C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

30 août 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 2


I - LA PREPARATION DES ETATS GENERAUX
(Automne 1788 – Hiver 1789)

Avant de retracer quelques épisodes de la Révolution, il faut évoquer, pour la Sénéchaussée, quelques faits marquants de la Campagne préparatoire à l’élection des députés aux Etats Généraux. Le 8 août 1788, le ministère de BRIENNE convoque les « Etats » pour le mois de mai 1789. Un mois auparavant, BRIENNE a accordé le droit d’exprimer les suggestions relatives aux futurs Etats Généraux ; ce qui permet un vaste débat sur la tenue des Etats et sur les réformes à promouvoir.

L’assemblée de Saint-Jean de Gardonnenque

Le 11 novembre 1788, les habitants de Saint-Jean de Gardonnenque (aujourd’hui Saint-Jean-du-Gard) demandent que les députés des communautés locales soient élus par tous les contribuables. Ils demandent aussi une représentation du Tiers-Etat égale à celle des deux autres ordres réunis, ainsi que le vote par tête, et non par ordres séparés ; chaque député (et non pas chaque Ordre) devant disposer d’une voix.

Les deux ordres privilégiés (Clergé et Noblesse) ne groupent que quelques centaines de milliers de personnes ; alors que le troisième Ordre (bourgeoisie et petit peuple) groupe les dix-neuf vingtièmes des Français. Pourtant, dans les anciens Etats Généraux, chacun des trois Ordres disposait du tiers de la représentation totale. Le « doublement du Tiers » réaliserait la parité entre privilégiés et non-privilégiés : cette mesure, réclamée un peu partout, est accordée (fin décembre) par le ministre NECKER.

Le « doublement du Tiers » ne permettra la réalisation des réformes que si, aux Etats Généraux, on vote par tête. Le vote par ordres séparés assurerait aux privilégiés deux voix contre une ; le vote par tête permettra au « Tiers » d’imposer ses vues, surtout s’il peut s’assurer l’alliance du bas-clergé ; cette catégorie, issue du peuple, connaît et partage les difficultés de la majorité des français. Sur cette question décisive, le gouvernement ne se prononce pas.

Anduze et seize autres communautés cévenoles adhèrent à la délibération de Saint-Jean de Gardonnenque, qui demande encore que tous les représentants du « Tiers » soient choisis parmi les membres de cet Ordre seulement. Dans les Assemblées du Tiers-Etat, aucun noble, aucun clerc, ne doit être électeur ni éligible.

Le rôle décisif de Jean-Paul RABAUT SAINT-ETIENNE

Rabaut Saint-Etienne (1743-1794), « ministre » (pasteur), à Nîmes, est le fils aîné de Paul RABAUT, pasteur de « l’Eglise au Désert » ; il a largement contribué à la réalisation de l’Edit « de tolérance » de 1787, qui accorde aux « non-catholiques » le droit à l’Etat-civil.
A la fin de 1788 et au début de 1789, Rabaut Saint-Etienne déploie, dans la Sénéchaussée de Nîmes, un vaste et fructueux effort de propagande en faveur des idées réformatrices. Cet effort prépare la rédaction de « Cahiers de doléances » précisant clairement les revendications qui devront être soutenues par les députés du Tiers-Etat. En mars 1789, RABAUT est élu député d’Anduze, puis de sa ville de Nîmes, à l’Assemblée du Tiers-Etat de la Sénéchaussée. Cette Assemblée fait de RABAUT un de ses huit représentants aux Etats Généraux ; il deviendra président de l’Assemblée Nationale.

En novembre 1788, les correspondants de RABAUT SAINT-ETIENNE diffusent la brochure intitulée « Considérations très importantes sur les intérêts du Tiers-Etat, adressées au peuple des provinces par un propriétaire foncier » Ce texte invite les trois Ordres à réclamer, pour les Etats du Languedoc, une «constitution analogue à celle que vient d’obtenir la province du Dauphiné.

A l’issue de plusieurs mois d’action, à Grenoble et alentour, les Dauphinois ont obtenu des « Etats » provinciaux librement élus, avec doublement de la représentation du « Tiers ». Les Languedociens des trois Ordres se plaignent de la structure archaïque de leurs « Etats », qui pratiquent une coûteuse politique de réalisations de prestige, correspondant mal aux besoins des contribuables.

De plus, à la veille de la réunion des Etats Généraux, les « Etats » de Languedoc veulent se réserver le choix de la députation provinciale ; choix dont la population serait alors exclue, ce qui bloquerait toute velléité des réformes.

