les délégués d’Anduze et de 17 autres localités, accompagnés par les représentants des Clubs de Nîmes, adressent une pétition au Directoire :
« L’opinion publique s’est manifestée, d’une manière éclatante, pour le rassemblement des quatre mille volontaires que vous tenez prêts à marcher. Plus il s’écoule de moments, plus l’impatience s’accroît. A tout instant, il arrive des citoyens de tout le département. Tous annoncent le vœu unanime de tous les habitants pour une mesure prompte et rigoureuse, capable d’intimider les rebelles et de terminer la grande querelle qui agite nos contrées. Cette mesure est en votre pouvoir. Nous sommes convaincus que le besoin est pressant et urgent. Nous vous le disons : nous faisons notre devoir ! Le vôtre, Messieurs, est de consulter l’opinion publique ; et, lorsqu’elle se manifeste, de la suivre. Ordonnez le rassemblement des gardes nationales dans la ville de Beaucaire, et vous comblerez le cœur des bons citoyens ».

Les citoyens des districts gardois demandent à marcher sur Avignon. Le 24 mars, à Nîmes, les délégués d’Anduze et de cinq autres localités signent une pétition « à MM. les Administrateurs du Directoire du département du Gard » :
« En vous rendant au vœu manifesté avec tant d’ardeur par les citoyens de Nîmes (et auquel nous avons concouru), vous venez de décider que mille gardes nationaux de cette ville seraient rassemblés et partiraient incessamment ; mais les citoyens-soldats des autres districts seraient-ils étrangers à cette marque de faveur de votre part ? Comme les Nîmois, ils brûlent de marcher où le besoin et le péril les appellent ; comme eux, ils méritent d’être admis à vaincre ou mourir par la liberté. Leur refuser de partager le sort de leurs frères nîmois serait un affront que leur bravoure et leur ardeur ne pourraient supporter, et vous ne voudriez pas, administrateurs du département, marquer une prédilection qui peut humilier notre civisme ».

Avec les délégués de CONNAUX, REMOULINS, SAINT-HIPPOLYTE, SAUVE et UZES, les Anduziens TEISSIER et ROUX fils signent ce manifeste. Avignon et Arles sont bientôt désarmées.

A suivre.

15 octobre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 6


IV - SOUS L’ASSEMBLEE CONSTITUANTE
ETE 1789 - ETE 1791

A/ L’ETE 1789

Après la prise de la Bastille

On sait comment, en juin 1789, à Versailles, la ferme attitude des députés du Tiers-Etat aboutit à la formation de l’Assemblée Nationale. Mais le gouvernement royal rassemble des régiments de mercenaires autour de Versailles et de Paris. L’Assemblée n’aurait pas pu résister au coup de force qui la menaçait ; elle est sauvée par l’insurrection du peuple de Paris qui, le 14 juillet, s’empare de la Bastille.
Quelques jours plus tard, la nouvelle est connue à Anduze. On y rédige une « Adresse des trois Ordres de la Ville d’Anduze aux braves citoyens de la ville de Paris » (23 juillet) :
« Le despotisme est donc enseveli sous les tours effrayantes de la Bastille. La liberté des Français est assurée. Une constitution, des lois sages, la réforme des abus : voilà les biens qui nous attendent et que vous avez assurés par votre patriotisme ».

Un épisode de la « Grande Peur »

A la fin du mois de juillet, la panique appelée « Grande Peur » secoue de nombreuses provinces. Des rumeurs incontrôlables font croire que des bandes de brigands menacent villes et villages. Dans les derniers jours du mois, cette panique atteint les Cévennes ; elle cause de sérieux incidents à Saint Jean de Gardonnenque (St Jean du Gard) : on s’y croit menacé par des groupes armés qui, en réalité, viennent au secours du bourg (supposé déjà agressé). Tumultes, malentendus font croire aux troupes venues à l’aide que l’ennemi est déjà dans la ville. De nombreux habitants s’arment et crient : quelques coups de feu éclatent !
La nouvelle de ces spectaculaires incidents parvient rapidement dans les localités voisines. Vingt-cinq communautés cévenoles (qui ont déjà formé des milices défensives) envoient des détachements à l’aide des Saint-Jeannais. Une troupe d’Anduziens parvient au bourg voisin, où affluent 3 000 hommes ! Lorsqu’on s’aperçoit que l’alarme était infondée, les « renforts » refluent vers leurs localités d’origine !

Craintes pour la liberté religieuse

A partir du 20 août, l’Assemblée Nationale établit le texte de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Les protestants cévenols, soucieux de la liberté de conscience et de culte, voient des restrictions et des ambigüités dans l’article 10 de la Déclaration :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public, établi par la loi ».
Le 29 septembre, une Adresse à l’Assemblée nationale témoigne de ces inquiétudes :
« Les habitants des hautes et basses Cévennes, protestants pour le plus grand nombre, se flattent qu’il doit leur être permis de représenter à l’Assemblée nationale la consternation qu’a répandue dans tous les esprits l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme ; de la supplier d’expliquer cet article d’une manière qui ne laisse aucune porte ouverte au renouvellement de malheurs dont le souvenir les fait frémir encore ; et de leur accorder un culte qui ne peut, en aucune manière, troubler l’ordre public ; puisque ce culte, toujours circonscrit dans l’enceinte des murs dans lesquels il est célébré, ne saurait influer en rien sur ce qui se passe au dehors ».

Dans une lettre adressée aux évêques, le Roi se plaint de brigandages commis dans certaines provinces ; il réclame l’appui de l’Eglise. Cette lettre royale, publiée par les évêques, inquiète les Cévenols. De nombreuses communautés envoient leurs représentants à Anduze, où l’on constitue une Confédération, pour maintenir la tranquillité publique (29 septembre). Le registre du Conseil de la Ville d’Anduze contient le texte des décisions prises par les « Confédérés » :
« Quiconque refuserait de payer les deniers (royaux ou autres) légitimement dus, serait regardé, dès l’instant même, comme un ennemi public, et livré à la justice ordinaire,
« Tout particulier qui chercherait à soulever le peuple par des propos séditieux et tendant à anéantir les lois actuellement existantes (et que l’Assemblée veut conserver dans toute leur rigueur, jusqu’à ce qu’il en soit établi de nouvelles), sera également regardé comme un ennemi public et, comme tel, livré à ces mêmes lois qu’il oserait braver.
« En cas de besoin, et sur la première réquisition, les villes et communautés voisines se prêteront réciproquement main-forte, et emploieront tous les moyens en leur pouvoir pour soutenir, dans toute l’étendue des hautes et basses Cévennes, un ordre et une tranquillité qui soient la preuve du patriotisme qui anime les habitants de ces contrées.»

