C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

24 janvier 2020

La maison d’Anduze et les sénéchaux de Beaucaire… 5

Dernière partie de cette petite incursion dans les pages du livre passionnant de Robert Michel… 

« (…) Furieux, le sénéchal fit détruire ses châteaux de Boucoiran, de Lascours, de Saint-Etienne, d’Aigrefeuille, de Montaigu, sans oublier celui de Rousson ; profitant de l’absence de Tiburge, il s’empara même de celui d’Alais, en sorte qu’à son retour celle-ci ne trouva nul refuge ; pourchassée dans la ville, elle dut se retirer avec son fils au couvent des frères mineurs.
« Pierre d’Athies voulut alors détruire la tour même des Pelet et convoqua pour cette démolition les habitants de la ville. Tiburge  essaya d’arrêter le sénéchal ; grossièrement injuriée, elle n’obtint de lui qu’un sursis ; persécutée pour n’avoir pas voulu affirmer faussement au roi que Pierre avait accompli ses instructions, elle dut revenir à Paris demander justice.
« En son absence, le châtelain d’Alais (Il s'agit ici d'une fonction d'administrateur territorial royal, donc le châtelain était sous les ordres du sénéchal) tenta de détruire la tour, mais la grand-mère du jeune Bernard Pelet la fit fortifier, prévint Tiburge et fit appel au roi.
« Celui-ci défendit d’inquiéter davantage les seigneurs d’Alais ; ils échappèrent ainsi à une ruine totale, mais, dans cette lutte, ils avaient perdu plus de mille livres tournois, les châteaux de leurs vassaux avaient été détruits et leur prestige atteint.
 
« A Rousson, le seigneur du lieu avait été tenu en otage un mois durant à Bellegarde ; pendant son absence, le sénéchal avait pris, à défaut de sa femme, son château, et il avait extorqué mille sous aux habitants du lieu, sans parler des objets mobiliers saisis ; il y avait installé ses garnisaires (terme ancien qui désignait les hommes souvent peu recommandables chargés d’occuper la maison d'un débiteur saisi), qui y avaient fait bonne chère, puis il avait détruit les murs de la forteresse.
« La maison d’Aigrefeuille, « l’une des plus illustres » de la région, n’avait pas été mieux traitée : les demeures et la tour seigneuriales avaient été démolies ; mobilier, caves, greniers, tout avait été mis à sac.
 

« Des faits analogues s’étaient produits à Soucanton (Ce château, dont il ne reste que quelques ruines oubliées au sommet d’un éperon rocheux, était situé non loin de Saint Jean du Pin). Dès le temps de Pèlerin (un autre sénéchal de Beaucaire), le châtelain d’Alais, Thierry, avait détruit le château, sa tour, ses dépendances et jusqu’à une citerne construite à grand peine et à grand frais ; à Montclar, à Verfeuil (A l’Est d’Alès, en direction de Bagnols-sur-Cèze), Pierre d’Athies avait détruit les châteaux de Bermond (Un autre Bermond que celui de Sauve ! Avec Bernard ces prénoms étaient très « à la mode » à l’époque. C’est malheureusement la source de nombreuses erreurs chez les historiens, qu’ils soient amateurs ou professionnels : pour l’exemple il suffit de s’intéresser à la généalogie de la maison d’Anduze/Sauve pour se rendre compte de la difficulté de bien « numéroter » les différents membres de la famille portant le même prénom !) seigneur du lieu ; il lui avait en revanche offert l’hospitalité dans sa ville d’Alais, où il l’avait tenu enfermé pendant sept semaines, ne le relâchant que moyennant soixante livres.
« Ainsi, dans toute la région alaisienne où s’étendait l’autorité des Pelet, par leurs destructions, leurs usurpations et leurs violences de toutes sortes, les sénéchaux de Beaucaire n’avaient cessé de ruiner le pouvoir seigneurial et d’étendre l’autorité du roi.

« Mais il vaut la peine de remarquer que c’est à eux seuls, à leur initiative personnelle, à leur arbitraire que sont imputables toutes les exactions subies par le coseigneur du roi et ses vassaux ; elles sont le fait d’officiers indépendants et avides, qui ne peuvent souffrir d’obstacle à leur autorité, et qui usent de leur pouvoir au gré de leur caprice ou de leur colère ; il ne faut pas y voir l’accomplissement d’un dessein préconçu, l’application d’une politique.
« Ce fut bien par l’effet de la volonté royale que saint Louis se substitua en tant que coseigneur d’Alais à Pierre Bermond de Sauve, mais ce ne fut point par sa volonté, sans doute, que l’équilibre des forces se trouva rompu dans la seigneurie alaisienne du jour où il y fut entré ; si l’état de fait fut profondément troublé, rien ne fut changé en droit ; ce n’est pas à un titre différent de celui de son prédécesseur que le roi domine dans le pays.