Il y a donc urgence à obtenir, pour le Languedoc, une « constitution » de type delphinal, surtout dans l’hypothèse où le gouvernement laisserait les Etats provinciaux maîtres de la députation languedocienne. Des « Etats » réformés, selon le modèle du Dauphiné, désigneraient des députés plus ouverts aux idées réformatrices.

Les initiatives suscitées par les idées de RABAUT

Le 5 décembre 1788, 2000 membres des trois Ordres de Nîmes demandent :

• que les principes sur lesquels les Etats provinciaux du Dauphiné ont été formés soient appropriés à la province du Languedoc,

• que dans l’Assemblée des Etats Généraux, les votes ne soient recueillis « ni par Ordres, ni par gouvernement (province), ni pas bailliage ou sénéchaussée, ni par district, mais par tête de délibérant ; unique moyen pour que la pluralité des suffrages ait la prépondérance ».

Le 14 décembre, une délibération semblable est prise par les Communautés de la Viguerie royale d’Anduze (Anduze, Lasalle, Lédignan, St André de Valborgne, St Jean de Gardonnenque…).

Enfin, le 12 décembre, UZES qui expose les mêmes revendications que Nîmes) suggère des Assemblées diocésaines des trois Ordres, pour amplifier les échos de cette campagne – suggestion adoptée par Nîmes, huit jours plus tard.

22 décembre : Anduze et 17 autres communautés cévenoles demandent à ALAIS d’imiter cette initiative : ce qui est fait, le 25 décembre.

Dans les jours qui suivent (fin décembre 1788 – début janvier 1789), les Communautés locales, représentées dans les trois Assemblées diocésaines demandent le « doublement du Tiers », le vote par tête, et, pour les Etats de Languedoc, une « constitution » inspirée de celle des Etats du Dauphiné. A cet effet, les trois Assemblées députent des commissaires auprès du Roi.

Les textes officiels (hiver 1789)

24 janvier : un règlement royal stipule que les Assemblées de chacun des trois Ordres (pour l’élection des députés aux Etats Généraux) se réuniront par bailliages ou sénéchaussées (les deux termes sont synonymes, l’un étant usité dans le Nord, l’autre dans midi).

27 février : une ordonnance du lieutenant général fixe au 16 mars, l’Assemblée du Tiers-Etat de la Sénéchaussée de Nîmes (le futur Gard, moins la Vidourlenque, plus trois cantons lozériens ou ardéchois).

Dans les huit jours précédant cette date, les Assemblées locales du Tiers-Etat rédigeront leurs « Cahiers de doléances ». La synthèse des 300 cahiers sera réalisée par l’Assemblée tenue à Nîmes (qui élira les huit députés du « Tiers » de la Sénéchaussée aux Etats Généraux).

A suivre.

22 août 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 1


AVANT PROPOS

Ces pages doivent peu à la recherche récente ; leur agencement doit beaucoup à l’ouvrage que le nîmois ROUVIERE consacra à l’histoire gardoise, lors du premier centenaire de la Révolution française. Le présent recueil a un caractère fragmentaire : il retrace quelques épisodes significatifs, sans ambition de totale continuité.

« Anduze et la Révolution » se veut, cependant, lié à l’histoire départementale, à travers la « geste » des quelques enfants d’Anduze dont l’activité civique a dépassé le cadre local. Partout, dans les grands moments de la Révolution, les mêmes causes produisent des effets comparables : quelques brefs rappels de l’histoire nationale permettent de comprendre le sens des événements locaux.

On cite, au complet, deux pièces d’archives fondamentales, datées de mars 1789. Le procès-verbal de l’Assemblée locale de Tiers-Etat permet d’esquisser le tableau d’une bourdonnante activité économique. Le Cahier des doléances d’Anduze est une remarquable anticipation de la Construction politique et sociale souhaitée par la partie la plus éclairée du Tiers-Etat.

Le développement donné à quelques épisodes spectaculaires (comme les incendies de châteaux) veut éviter un récit trop aride. Cela n’interdit pas de montrer les mutations qui ont donné naissance à la France contemporaine (mise en place des nouvelles institutions administratives).

Les noms d’humbles artisans de la transformation révolutionnaire permettent une plongée dans l’ancienne onomastique locale ; beaucoup des patronymes locaux ont disparu, au moment du déclin de l’économie anduzienne (fin du XIXè siècle et début du XXè).

En évoquant l’héritage de quatre-vingt-neuf, on veut montrer le lien qui unit encore (malgré les ruptures économiques et démographiques) la cité d’aujourd’hui au bourg d’autrefois. Souhaitons voir cette esquisse confortée par la publication de documents d’archives, dont l’étude permettrait la remémoration d’un passé local qui a valeur d’exemple, bien au-delà du cadre régional !