B/ L’ANNE 1790

L’administration départementale

En février 1790, on procède à la délimitation du département du Gard, et à sa division en huit districts. Anduze, l’une des sept principales villes de l’ancienne sénéchaussée, était aussi le siège d’une viguerie royale, qui groupait cinq cantons actuels. Notre ville souhaite donc devenir le chef-lieu d’un district, qui couvrirait sa zone d’influence commerciale, c’est-à-dire le bassin des Gardons du Sud-Ouest (de Barre à Ledignan). Cela impliquerait que la Haute-Cevennes soit distraite du nouveau département de Lozère. Malgré ses réclamations, Anduze ne devient qu’un des chefs-lieux de canton du district d’Alais.
Il faut procéder à l’élection de l’Administration départementale et des administrations des districts. Les 52 000 contribuables gardois suffisamment aisés pour disposer du droit de vote désignent 529 d’entre eux pour élire les administrateurs. Le 12 juin, Marc DUPLAN, Maire d’Anduze, devient l’un des 35 membres du Conseil de département (il est élu par 361 voix sur 458 votants).

Les Anduziens à la « Bagarre de Nîmes »

L’assemblée des électeurs gardois s’est réunie à Nîmes, alors qu’une vive tension régnait dans cette ville. Dans la « Légion nîmoise » (garde civique), l’avocat FROMENT avait formé des compagnies entièrement catholiques, qui ont participé à une agitation hostile à la liberté religieuse, aux protestants et au Club des « Amis de la Constitution ». Le 13 juin, une vive fusillade oppose les « Cébets » (petit peuple catholique) aux dragons (protestants) de la Garde nationale. Dans la nuit du 13 au 14, la « bagarre » se poursuit. Pour la contenir, des gardes nationaux sont venus de nombreuses localités protestantes. Un détachement d’Anduze est présent, qui compte dans ses rangs le curé BREMOND. Malgré cet appoint, il faut deux jours entiers pour mettre fin à la sanglante « bagarre » déclenchée par les fanatiques.

Formation définitive des Administrations

Le 8 juillet, le Conseil de département peut enfin élire son Directoire. Il désigne aussi quatre commissaires, chargés de recevoir le compte-rendu administratif du Commissariat pour l’ancienne province de Languedoc ; DUPLAN, d’Anduze, est l’un de ces quatre Commissaires.
On forme ensuite les administrations des districts. Parmi les administrateurs du district d’ALAIS (l’actuel arrondissement), on trouve deux hommes de loi anduziens : Jean-Pierre RIEU-ALLARET et Jean-Louis ROQUIER.
Le 11 décembre, le Conseil de département désigne quatre adjoints à son Directoire, parmi lesquels l’Anduzien Marc DUPLAN.

Election des juges de paix

En novembre, Anduze a élu son juge de paix : l’homme de loi Louis FONTANES, assisté de trois prud’hommes assesseurs : Jacques DUFOIS, Jean-Jacques NICOLAS et Louis RIBOT. Henri CABANIS devient greffier.
Un autre juge de paix a compétence sur la « banlieue » (les villages du canton) : c’est le géomètre Jean-Jacques SOULIER ; chaque village lui donne deux ou trois assesseurs.
Les tribunaux de Commerce d’Alais et d’Anduze sont organisés en mars 1791.

A suivre.

2 octobre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 5


COMMENTAIRE DU CAHIER D’ANDUZE

Les « Communes d’Anduze » : le Tiers-Etat local (cf. en Angleterre, la « Chambre des Communes ».
• L’hommage au Roi figure dans presque tous les Cahiers locaux. On fait confiance au monarque pour promouvoir les réformes nécessaires.
• Les 44 articles du Cahier (c’est un nombre important) semblent directement inspirés par les écrits politiques de Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne. Par son style limpide et son contenu presque exhaustif, le Cahier d’Anduze est un des plus intéressants dans la Sénéchaussée.

Le Cahier d’Anduze n’évoque pas, cependant, le problème de la liberté religieuse (abordé seulement dans une vingtaine de Cahiers villageois). En fait, les protestants sont ici tellement majoritaires qu’ils bénéficient (pour l’essentiel) d’une liberté de fait. Il y a peut-être, aussi, la préoccupation de ne pas se couper des secteurs catholiques, afin de donner une force accrue au mouvement unitaire des idées réformatrices ; dans l’assurance que, si des réformes fondamentales sont réalisées par les Etats Généraux, une compète liberté religieuse deviendra aussi inévitable que l’égalité des Droits. D’autre part, un édit de 1787 a rendu aux protestants le droit à l’état civil (dont ils avaient été privés pendant un siècle) ; cette « tolérance » est le premier résultat de la persévérante action de Rabaut Saint-Etienne.
Le Cahier d’Anduze est d’un niveau politique élevé. Quinze articles évoquent l’organisation des Etats Généraux, les libertés et les réformes fondamentales. Huit autres articles traitent des impôts et des vœux d’équité fiscale. Notre ville manufacturière et marchande revendique (en huit articles) la liberté du commerce et du travail. La réforme fait l’objet de cinq articles.

