C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

28 novembre 2015

Anduze et la Révolution par Alain Rouquette - 8

 
Dévastation et incendie des châteaux (Avril 1792)

L’affaire d’Avignon étant réglée, trois compagnies de la garde nationale, en garnison à Villeneuve, ont reçu l’ordre de se rendre à Arles, pour rejoindre leur bataillon (24 mars). Les volontaires souhaitent « faire la route par eau ». Deux grands bateaux seraient nécessaires ; on n’en trouve qu’un seul, sur lequel les trois compagnies s’embarquent. Quelques minutes après le départ, le bateau s’entrouvre ; 69 volontaires gardois sont noyés.
Dans la situation très tendue de cette période, on croit à un complot contre-révolutionnaire. Aux affaires d’Arles et d’Avignon s’ajoute, en Bas-Vivarais, le second rassemblement « d’aristocrates » au camp de JALES ; on redoute de plus en plus vivement les menées des prêtres réfractaires et des aristocrates émigrés. Tout cela est à l’origine de la « Jacquerie » d’Avril 1792, dévastatrice de nombreux châteaux dans tout le département.

Le 2 avril 1792, un attroupement de plusieurs centaines d’hommes armés se forme près de Mons. Le Directoire du district d’ALAIS y expédie soixante cavaliers, accompagnés des administrateurs ROQUIER et SUGIER ; on cerne les attroupés : ce sont des gardes nationaux du canton de Vézénobres, qui croyaient bien faire en allant désarmer des citoyens « suspects ». Ils rendent leurs armes et se retirent dans leurs villages.
Le soir du 3 avril, le château d’AIGREMONT est dévasté : la toiture est détruite, les meubles sont brûlés. Les dévastateurs se portent ensuite aux châteaux de MARUEJOLS et de CASSAGNOLES : ils fracassent les encadrements de fenêtres, abattent les arbres du verger, brûlent les meubles.
Le 4 avril, sur réquisition du Directoire départemental, le Directoire d’ALAIS envoie deux de ses membres à Lédignan, avec 30 cavaliers nationaux d’ALAIS, et surtout d’ANDUZE. On envoie aux Tavernes trois compagnies de grenadiers et un canon : les insurgés se retirent.
Les troupes rentrent à Alais. Mais on apprend alors le pillage et l’incendie du Château de LEZAN. Malgré les sommations, de nombreux habitants du village (parmi lesquels des gardes nationaux !) participent à cette opération.
Mêmes troubles dans le district de ST HIPPOLYTE DU FORT. Au soir du 4 avril, à CANAULES, une troupe armée dévaste la maison du prêtre réfractaire (dont les meubles sont brûlés). La bande découvre les tours du château, puis celles d’une maison appartenant à l’Anduzien OLODIER. Le même jour, à LASALLE, une troupe de 400 à 500 « Marseillais » (venus en réalité d’Anduze et de dix localités voisines) dévaste quatre manoirs, dont les meubles sont jetés dehors. La bande se fait héberger pour la nuit par des habitants du bourg.
Toujours le 4 avril, on incendie le château de TORNAC (propriété d’un Grenoblois). En même temps que le château, on détruit ses annexes : le pavillon de Bellefont et la « Glacière » de la madeleine. Des lettres rédigées par les administrateurs ROQUIER et SUGIER sont à l’origine des procès-verbaux établis, la semaine suivante, par la gendarmerie d’Alais et le juge de paix d’Anduze. Le district fait protéger les châteaux de LASCOURS, CARDET et RIBAUTE.

Le 5 avril, à ANDUZE, dans la plaine de la Bau, on dévaste la maison de campagne de l’homme de loi (GAILLERE) ; on détruit portes et fenêtres, vaisselle et mobilier, vases du jardin et orangers. Le même jour, à la nuit tombante, « une foule d’inconnus » arrive au mas de Prat-France (propriété du même GAILLERE). On saccage habitation et magnanerie ; une partie des bâtiments est incendiée. Les procès-verbaux établis, huit jours plus tard, par la gendarmerie d’Alais et la Sûreté d’Anduze, nous apprennent « qu’un prompt secours garantit le surplus de la maison ».

