C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

18 septembre 2020

Précisions sur le plus grand tableau d’Anduze…

Cette huile sur toile de très grand format (315 X 403 cm) est installée au-dessus de la porte d’entrée de l’église Saint Etienne. D’après le livret qui fut édité à l’occasion de la rénovation de l’édifice en 2003, il s’agit du « Martyre de Saint Etienne », peint par Chloé Dupasquier en 1846.
Je vais apporter quelques corrections et précisions concernant cette œuvre qui trouve une place atypique au sein de notre patrimoine anduzien.

En fait cette toile importante et son lourd encadrement appartiennent à la collection d’art de l’Etat et non à l’Eglise ou à la municipalité. L’ensemble fut mis en dépôt à partir de 1846 dans l’église sous la responsabilité de la mairie, ceci dans le cadre d’une politique nationale de diffusion des œuvres d’art dans toutes les régions de France. Une initiative culturelle qui prit naissance à la Révolution et qui continue d’ailleurs encore aujourd’hui avec les prêts de nombreux objets d’art aux musées et autres différentes institutions en capacité de les recevoir.

Concernant notre fameux tableau il avait été proposé en 1845 à la peintre Ernestine Hardy de Saint-Yon d’exécuter une copie de l’œuvre originale de Charles Le Brun « La lapidation de Saint Etienne », réalisée en 1651 pour Notre-Dame de Paris ; le peintre préféré de Louis XIV répondait à une commande de la guilde des orfèvres de la capitale qui offrit l’œuvre à la cathédrale.

Alors, l’auteure de cette copie : Chloé ou Ernestine ?…
J’ai peut-être une explication. Officiellement pour l’administration de l’époque la commande a été passée à Ernestine ; seulement il faut savoir que celle-ci était l’épouse d’un certain Auguste Claude François Gamen-Dupasquier, peintre copiste ! De là à imaginer que Chloé Dupasquier, elle-même peintre copiste, faisait partie de la famille : peut-être travaillaient-ils ensemble sur les grands travaux ?…
Les copistes n’ayant pas le droit de signer leurs œuvres côté peinture, ils le font au dos de la toile ou sur le châssis : c’est sans doute à cet endroit que le curé d’Anduze a trouvé le nom de Chloé pour son livret, certainement lors du décrochage du tableau pour nettoyage (tous les tableaux de l’église avait été confiés à un restaurateur d’Avignon).

La photo du haut montre la copie présente à l’église ; celle du dessous, l’original de Le Brun : si la reproduction est très honorable et fait honneur à la ville d’Anduze, elle a tout de même ses limites en ne pouvant imiter le « coup de patte » du grand maître du Classicisme français…


5 septembre 2020

Meilleur souvenir de Caecilius Cornutus, d’Anduzia…

Ce billet consacré au seul vestige antique officiel de la municipalité d’Anduze fait suite à celui commis en juin 2017 sur le même sujet avec le don d’un autel votif gallo-romain anduzien à la commune par un particulier.
Un monument en pierre aux dimensions et poids respectables qui a trouvé sa protection au rez-de-chaussée de la tour de l’Horloge. Il était prévu d’installer un éclairage judicieusement placé pour que l’on puisse apprécier la jolie gravure de sa dédicace.



 Voici l’extrait d’un article d’Elisabeth Hébérard, paru dans la revue annuelle du GARA (Groupe Alésien de Recherche Archéologique) de 2018, qui résume parfaitement bien et de façon très claire le profil de cette grande pierre sculptée destinée à l’offrande :