A/ Etats Généraux, réformes fondamentales, libertés

Article premier : Remerciements au Roi pour le « doublement du Tiers » (qui obtient autant de députés que nobles et clercs réunis).
Art. 2 : pour donner son efficacité au doublement du Tiers Etat, une revendication est formulée partout : celle du vote par tête aux Etats Généraux (une voix par député), et non par ordres séparés (les ordres privilégiés disposeraient alors de deux voix, contre une seule au Tiers Etat).
Art. 3 : on redoute que la Noblesse et le Clergé ne s’opposent à ce mot d’ordre, dangereux pour leurs privilèges.
Art. 4 : la Côte du Rhône (proche du Dauphiné, qui vient d’obtenir une réforme de ses « Etats provinciaux ») et les secteurs protestants (Cévennes, Gardonnenque, Vaunage) se liguent contre la structure anachronique des « Etats du Languedoc » (assemblée provinciale, composée de membres non élus, avec faible représentation du « Tiers », et portée à de coûteuses dépenses de prestige). On réclame des « Etats » élus par les trois ordres de toute la province (campagnes comprises), avec la parité Tiers-Privilégiés, selon le modèle de la « Constitution du Dauphiné » (de novembre 1788).
Art. 5 : exigence d’une Constitution nationale écrite (souhait exprimé par de nombreux Cahiers).
Art. 6 : principe du vote des lois par la représentation nationale.
Art. 7 : à tous niveaux de représentation : parité tiers-privilégiés. Périodicité des Etats Généraux (qui n’ont pas été réunis depuis 175 ans !).
Art 8 et 9 : modalités d’exécution des lois.
Art. 10 : égalité de tous devant la Loi (fin des privilèges juridiques).
Art. 11, 12, et 14 : liberté individuelle.
Les « lettres de cachet » (royales), mais aussi les « veniat » (qu’il vienne) des gouverneurs et intendants provinciaux permettent des arrestations arbitraires (en dehors de toute garantie juridique).
Art 23. : supprimer censure et autorisation préalable, pour livres et gazettes.
Art. 41 : il existe encore des serfs sur les terres d’Eglise !

B/ La justice

Art. 13 : garanties d’une bonne justice. Collégialité des tribunaux.
Art. 19 : simplification de la justice et de ses procédures.
Art. 20 : au premier des trois degrés de juridiction, les justices seigneuriales (basse justice) sont unanimement critiquées.
Art. 21 : les justices d’exception (à compétences spécialisées) sont trop nombreuses ; leur multiplicité est à l’origine de nombreux conflits d’attributions, laborieux et onéreux. Chaque « ferme » (concession) d’impôts a sa propre justice, se trouvant à la fois juge et partie (au grand détriment des contribuables).
Art. 39 : l’Edit des Hypothèques (de 1771) n’offre que de très insuffisantes garanties aux créanciers, victimes de débiteurs de mauvaise foi. On réclame un peu partout son abolition.

C/ Les impôts

Art. 17 : souci de frapper les dépenses improductives.
Art. 29 : imposition de tous les « bien-fonds ». Les biens nobles et les biens d’Eglise ne sont pas soumis à la taille (le plus important des impôts locaux).
Art. 30 : consentement de l’impôt par la représentation nationale ; caractère temporaire de ce consentement.
Art. 31 : à tous les niveaux administratifs, répartition des impôts royaux par des Assemblées élues.
Art. 32 : représentation équitable des diverses catégories de contribuables.
Art. 33 : la richesse en argent est relativement peu imposée.
Art. 34 : on se plaint du caractère confus, arbitraire et changeant des droits de contrôle des actes notariés. Ces droits sont perçus par une « ferme » d’impôts qui rançonne une population en partie illettrée, obligée de recourir très souvent aux offices des notaires.
Art. 44 : vœu de simplification de la fiscalité royale.

D/ Liberté du travail et du commerce

Art. 15 : suppression des péages, qui renchérissent les produits agricoles et en gênent l’écoulement. Atténuation de la gabelle (le monopole du sel est trop coûteux pour les éleveurs).
Art. 25 : les maîtrises d’arts et métiers (acquises à titre onéreux) sont un obstacle à la liberté du travail.
Art. 26 : partout, la bourgeoisie revendique la liberté du travail et du commerce. Anduze (dont la viguerie royale s’étend depuis Lédignan jusqu’à Saint André de Valborgne) peut prétendre à un « tribunal de Commerce ».
Art. 27 : abolition de la réglementation « colbertiste » des manufactures, qui bloque les initiatives novatrices et freine la production.
Art. 28 : suppression des douanes intérieures.
Art. 37 : protestation contre les concessions minières, considérées comme attentatoires aux droits des propriétaires fonciers.
Art. 38 : l’impôt sur les cuirs ruine de nombreuses tanneries.
Art. 40 : les fabricants de drap ne peuvent exporter que par Marseille. Ce port commerce surtout avec le Levant méditerranéen : son monopole freine les exportations, en limitant les débouchés.

E/ Autres réformes

Art. 16 : la Milice (troupe provinciale) est recrutée par tirage au sort. Le jeune paysan retenu par le « sort » est éloigné de son village pour plusieurs années. Cette charge devrait incomber à tous : une contribution (qui frapperait aussi les privilégiés) permettrait de recruter des volontaires.
Art. 18 : en de nombreux endroits, le Tiers Etat veut s’assurer l’amitié du bas-clergé (auquel les gros « décimateurs » n’abandonnent qu’une faible partie du produit de la dîme). Ces « bénéficiers » de revenus ecclésiastiques accaparent l’essentiel de la dîme ; ils s’abstiennent presque complètement du service de l’Eglise, de l’aumône et même de la simple résidence sur les lieux. Cependant que beaucoup de prêtres desservants vivent dans la gêne.
Les paysans payent la dîme en nature. Son taux (variable d’un lieu à l’autre) et son application abusive à toutes les récoltes sont des objets de contestations multiples et de tracasserie sans fin. On préfèrerait le règlement collectif (en argent) d’une somme assurant aux curés des moyens d’existence convenables.
Art. 22 : dans l’armée, les grades d’officiers sont réservés aux nobles.
Art. 24 : contrairement aux règles habituelles du Droit, les redevances féodales sont imprescriptibles, ce qui ouvre la porte à de nombreux abus seigneuriaux.
Art. 35 : élément de base des futurs règlements des Assemblées élues.
Art. 36 : les officiers municipaux (consuls) sont nommés par les seigneurs, ou par le pouvoir royal ; certains consuls sont propriétaires de leur charge. On réclame l’élection des Consuls par l’Assemblée générale des habitants.
Art. 42 : défense des libertés municipales. Anduze, (qui a racheté les charges des Consuls) veut pouvoir choisir ses officiers municipaux.
Art. 42 : la bourgeoisie, créancière de l’Etat, demande partout la garantie de la Dette royale (dont l’importance a rendu inévitable la convocation des Etats Généraux).

Avec un lyrisme quelque peu visionnaire, le paragraphe terminal formule le vœu d’une union des trois ordres, dans la renonciation aux privilèges et le souci du bien public.

A suivre.