LE DECLIN DE L’ANCIEN REGIME

On sait que la grande Révolution française est la conséquence de l’incapacité de l’ancienne monarchie à se réformer, alors que de nombreuses survivances médiévales empêchaient son adaptation aux exigences de la fin du XVIIIè siècle.

De graves problèmes financiers (qui n’ont pu être réglés par les « Assemblées de Notables ») ont contraint le gouvernement royal à convoquer, pour le printemps 1789, les Etats généraux des Trois Ordres (Clergé, Noblesse, Tiers-Etat) : fait sans précédent, en 175 années d’absolutisme !

Jusqu’au XVIè siècle, la royauté française avait su, dans les temps de crises graves, obtenir l’appui des ordres privilégiés et de la bourgeoisie – au prix de certaines concessions que les trois ordres ne manquaient pas de demander –  en contrepartie de l’aide financière accordée au Roi par les Etats Généraux. Rien de tel aux XVIIè et XVIIIè siècles : l’absolutisme, oublieux des anciens usages du royaume – qui marquaient les limites du pouvoir monarchique – est peu enclin à écouter la voix du pays : il détient les moyens de gouverner sans partage !

Mais, après Colbert, la royauté n’a plus de politique financière. Au XVIIIè siècle, les dépenses de l’état deviennent de plus en plus systématiquement supérieures aux recettes (surtout en temps de guerre) ; on en vient à emprunter pour rembourser les emprunts précédents !

La bourgeoisie, créancière de l’Etat, réclame de plus en plus fortement un droit de regard sur les affaires publiques. Classe instruite et entreprenante, elle supporte de plus en plus mal d’être tenue à l’écart (les hautes charges de l’Etat étant réservées à La Noblesse).

L’aristocratie et l’Eglise ne veulent rien céder de leurs privilèges fiscaux archaïques, alors que les « roturiers » sont accablés par des impôts qui ne suffisent plus aux besoins de l’Etat. La crise s’avérant insoluble par les voies ordinaires, la convocation des Etats Généraux devient inévitable.

En élisant leurs députés aux « Etats », les trois ordres rédigent leurs « Cahiers de doléances ». Les Cahiers du Tiers-Etat, œuvres de l’ensemble des communautés rurales et urbaines, précisent des vœux de réformes profondes partagés par la bourgeoisie, le petit peuple des villes et la masse paysanne (largement majoritaire).

Aux Etats Généraux de 1789, l’obstination des privilégiés contraint les députés du Tiers-Etat à adopter une attitude révolutionnaire. La crise économique et sociale généralise cette attitude à l’ensemble du pays : ainsi commence le grand bouleversement qui aboutit, trois ans plus tard, à la chute de la Royauté.

Les particularités méridionales

Pour comprendre la France du XVIIIè siècle, il faut se souvenir des diversités institutionnelles et culturelles qui distinguent les diverses parties du pays. Le mouvement des idées réformatrices est vigoureux dans le Midi occitanophone, pays de Droit écrit (c'est-à-dire de Droit romain, par opposition aux « coutumes », non codifiées, de la moitié Nord de la France).

Quelques régions périphériques (dont le Languedoc) ont conservé leurs «Etats » provinciaux, formés de membres de trois ordres, qui répartissent l’impôt royal et lèvent leurs propres impôts. Alors que, dans les pays « d’Election », les « Elus » (et autres agents royaux) administrent sans partage, en l’absence de toute représentation locale.

Se souvenir de ces importantes nuances régionales, c’est mieux comprendre les spécificités du mouvement révolutionnaire dans les diverses provinces. Il faut penser aussi que l’ouest et le centre de la Sénéchaussée de Nîmes sont restés majoritairement protestants, malgré un siècle d’interdiction totale et de persécutions parfois violentes.

La Sénéchaussée de Nîmes, (à laquelle devait succéder notre département du Gard), appartenait à la Province de Languedoc. L’opposition de nos devanciers aux abus du système « monarcho-seigneurial » se doublait d’une vive hostilité à l’encontre des « Etats de Languedoc ». Cette Assemblée provinciale, formée, non pas de représentants élus, mais de membres de droit, n’était que faiblement représentative des trois ordres de la province. La bourgeoisie n’y avait qu’une place réduite. Les campagnes, (occupées alors par l’essentiel de la population) n’étaient pas représentées aux « Etats » bien qu’elles supportent le poids principal des impôts royaux et provinciaux.

Cette situation particulière explique certains aspects importants de la phase préparatoire à l’élection des députés languedociens aux Etats Généraux.

A suivre.