« (…) De facture très soignée, le style romain avec ses codes symboliques est bien présent, indiquant une datation fin premier siècle / début deuxième siècle : on remarque au dos une couronne de laurier tressé, sur le sommet mouluré un coussin enroulé avec rosette, et un rameau d’olivier sur chacune des parois latérales.
« Cet autel, en calcaire du Bois des Lens
(*), est un riche acte d’offrande, dont la dédicace gravée livre l’identité du donateur (CAECILIVS CORNVTVS) et celle de la personne honorée, ici une mère (MATRIS MAGEIS) et le signe V.S. de reconnaissance. Le questionnement s’est focalisé sur ce nom MAGEIS qui n’est pas une forme purement latine, mais qui serait la déviation du nom gaulois MAGA. Mais MAGA est-elle une mère maternelle ou une divinité ? Et là est tout l’intérêt de ce nom qui nous relie à l’histoire antique de cette région de souche celtique (= gauloise), progressivement romanisée à partir du deuxième siècle avant J.-C., et ayant adopté des pratiques romaines au début de notre ère tout en conservant les traces d’une tradition.
« Caecilius Cornutus devait faire partie de cette aristocratie de souche gauloise élevée aux dignités romaines, peut-être est-il à mettre en relation avec la grande famille des Cornvtvs installée au Proche Orient aux frontières de l’Empire !
« Encore une fois, la preuve est faite que la région des Cévennes eut une histoire antique liée à celle du bassin méditerranéen ! ».


Adrien Bru, l’épigraphiste spécialiste de la période antique qui avait eu la gentillesse de venir à Anduze en 2017 pour voir l’autel, devait nous en fournir une étude détaillée ; à ce jour nous l’attendons toujours…
A cela plusieurs raisons ; la première et non des moindres est que notre ami savant est un homme très occupé, ce que nous comprenons, avec certainement des priorités légitimes de travail ; mais la deuxième et sans aucun doute la plus importante sont les incertitudes liées à l’interprétation de certains mots employés dans l’inscription de la dédicace.
Il s’en était ouvert à Elisabeth et moi-même à travers un courriel commun qu’il nous avait adressé au mois de juillet 2019. En voici l’extrait principal :

« je pense toujours à l’inscription d’Anduze sur l’autel placé dans la tour (= Année épigraphique 1963, n°116), qui pose quelques difficultés. Après des recherches supplémentaires, je crois qu’il s’agit d’un autel votif dédié « aux Mères », divinités celtiques (souvent au nombre de 3) : j’ai trouvé pas moins de 7 parallèles, tous sur les territoires des Volques Arécomiques et des Voconces, en Gaule Narbonnaise.
« La déclinaison de « Matris Mageis » est surprenante, car on attendrait d’abord « Matri » (« A la Mère, dans ce cas au singulier) ou « Matribus » (« Aux Mères », au pluriel) avec un datif latin de dédicace ; « Matris » est un génitif singulier latin inattendu ici ; mais il y aurait peut-être une autre explication : l’utilisation d’un accusatif de dédicace (usage grec, dont l’influence existe à Anduze) qui devrait être « Matres », ici avec une légère modification locale : « Matris », comme dans les dédicaces votives dont j’ai trouvé les parallèles. « Matris » est, je pense, l’épiclèse ou l’appellatif celtique local (et inconnu jusqu’ici) de ces « Mères », dont le culte est bien attesté chez les Volques et les Voconces, mais sans la précision « Mageis ».


Si pour le maître de conférence à l’institut des sciences et techniques de l’Antiquité de Besançon on ne peut émettre un rapport définitif sur notre autel votif du fait de questions restant en suspend pour le moment, c’est tout à son honneur : l’honnêteté et la rigueur intellectuelle sont les premières qualités chez les grands chercheurs. Il n’en demeure pas moins que son hypothèse est séduisante et tant pis si nous devons attendre encore pour sa confirmation officielle ! Vous savez déjà qu’Anduze est terre de mystères, et c’est bien pour cela qu’elle est si attachante…

(*) Les carrières antiques à ciel ouvert du Bois des Lens étaient situées à environ 25 kilomètres à l’ouest de Nîmes, entre Gardon et Vidourle. Ce calcaire fin était surtout destiné aux motifs architecturaux et à la sculpture.