21 septembre 2015

Nicolas Faucherre, Anduze, ses châteaux, ses fortifications…

Pour la ville d'Anduze ce fut un véritable plaisir d'accueillir, dans le cadre des Journées du Patrimoine, le professeur Nicolas Faucherre.
Je ne vais pas pour vous le présenter vous énumérer tous les nombreux postes et activités déjà tenus au cours de sa brillante carrière. Sinon, surtout en vous précisant qu'il est né un 1er avril, vous allez penser que c'est une blague. Non, je vais simplement vous citer, pris au sein de la longue liste titrée pudiquement "Expérience professionnelle", ses principaux centres d'intérêt en exercice aujourd'hui :

Depuis 1991, membre du comité de publication et administrateur de la Société française d'archéologie. Depuis 1992, professeur associé d'architecture militaire à l'Ecole de Chaillot (centre d'études supérieures d'Histoire et de Conservation des monuments anciens). Depuis 1998, membre des Commissions régionales du Patrimoine et des sites. Depuis 2005, membre représentant la France au comité scientifique international de l'ICOMOS Icofort pour les fortifications et le patrimoine militaire. Depuis 2006, membre de la Commission Nationales des Monuments Historiques, section protections. Depuis 2007, membre du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, section d'archéologie et d'histoire de l'art des civilisations médiévales et modernes. Depuis 2009, membre du Comité des Biens français au Patrimoine Mondial. Depuis 2012, Professeur d'histoire de l'art et archéologie médiévales à l'université d'Aix-Marseille. Depuis 2013, membre du conseil scientifique du Laboratoire d'Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée.
Bien entendu toutes ces activités ont favorisé de nombreuses communications à travers articles et autres livres en tant qu'auteur ou co-auteur.

Voilà mesdames et messieurs le profil professionnel simplifié et pourtant déjà remarquable de la personnalité qui nous a fait l'honneur de nous parler d'Anduze, notre chère cité qui suscite son intérêt depuis longtemps, avec d'ailleurs d'autres lieux des environs.
Un intérêt marqué surtout bien sûr par l'étude de l'architecture militaire ancienne et notamment les vestiges et empreintes des différents  châteaux, enceintes, tours et bastions qui ont accompagné la longue et passionnante histoire de notre ville.
L'actualité patrimoniale d'Anduze étant le prochain démarrage des travaux de rénovation intérieure de la tour de l'Horloge, l'intervention de ce grand historien de la fortification ne pouvait tomber plus à propos avec la communication du résultat de ses recherches documentaires mais aussi d'homme de terrain passionné et infatigable, toujours soucieux de vérifier concrètement les informations collectées. Quelques fois aussi avec la frustration de ne pas obtenir de réponse satisfaisante à telle ou telle question…

Mais durant cette soirée exceptionnelle le public, venu très nombreux s'installer sous les magnifiques voûtes de la salle des Casernes, eut la belle opportunité d'élargir ses connaissances dans un secteur de notre histoire locale assez peu évoqué jusqu'à présent avec toute la compétence et l'exigence professionnelles nécessaires.
Merci professeur Faucherre…

14 septembre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 4

III – LE CAHIER DES DOLEANCES D’ANDUZE
Cahier authentique, s. d.

" Plaintes et doléances de la ville et communauté d’Anduze, en la sénéchaussée de Nîmes, conformément au règlement du Roi et ordonnance de M. le Sénéchal.
Avant d’exposer leurs doléances, les Communes de la ville d’Anduze s’empressent de manifester les sentiments de reconnaissance, d’amour et de respect dont elles sont pénétrées pour leur auguste souverain, ce Roi citoyen, qui vient de rétablir une communication intime entre le trône et la nation, et qui va rendre enfin au patriotisme français toute son énergie.

1. Sa Majesté sera très humblement remerciée de ce qu’elle a bien voulu convoquer les Etats généraux et y accorder au tiers état une représentation libre et proportionnée à son importance ;

2. Sa Majesté sera suppliée qu’à l’Assemblée nationale les opinions soient recueillies par tête et non par ordre, afin que dans cette assemblée il n’y ait qu’un cœur, une âme et une seule volonté ;

3. Que si les deux premiers ordres ou l’un d’eux s’opposent à cette forme d’opiner, Sa Majesté sera suppliée de décider cette question dans sa sagesse ;

4. Que Sa Majesté sera humblement suppliée de supprimer la constitution des Etats de Languedoc, d’accorder à cette province une constitution libre et élective, ainsi qu’elle a bien voulu l’accorder à celle du Dauphiné, et de permettre aux trois ordres de s’assembler en tel lieu et sous la vigilance des commissaires qu’il lui plaira de nommer, à l’effet de s’approprier ladite constitution ;

5. Que la constitution française soit établie sur des fondements inébranlables, de manière que les droits du monarque et du peuple soient si certains qu’il soit impossible de les enfreindre ;

6. Que Sa Majesté soit suppliée de déclarer que désormais la nation ne sera soumise qu’aux lois qu’elle aura librement consenties ;

7. Que dans toutes les assemblées qui intéressent les trois ordres, celui du tiers soit toujours librement représenté, du moins en nombre égal à celui de clergé et de la noblesse réunis, et que la nation soit périodiquement assemblée dans la personne de ses représentants, chaque année pendant les quatre premières années, et dans la suite tous les cinq ans ;

8. Que les lois générales portées par Sa Majesté dans l’assemblée des Etats Généraux, et consenties par la nation, soient adressées aux Etats provinciaux et aux administrations provinciales, pour y être inscrites et observées, et à tous les tribunaux supérieurs et inférieurs directement, pour servir de règle à leurs jugements et à leurs arrêts ;

9. Que les lois provisoires, locales et momentanées que Sa Majesté jugera à propos, dans sa sagesse, de publier dans l’intervalle d’une assemblée à l’autre, soient pareillement adressées aux Etats provinciaux et aux administrations provinciales, et aux tribunaux de judicature ;

10. Que tous les citoyens, sans aucune distinction, soient également soumis aux lois, de telle sorte que le fort ne puisse rien sur le faible, ni le riche sur le pauvre ;

11. Que la liberté et les propriétés de chaque individu du royaume soient également respectées et mises sous la sauvegarde des lois que la nation entière aura adoptées ;

12. Que les lettres de cachet et autres ordres arbitraires soient désormais abolis ;

13. Que les décrets des tribunaux judiciaires, souvent aussi arbitraires que les lettres de cachet, et toujours plus funestes, soient contenus dans de justes limites, et qu’un juge ne puisse décréter en seul ;

14. Que les (…) soient absolument abrogés, ainsi que les commissions extraordinaires qui, déshonorant ceux qui les acceptent, tournent en fléau le bien qui leur sert de prétexte ;