ROQUIER et SUGIER, commissaires du District, se rendent à Anduze le 6 avril ; cela leur vaut d’assister à un nouvel incendie de château : « A une distance peu éloignée de cette ville, un spectacle horrible pour de vrais citoyens s’est offert à nos yeux. Nous avons vu le ci-devant château de VEYRAC en proie aux flammes. Il était presque nuit ; nous nous y sommes transportés, quoiqu’il soit peu accessible à des hommes à cheval. Nous n’avons vu que des femmes et des enfants qui souriaient à cette espèce d’horreur ; les factieux s’étaient retirés ». Les procès-verbaux de la Sûreté d’Anduze et de la gendarmerie d’Alais (établis quelques jours plus tard) nous apprennent que les « factieux » ont tout brisé à l’intérieur, puis jeté au feu portes et fenêtres. Seule l’aile où logeait le fermier fut épargnée.

Le château de VEYRAC appartenait au Montpelliérain HOSTALIER, Seigneur de SAINT-JEAN DE GARDONNENQUE, où sa propriété est agressée, dans le même temps que celle d’Anduze. Les officiers municipaux de Saint-Jean constatent (avec CARDONNET, président du district, et un officier de police) :
« Quelques personnes, aveuglées par un patriotisme mal entendu, entrent dans le jardin de M. HOSTALIER. Elles abattent un mur, servant de clôture à une ancienne ruelle, qui lui avait été cédé par transaction. Dans cette circonstance, l’autorité de la municipalité fut méconnue par un grand nombre de citoyens, auxquels le vin avait ôté l’usage de la raison ». Pour éviter rixes et effusion de sang, les officiers municipaux préfèrent se retirer et souffrir une désobéissance momentanée, plutôt que d’agir avec sévérité.

Considérant la situation dans l’ensemble du district, les administrateurs ROQUIER et SUGIER écrivent : « l’anarchie est telle, que nous craignons que les gardes nationales ne refusent d’obéir à nos réquisitions ».  Le Directoire départemental constate qu’un très petit nombre de gardes nationales (dont celle d’Anduze) s’oppose aux dévastations. Le 8 avril, ROQUIER et SUGIER se rendent à Vézénobres, où l’on craint le pillage du château.

A suivre.

8 novembre 2015

Un poilu d'Anduze…

A l'approche de la commémoration du 11 novembre et dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, je vais évoquer la destinée d'un poilu anduzien dont le nom échappa de justesse à la trop longue liste figurant sur notre Monument aux Morts. Un véritable miraculé. Né le 12 mars 1890 à Anduze d'un père libraire et d'une mère institutrice, le caporal Alfred Genolhac reçut la balle d'un Maüser allemand en pleine tête, sa trajectoire allant de la tempe droite pour ressortir à la tempe gauche…
Voici son témoignage sous la forme d'un poème tiré d'un fascicule d'une vingtaine de pages, édité chez A. Castagnier (imprimeur anduzien) et regroupant sous le titre "Poésies d'un blessé" une série de textes composée par le soldat lors de sa convalescence, entre 1914 et 1916 :

Souffrance

Vous avez dû souffrir d’une telle blessure,
Dites-vous, endurer un supplice d’enfer ?
Eh bien vous vous trompez, Lecteurs, je vous l’assure,
Je ne me souviens pas d’avoir jamais souffert.

Il me serait aussi malaisé de décrire
L’effet que vous produit une balle en plein front,
Car je n’ai rien senti ; je ne puis que vous dire
Que, stupéfait, le soir, loin du bruit du canon,

Je m’éveillai couché dans un lit d’ambulance,
Me demandant parfois si je n’étais pas fou,
Cherchant à m’expliquer dans ce lieu ma présence.
J’avais été blessé : mais quand, comment ou où ?

Pendant deux ou trois jours je fus comme hébété,
Abruti, c’est le mot, mais sans douleur locale.
Quand enfin, un matin, mon pansement ôté,
Je compris que j’avais au front deux trous de balle.

Ingrats, je vous vois rire, et ces mots héroïques
Ont provoqué chez vous la joie et la gaité,
Pourtant ne sont-ils pas exacts, précis, uniques,
Et l’expression, hélas ! de la réalité ?

Suis-je donc bien fautif si l’argot populaire
A réuni ces mots sublimes, glorieux,
Dans une appellation triviale et vulgaire,
En usage aux faubourgs, aux cabarets douteux ?

Mais vous tous qui riez, et vous dont l’âme exquise
Palpite de dégoût pour ces propos grossiers,
Je serais très heureux que vous m’indiquassiez
S’il est une expression plus brève et plus précise.


Alfred Genolhac est décédé le 16 janvier 1973 à Nice.