« Aussi, en dépit des ruines qu’elle y accumula, la conquête, encore que violente et spoliatrice, ne s’appesantit-elle pas également sur les Pelet et la famille de Sauve ; alors que Pierre Bermond VII avait perdu toutes ses terres, les seigneurs d’Alais restaient coseigneurs du roi ; ils durent à la longue fidélité de leurs ancêtres, autant qu’à leur propre soumission, de ne point perdre leur héritage. »

12 janvier 2020

La maison d’Anduze et les sénéchaux de Beaucaire… 4

Ce quatrième billet consacré à l’action des sénéchaux de Beaucaire dans les Cévennes nous amène à la seigneurie d’Alès, avec les Pelet. Un nom qui confirme une origine wisigothe, comme celle des seigneurs d’Anduze. Deux familles puissantes et intimement liées, même si de profonds désaccords les ont souvent opposés sur les routes du pouvoir…

« Pierre d’Athies et les Pelet. – Une fois coseigneur d’Alais (Rappelons que saint Louis a dépossédé Pierre Bermond, ex seigneur d’Anduze et Sauve, de la coseigneurie d'Alais) le roi eut vite fait d’y étendre sa juridiction, grâce aux exactions de ses officiers.
« Toujours fidèles à la cause royale, les Pelet, pariers du roi (pariers : associés, puisque coseigneur avec lui d’Alais), pouvaient cependant espérer quelque ménagement. Mais ils étaient seigneurs trop considérables pour n’avoir rien à craindre.
« (…) La juridiction de Bernard Pelet s’étendait sur toute la région alaisienne, à Boucoiran, Rousson, Peyremale, Sainte-Marie du Val, Saint-Privat, Saint-Saturnin, Aigrefeuille.
« Le sénéchal de Beaucaire Pierre d’Athies entreprit contre le seigneur d’Alais une lutte de tous les instants.
« Il avait la partie belle : Bernard Pelet, fils de Raimond, était mort, laissant avec sa mère Sibile (Une fille de Bernard d’Anduze qui avait épousé Raimond Pelet dans le cadre d’un rapprochement des deux familles) et sa veuve Tiburge un tout jeune fils, Bernard.
 
« Pierre d’Athies, profitant de la situation, s’efforça tout ensemble de s’enrichir aux dépens de la famille alaisienne et de ruiner son influence ; en frappant d’exactions indues et répétées les bourgeois des Pelet, il atteignait ce double but, il montrait le néant et l’impuissance du coseigneur du roi et faisait envier ainsi à ceux qui se trouvaient sous sa juridiction le sort moins misérable des bourgeois du roi ; il adopta à l’égard des vassaux une tactique analogue et s’efforça de détruire de ce côté la puissance seigneuriale.
 
« Il commença par frapper les bourgeois des Pelet en tant que collectivité, exigeant de chaque agglomération une somme qu’il fixait d’après les revenus et la population de chacune d’elles ; pour Alais, il porta cette exaction au chiffre de 500 livres de viennois ; comme les habitants réclamaient, offrant de s’en remettre à la décision du roi, il emprisonna les protestataires les plus bruyants et chassa leurs familles de leurs maisons ; il obtint par ces procédés 300 livres.
« L’opération ayant réussi, il l’appliqua aux habitants de Boucoiran, de Rousson, de Peyremale, de Saint-Paul, de Sainte-Marie, de Saint-Privat, de Cassagnoles, de la paroisse de Saint-Saturnin et du territoire du château d’Aigrefeuille, prenant à chaque localité de 15 à 25 livres de viennois.
« Puis, pour compléter cette somme, il s’en prit aux individus les plus riches du pays. Pierre Mirat, qui était intervenu en 1227 comme caution de Bernard Pelet, subit mille injustices. le châtelain d’Alais, Maynier, lui ayant demandé au nom du sénéchal 25 livres viennois, il répondit par un refus ; son logis fut aussitôt envahi, sa femme, qui relevait de couches, en fut chassée, ses meubles furent saisis ; les gens du châtelain se rendirent ensuite dans son ouvroir et lui volèrent – il était drapier – pour plus de 150 livres tournois de drap. Pour recouvrer ces marchandises, Pierre Mirat dut payer les 25 livres qu’il avait refusées. Toutes ses réclamations furent vaines, le châtelain n’avait fait que suivre les instructions du sénéchal.
 
« Pierre Peillier, autre bourgeois de Bernard Pelet, eut plus encore à souffrir des violences de Maynier ; il se vit dépouiller de ses vêtements, de ses meubles, de ses armes, de son argent ; le châtelain le fit mourir en prison, puis, débarrassé de ce gêneur, opéra une seconde descente à son domicile et enleva tout ce qui s’y trouvait.
« Pierre d’Athies ne fut guerre plus respectueux de la juridiction des Pelet qu’il ne l’avait été des droits de leurs sujets ; il y avait là une source de revenus, dont il ne pouvait manquer de vouloir s’emparer. Ainsi un meurtre avait été commis sur le territoire de Cassagnoles dont la juridiction et la police appartenait à Bernard Pelet ; l’assassin comme la victime étaient hommes de ce seigneur ; celui-ci, loin de refuser justice, prétendait la rendre suivant la coutume. Le roi n’avait donc rien à voir en cette affaire. Pierre d’Athies n’en contraignit pas moins le meurtrier à lui payer 80 livres.
« En présence de ces oppressions et de ces usurpations, la dame d’Alais alla demander justice à la cour du roi, qui lui délivra des lettres enjoignant au sénéchal de faire enquête sur les droits et les possessions des seigneurs alaisiens. Tiburge apporta les dites lettres à Pierre d’Athies au château de Sommières, mais il n’en tint nul compte ; la dame d’Alais en fut pour ses frais…, ils s’élevaient à la somme de 200 livres de viennois.
« Alors commença pour Tiburge l’ère des persécutions. Courageusement, elle s’opposa au sénéchal, qui voulait obtenir d’elle une jeune fille noble de sa suite ; elle déroba à ses poursuites la femme du seigneur de Rousson, vassal des Pelet, qu’il rêvait d’enlever ; comme il avait prudemment éloigné le mari de son château et qu’il y envoyait des sergents chargés du rapt, Tiburge s’empressa de conduire en sureté à Alais la dame de Rousson. (…) »

A suivre