15. Que Sa Majesté soit suppliée d’accorder une protection spéciale à l’agriculture, comme la mère nourricière de l’Etat et du commerce, de décharger tous ses fruits de tout péage, leude et impôts quelconques dans l’intérieur du royaume. Diminuer l’impôt sur le sel. Par ce moyen les troupeaux se multiplieront. Ils produiront des engrais qui produiront des denrées. Les laines acquerront de la qualité, augmenteront en quantité et alimenteront les fabriques ;

16. Demander la suppression de la milice, qui enlève sans nécessité des utiles à l’agriculture, ou de ne restreindre la levée dans les villes, aux frais de la communauté et non du peuple, pour en purger les oisifs ;

17. Jeter un impôt considérable sur les carrosses, chevaux de luxe, ainsi que sur tous les domestiques des villes autre que les valets de peine, afin de laisser cette classe d’hommes à l’agriculture pour laquelle elle est née ;

18. De porter les portions congrues, savoir celles des curés à douze-cent livres, et celles des vicaires à huit-cents livres, franches de tout impôt. De supprimer tous les bénéfices simples, et de permettre aux communautés de se racheter de la dîme envers les bénéficiaires, en s’imposant elles-mêmes, ainsi qu’elles le trouveront à propos, le prix du dernier bail ;

19. De demander la réforme du code civil et criminel, le rapprochement de la justice souveraine des justiciables, ainsi que Sa Majesté l’a solennellement promis, et de faire juger les procès par ordre de date. Enfin de rendre la justice moins longue et beaucoup moins coûteuse ;

20. Supprimer les justices bannerettes en remboursant les seigneurs, et établir des juges royaux par arrondissements ;

21. Demander la suppression de tous les tribunaux d’exception et attribuer aux tribunaux ordinaires la connaissance de tous les procès, sauf à pourvoir au remboursement des officiers des tribunaux supprimés, ainsi qu’il appartiendra ;

22. Que le tiers ne soit point exclu des charges et grades militaires, afin d’exciter par là dans tous les cœurs l’amour de la gloire et de la patrie ;

23. Que la liberté de la presse soit accordée en la subordonnant aux principes des bonnes mœurs et de l’honnêteté ;

24. Que l’imprescriptibilité des censives et autres droits féodaux soit abrogée, et qu’il soit permis de s’en racheter, ainsi que des pensions foncières, selon l’estimation qui en sera faite par experts ;

25. Que toutes les maîtrises soient supprimées, afin que chaque citoyen puisse librement exercer ses talents, ainsi que tous les arts libéraux, dans toute l’étendue du royaume, sans être tenu à aucune agrégation ;

26. Que Sa Majesté sera suppliée de protéger les manufactures et le commerce, de les honorer, de les préserver de toutes les atteintes que l’esprit fiscal et réglementaire pourrait porter à leur liberté, de multiplier en leur faveur les juridictions consulaires, et d’en établir dans tous les lieux où il y aura quelque manufacture important ou quelque commerce en activité. Anduze, à raison du sien, et comme chef de viguerie composée de trente-neuf villes ou communautés, mérite un pareil établissement ;

27. Que les règlements qui enchaînent les manufactures soient pareillement abrogés, comme tendant à gêner l’essor de l’industrie ;

28. Que la liberté soit entièrement rendue au commerce et que les douanes soient transportées sur les frontières, selon le projet si longtemps médité par l’administration ;

29. Que les fonds du royaume soient également soumis à l’impôt, sans aucune exception ;

30. Qu’il plaise à Sa Majesté de statuer que les subsides ne seront désormais établis qu’avec le libre consentement des Etats généraux, et pour le terme d’une assemblée nationale à l’autre ; que leur perception sera suspendue de droit à l’expiration de ce terme jusqu’à ce que l’octroi en ait été légitimement renouvelé ;

31. Que la répartition des impôts soit réglée sur les différentes provinces du Royaume, qui en arrêteront le tarif proportionnel. Qu’elle soit faite sur les diocésains et districts par les Etats provinciaux, sur les paroisses par les assemblées diocésaines ou districts, et sur les contribuables par les assemblées municipales ;

32. Qu’il soit établi entre ces différentes assemblées une unité de formation, de composition et de subordination qui, facilitant l’assiette et la levée des subsides, maintienne l’équilibre entre les diverses classes de contribuables ;

33. Que la forme d’asseoir et de lever les subsides assure une répartition égale d’impôts sur tous les propriétaires, capitalistes et fonciers ;

34. Que Sa Majesté sera suppliée de réduire à un seul et même impôt les droits de contrôle, insinuation et centième denier, de manière que l’habitant de la campagne puisse connaître l’impôt qu’il doit payer en passant un acte, auquel il est soumis par une autre loi, et de puiser dans sa sagesse et dans sa bonté paternelle des moyens qui assurent une prompte restitution aux citoyens qui auraient été forcés de payer de plus forts droits, lorsque le droit à percevoir sur un acte était douteux ;

35. Qu’aux Etats généraux nulle matière ne soit mise en délibération si elle n’a été proposée dans la séance de la veille ;

36. Que la nomination des officiers municipaux et du conseil politique dans les communautés, ne puisse être faite que par leur conseil général ;

37. Que Sa Majesté soit suppliée de supprimer tous privilèges exclusifs, et d’accorder la propriété des mines, autres que celles d’or et d’argent, à ceux dans les fonds de qui elles ont été ou seront découvertes ;

38. Que la marque des cuirs et l’ordonnance qui oblige d’expédier certains actes en parchemin timbré, soient supprimées ;

39. Que l’édit des hypothèques soit supprimé, parce qu’il porte le plus grand coup au crédit, même des plus grands propriétaires ;

40. Suppression du privilège exclusif dont jouit la ville de Marseille de faire le retrait des Echelles du Levant ;

41. Suppression des corvées et des serfs mainmortables ;

42. Révocation de l’arrêt du Conseil du 3 novembre 1787, qui prive toutes les villes et communautés du Languedoc d’un droit acquis moyennant finance, et par là, d’une vraie propriété, accordée par l’arrêt du Conseil du 27 octobre 1774, art. 13 ;

43. Que la dette de l’Etat, quelque énorme qu’elle puisse être, ayant été contractée sous la foi publique, la nation française doit la regarder comme sacrée ; en conséquence déclarer que ladite dette sera acquittée par la Nation sans aucune diminution ni retenue ;

44. Qu’il soit accordé tous les impôts qui pourront être proposés pour le besoin de l’Etat, en observant d’en diminuer le nombre, afin d’épargner les frais énormes des perceptions.

Telles sont les doléances des Communes de la ville d’Anduze. Tels sont les vœux qu’elles désireraient de faire parvenir aux pieds du trône et dans le sein de l’Assemblée nationale. Puisse enfin s’accomplir l’heureux augure qu’elle vient nous offrir ! Que les intérêts différents se confondent dans un sentiment général de patriotisme ! Que ceux qui, par leur naissance ou par leur caractère, sont placés aux premiers rangs dans l’Etat, s’illustrent encore aux yeux de la patrie ! Et qu’ils aspirent, ainsi qu’ils l’ont déjà annoncé avec loyauté, à remplir dans toute son étendue le titre de citoyen ! Qu’il tombe, ce mur de séparation qui morcelait les membres d’un seul corps, et qui, par la division des parties, cisaillait l’intérêt général ! Que toutes les voix s’associent ! Que tous les cœurs se réunissent ! Et que le premier privilège des grands soit de partager le fardeau qui accable le peuple !
Ce serait resserrer leurs droits de ne voir en eux que de simples représentants de leur ordre, que les défenseurs de leurs intérêts particuliers. Le peuple les regarde comme ses arbitres suprêmes. Surtout, que le patriotisme, se confondant avec amour antique et inné pour nos Rois, en adore le meilleur et le plus grand dans la personne sacrée de Sa Majesté ! Et que tous les cœurs français, sans cesse tournés vers le trône, le regardent comme un autel élevé à la patrie."


Signatures : Raymond, consul. Raynaud, consul. Rieu de Montvaillant. O’Reilly. Antoine Pauc, faisant tant pour moi que pour M. Rabaut de Saint Etienne. Duplan, Louis Mazade. Fontane. Rieu. A. Salle. Henri Moutier. Jean Thérond. Chabrand. Albaret. Gascuel. Martin. Gaussorgues. Julian l’ainé. Roquier. Berger fils. A, CAhours. Arnaud. Teissier. Silhol. Gache. Faucher. Beaux. Galoffre. Bernard. Dufois. Alud. Génolhac. Soulier. Roche. Olivier. Génolhac. Pade. Fontanès, avocat en parlement. Bressole. Teissier, Soutoul. Ribot. Chabanié, ex-consul. Lézan.
Ainsi procédé devant nous : Benoît, second consul, lieutenant de maire. Fontane fils, secrétaire greffier.

A suivre.

6 septembre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 3


II – L’ASSEMBLEE DU TIERS-ETAT D’ANDUZE 
(11 mars 1789)

L’Assemblée du « Tiers » d’Anduze comprend les délégués des corporations locales, élus par les trente réunions corporatives qui ont précédé l’Assemblée plénière du Tiers-Etat local. Cette procédure à deux degrés n’est appliquée que dans les sept villes les plus peuplées. On remarque l’importance des activités textiles et vestimentaires (un quart des délégués). Le Sénéchal de Nîmes a chargé les officiers municipaux (consuls) d’organiser la tenue des assemblées locales.
L’ancien Hôtel de ville existe toujours (Bâtiments de l'ancienne Maison Consulaire en bas de la place de l’église).
En raison de l’importante population locale (5 500 habitants, alors que la France, à cette époque, est deux fois moins peuplée que celle d’aujourd’hui), Anduze a droit à huit représentants à l’Assemblée du Tiers-Etat de la Sénéchaussée (les villages voisins disposent chacun d’un ou deux députés).
Les huit députés du « Tiers » d’Anduze sont tous des « bourgeois » : tel est le cas le plus fréquent, puisque la culture juridique est détenue par la classe aisée. L’élection à Anduze de Rabaut Saint-Etienne a valeur symbolique ; c’est aussi, peut-être, une garantie en cas d’échec à Nîmes. En fait, Rabaut est élu (trois jours plus tard) député du « Tiers » de sa ville de Nîmes ; son suppléant, Antoine PAUC, devient donc le huitième député d’Anduze à l’Assemblée de la Sénéchaussée. Le négociant Marc DUPLAN sera un des soixante députés chargés de la rédaction du Cahier du Tiers-Etat de la Sénéchaussée.

Les noms des signataires sont ceux de familles qui ont dû quitter Anduze lors de la décadence de l’économie locale (à la fin du XIXè siècle et au début du XXè siècle). Sur le document original, on remarque le caractère « aisé » des signatures : témoignage d’un niveau d’instruction supérieur à la moyenne de l’époque.

Le texte du procès-verbal de l’Assemblée

« Aujourd’hui, onzième mars mil sept cent quatre vingt neuf, à l’Assemblée convoquée au son de cloche, en la manière accoutumée, sont comparus dans l’Hôtel de Ville d’Anduze, par devant nous, Dominique BENOIT, second Consul, lieutenant de Maire :

– MM. RIEU Aîné, seigneur de MONTVAILLANT, Henry RIEU, avocats en Parlement, députés de l’Ordre des avocats ;
– Edmond O’    REILLY, médecin, député de son Ordre ;
– Jean HAZAN, Antoine PAUC, bourgeois, députés de leur corporation ;
– Marc DUPLAN, Louis MAZADE, négociants en gros, députés de leur corporation ;
–  Etienne FONTANE, Jean-Pierre TEISSIER, notaires royaux, députés de leur corporation ;
– Antoine SALLE, Henry MOUTIER, marchands fabricants, députés de leur corporation ;
– Jean THEROND, David CHABRAN, marchands en détails, députés de leur corporation ;
–  Joseph BRESSOLLE, Jean BOUSQUET, maîtres en chirurgie, députés de leur corporation ; 
– Charles ALBARET, député de la corporation des orfèvres ;
– Michel GASCUEL, fabricant en laine, député de son corps ;
– Simon GAUSSORGUES, géomètre, député des corporations des féodistes, géomètres, procureurs et experts ;
– Jean BERGER, Antoine CAHOURS, droguistes et revendeurs, députés des corporations des droguistes, marchands de blé et revendeurs ;
– François ARNAUD, maître perruquier, député du corps des maîtres perruquiers ;
–  Louis RIBOT, serrurier, député de la corporation des serruriers ;
– Henri TEISSIER, teinturier, député des corporations teinturiers, tondeurs et tanneurs ;
– Elie SILHOL, ménager, député de la corporation des ménagers ;
– Michel GACHE, chapelier, député de la corporation des chapeliers ;
– Louis SOUTOUL, boulanger, député de la corporation des boulangers ;
– Jean-Pierre FAUCHER, tailleur d’habits, député de la corporation des tailleurs ;
– Jean BEAUX, hôte, député de la corporation des hôtes, aubergistes et taverniers ;
– Louis GALOFFRE, maréchal, député de la corporation des maréchaux ;
– Jacques BERNARD, Jacques DUFOIX, faiseurs de bas, députés de la corporation des faiseurs de bas ;
– Jean ALUD, menuisier, député des corporations des menuisiers, charrons, charpentiers, tourneurs et tonneliers ;
– Antoine GENOLHAC, cordonnier, député de la corporation des cordonniers ;
– Jean-Jacques SOULIER, faiseur de peignes, député de la corporation des chaudronniers, couteliers, potiers d’étain, faiseurs de cardes, aiguilles et peignes ;
– Louis FERRIER, maçon, député des corporations des maçons, plâtriers et tailleurs de pierres ;
–  Louis ROCHE, cordier, député de sa corporation ;
– Antoine GENOLHAC, père, boucher, député de la corporation des bouchers ;
– Jean-Antoine OLLIVIER, jardinier, député de la corporation des jardiniers ;
– Jean DAIRE et Antoine CASTANET, travailleurs, députés de leur corporation ;
–  Thomas MARTIN, député du Tiers-Etat non compris dans les corporations ;

Tous nés français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, compris dans les rôles des impositions, habitants de cette ville, composée de treize cents feux,
Lesquels, pour obéir aux ordres de Sa Majesté, portés par ses lettres, à Versailles le 24 janvier 1789, pour la convocation et tenue des Etats Généraux de ce royaume, et satisfaire aux dispositions du règlement y annexé ainsi qu’à l’ordonnance de Mr. le Lieutenant  général de la Sénéchaussée de Nîmes, du 27 février 1789, dont ils nous ont déclaré avoir une parfaite connaissance, tant pas la lecture qui vient d’en être faite que par la lecture et publication cy devant faite, au prône de la messe de paroisse, par Mr. le Curé, le huit du présent mois, et par la lecture et publication et affiches, pareillement faites le même jour, à l’issue de ladite messe de paroisse, au devant de la porte principale de l’église ;
Nous ont déclaré qu’ils allaient d’abord s’occuper de la rédaction de leur Cahier de doléances, plaintes et remontrances. Et en effet, y ayant vaqué, ils nous ont représenté ledit Cahier, qui a été signé par ceux desdits habitants qui savent signer, et par Nous, après l’avoir coté par première et dernière page, et paraphé « Ne Varietur », au bas d’icelles.
Et, de suite, lesdits habitants, après avoir mûrement délibéré sur le choix des députés qu’ils sont tenus de nommer, en conformité desdites lettres du Roy, et Règlement y annexé. Et les voix ayant été par Nous recueillies, en la manière accoutumée, la pluralité des suffrages s’est réunie en faveur des sieurs :

– Marc DUPLAN, négociant ;
– RIEU de MONTVAILLANT, FONTANE, ROQUIER, avocats en Parlement ;
– Antoine SALLE, Henry MOUTIER, marchands fabriquants ;
– MAZADE, négociant ;
– RABAUT DE SAINT-ETIENNE, et en son absence Antoine PAUC, bourgeois ;
qui ont accepté ladite Commission et promis de s’en acquitter fidèlement.

Ladite nomination des députés ainsy faite, lesdits habitants ont, en notre présence, remis aux dits sieurs DUPLAN, RIEU de MONTVAILLANT, FONTANE, ROQUIER, SALLE, MOUTIER, MAZADE, RABAUT DE SAINT ETIENNE (et, à son défaut, Antoine PAUC), leurs députés, le Cahier, afin de le porter à l’Assemblée qui se tiendra, le seize du courant, à la ville de Nîmes, devant Mr. le Sénéchal ou son Lieutenant.
Et leur ont donné tous pouvoirs requis et nécessaires, à l’effet de les représenter en ladite Assemblée, pour toutes les opérations prescrites par l’ordonnance susdite de Mr. le Lieutenant général de la Sénéchaussée. Comme aussi de donner pouvoirs généraux et suffisants de proposer, remontrer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’Etat, réforme des abus et l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, la prospérité générale du Royaume et le bien de tous et de chacun des sujets de Sa Majesté.
Et, de leur part, lesdits députés se sont présentement chargés du Cahier des doléances de ladite ville d’Anduze, et ont promis de le porter à la dite Assemblée, et se conformer à tout ce qui est prescrit et ordonné par lesdites lettres du Roy, règlement y annexé et Ordonnance sus-datée.
Desquelles nominations de députés, remise de Cahiers, pouvoirs et délibérations, nous avons, à tous les susdits et comparants, donné acte. Et nous avons signé, avec ceux desdits habitants qui savent signer, et avec lesdits députés, notre présent procès-verbal, ainsi que le duplicata que nous avons présentement remis auxdits députés, pour constater leurs pouvoirs ; et le présent sera déposé aux archives du secrétariat de cette communauté, lesdits jour et an.

Dominique RAYMOND et Germain RAYNAUD, troisième et quatrième Consuls.
Jean JULIAN, Jean-Louis ROQUIER et Jacques CHABAUD »

(suivent 45 signatures).

A suivre.

30 août 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 2


I - LA PREPARATION DES ETATS GENERAUX
(Automne 1788 – Hiver 1789)

Avant de retracer quelques épisodes de la Révolution, il faut évoquer, pour la Sénéchaussée, quelques faits marquants de la Campagne préparatoire à l’élection des députés aux Etats Généraux. Le 8 août 1788, le ministère de BRIENNE convoque les « Etats » pour le mois de mai 1789. Un mois auparavant, BRIENNE a accordé le droit d’exprimer les suggestions relatives aux futurs Etats Généraux ; ce qui permet un vaste débat sur la tenue des Etats et sur les réformes à promouvoir.

L’assemblée de Saint-Jean de Gardonnenque

Le 11 novembre 1788, les habitants de Saint-Jean de Gardonnenque (aujourd’hui Saint-Jean-du-Gard) demandent que les députés des communautés locales soient élus par tous les contribuables. Ils demandent aussi une représentation du Tiers-Etat égale à celle des deux autres ordres réunis, ainsi que le vote par tête, et non par ordres séparés ; chaque député (et non pas chaque Ordre) devant disposer d’une voix.

Les deux ordres privilégiés (Clergé et Noblesse) ne groupent que quelques centaines de milliers de personnes ; alors que le troisième Ordre (bourgeoisie et petit peuple) groupe les dix-neuf vingtièmes des Français. Pourtant, dans les anciens Etats Généraux, chacun des trois Ordres disposait du tiers de la représentation totale. Le « doublement du Tiers » réaliserait la parité entre privilégiés et non-privilégiés : cette mesure, réclamée un peu partout, est accordée (fin décembre) par le ministre NECKER.

Le « doublement du Tiers » ne permettra la réalisation des réformes que si, aux Etats Généraux, on vote par tête. Le vote par ordres séparés assurerait aux privilégiés deux voix contre une ; le vote par tête permettra au « Tiers » d’imposer ses vues, surtout s’il peut s’assurer l’alliance du bas-clergé ; cette catégorie, issue du peuple, connaît et partage les difficultés de la majorité des français. Sur cette question décisive, le gouvernement ne se prononce pas.

Anduze et seize autres communautés cévenoles adhèrent à la délibération de Saint-Jean de Gardonnenque, qui demande encore que tous les représentants du « Tiers » soient choisis parmi les membres de cet Ordre seulement. Dans les Assemblées du Tiers-Etat, aucun noble, aucun clerc, ne doit être électeur ni éligible.

Le rôle décisif de Jean-Paul RABAUT SAINT-ETIENNE

Rabaut Saint-Etienne (1743-1794), « ministre » (pasteur), à Nîmes, est le fils aîné de Paul RABAUT, pasteur de « l’Eglise au Désert » ; il a largement contribué à la réalisation de l’Edit « de tolérance » de 1787, qui accorde aux « non-catholiques » le droit à l’Etat-civil.
A la fin de 1788 et au début de 1789, Rabaut Saint-Etienne déploie, dans la Sénéchaussée de Nîmes, un vaste et fructueux effort de propagande en faveur des idées réformatrices. Cet effort prépare la rédaction de « Cahiers de doléances » précisant clairement les revendications qui devront être soutenues par les députés du Tiers-Etat. En mars 1789, RABAUT est élu député d’Anduze, puis de sa ville de Nîmes, à l’Assemblée du Tiers-Etat de la Sénéchaussée. Cette Assemblée fait de RABAUT un de ses huit représentants aux Etats Généraux ; il deviendra président de l’Assemblée Nationale.

En novembre 1788, les correspondants de RABAUT SAINT-ETIENNE diffusent la brochure intitulée « Considérations très importantes sur les intérêts du Tiers-Etat, adressées au peuple des provinces par un propriétaire foncier » Ce texte invite les trois Ordres à réclamer, pour les Etats du Languedoc, une «constitution analogue à celle que vient d’obtenir la province du Dauphiné.

A l’issue de plusieurs mois d’action, à Grenoble et alentour, les Dauphinois ont obtenu des « Etats » provinciaux librement élus, avec doublement de la représentation du « Tiers ». Les Languedociens des trois Ordres se plaignent de la structure archaïque de leurs « Etats », qui pratiquent une coûteuse politique de réalisations de prestige, correspondant mal aux besoins des contribuables.

De plus, à la veille de la réunion des Etats Généraux, les « Etats » de Languedoc veulent se réserver le choix de la députation provinciale ; choix dont la population serait alors exclue, ce qui bloquerait toute velléité des réformes.

Il y a donc urgence à obtenir, pour le Languedoc, une « constitution » de type delphinal, surtout dans l’hypothèse où le gouvernement laisserait les Etats provinciaux maîtres de la députation languedocienne. Des « Etats » réformés, selon le modèle du Dauphiné, désigneraient des députés plus ouverts aux idées réformatrices.

Les initiatives suscitées par les idées de RABAUT

Le 5 décembre 1788, 2000 membres des trois Ordres de Nîmes demandent :

• que les principes sur lesquels les Etats provinciaux du Dauphiné ont été formés soient appropriés à la province du Languedoc,

• que dans l’Assemblée des Etats Généraux, les votes ne soient recueillis « ni par Ordres, ni par gouvernement (province), ni pas bailliage ou sénéchaussée, ni par district, mais par tête de délibérant ; unique moyen pour que la pluralité des suffrages ait la prépondérance ».

Le 14 décembre, une délibération semblable est prise par les Communautés de la Viguerie royale d’Anduze (Anduze, Lasalle, Lédignan, St André de Valborgne, St Jean de Gardonnenque…).

Enfin, le 12 décembre, UZES qui expose les mêmes revendications que Nîmes) suggère des Assemblées diocésaines des trois Ordres, pour amplifier les échos de cette campagne – suggestion adoptée par Nîmes, huit jours plus tard.

22 décembre : Anduze et 17 autres communautés cévenoles demandent à ALAIS d’imiter cette initiative : ce qui est fait, le 25 décembre.

Dans les jours qui suivent (fin décembre 1788 – début janvier 1789), les Communautés locales, représentées dans les trois Assemblées diocésaines demandent le « doublement du Tiers », le vote par tête, et, pour les Etats de Languedoc, une « constitution » inspirée de celle des Etats du Dauphiné. A cet effet, les trois Assemblées députent des commissaires auprès du Roi.

Les textes officiels (hiver 1789)

24 janvier : un règlement royal stipule que les Assemblées de chacun des trois Ordres (pour l’élection des députés aux Etats Généraux) se réuniront par bailliages ou sénéchaussées (les deux termes sont synonymes, l’un étant usité dans le Nord, l’autre dans midi).

27 février : une ordonnance du lieutenant général fixe au 16 mars, l’Assemblée du Tiers-Etat de la Sénéchaussée de Nîmes (le futur Gard, moins la Vidourlenque, plus trois cantons lozériens ou ardéchois).

Dans les huit jours précédant cette date, les Assemblées locales du Tiers-Etat rédigeront leurs « Cahiers de doléances ». La synthèse des 300 cahiers sera réalisée par l’Assemblée tenue à Nîmes (qui élira les huit députés du « Tiers » de la Sénéchaussée aux Etats Généraux).

A suivre.