C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

22 novembre 2016

François-Félix de La Farelle et les seigneurs d’Anduze… 3

Voici le troisième et dernier volet de cet article concernant le destin funeste de la première et grande maison féodale d’Anduze, certes victime de sa loyauté envers son suzerain, mais aussi sans aucun doute de la jalousie au plus haut niveau de la couronne… Un texte dont le style s’inscrit bien dans son époque avec notamment en guise de conclusion une envolée lyrique caractéristique de ce milieu du dix-neuvième siècle !

 


« Au bruit de sa marche, presque toutes les villes, presque tous les châteaux, presque tous les barons de nos contrées se hâtèrent de lui envoyer ou apporter leur soumission. Bermond de Sauve lui-même, qui avait alors succédé à Bernard VII d’Anduze, son grand-père, se rendit à sa cour, et lui prêta hommage lige en 1226, pour tous ses châteaux et domaines. Après une lutte désespérée de deux ou trois ans, le comte de Toulouse, découragé, consentit à son tour à faire la paix et à subir les conditions du vainqueur ; mais Louis VIII, étant venu à mourir sur ces entrefaites, le traité ne fut signé qu’à Paris, en 1229, avec Blanche de Castille, sa veuve, reine régente du royaume et tutrice du jeune Louis IX, son fils. Raymond VII, renouvelant alors la fameuse humiliation de son père au concile de St Gilles, se présenta le jeudi saint, devant le grand portail de Notre-Dame, pour y faire amende honorable. « Ce fut un spectacle bien digne de compassion, dit un auteur contemporain, de voir un si grand homme qui avait résisté à tant de nations, être conduit à l’autel en chemise, en haut de chausse (in braccis) et nu-pieds. » Les coups de verge lui furent seuls épargnés par le légat, ce que l’on doit considérer comme un véritable progrès ; mais ce qu’on ne lui épargna point au contraire, ce fut la spoliation de la majeure partie de ses états. Il en fut dépouillé soit au profit de la couronne de France, soit en faveur du saint Siège, à l’égard du marquisat de Provence et de ses autres possessions au delà du Rhône.
 
« Raymond conserva seulement la ville de Toulouse avec son territoire épiscopal et quelques autres terres de médiocre importance ; encore même fallut-il remettre Jeanne, sa fille unique, à peine âgée de huit ans, entre les mains de la reine régente, pour être plus tard mariée à celui des frères de saint Louis que désignerait ce monarque. A cette condition, elle devait hériter de la ville de Toulouse et des autres domaines laissés à son père : mais le tout devait, après elle et à défaut de postérité, faire aussi retour à la couronne de France.
 
« Nous n’avons sans doute pas besoin de signaler la portée de cette dernière clause qui excluait la maison d’Anduze, ou pour mieux dire Bermond VII, de ses droits éventuels à la succession de Raymond VI, son aïeul. On ne voit pas néanmoins que Bermond ait alors protesté contre cette spoliation future ; peut-être ne l’osa-t-il pas en présence du monarque français victorieux ; peut-être n’y apporta-t-il qu’un médiocre intérêt, supposant ou que Jeanne aurait des enfants, ou que Raymond se procréerait d’autres héritiers ; mais ni l’une ni l’autre de ces hypothèses ne se réalisèrent, quoique la jeune princesse de Toulouse eût été mariée, même avant d’être nubile, au prince français Alphonse.
 
« Quatorze années après le traité de Paris, c’est-à-dire en 1242, les circonstances parurent favorables au comte Raymond pour essayer de rompre, avec le tranchant de son épée, ce traité si fatal à sa gloire, à son ambition et à l’avenir de sa race. Le roi d’Arragon, les comtes de Provence, de Foix, de la Marche, et de Comminge, se montraient disposés à le seconder. Le roi d ‘Angleterre, son oncle, promettait de faire une utile diversion du côté de la Guyenne, et avait déjà débarqué à Bordeaux avec une armée. Presque tous les seigneurs et barons de l’ancienne mouvance du comte, semblaient las de supporter le joug des Français, dont les habitudes, la rudesse et la hauteur les fatiguaient et blessaient singulièrement. Les peuples eux-même regrettaient leur ancienne indépendance de toute domination étrangère, et le gouvernement d’un prince, leur compatriote, dont les ancêtres régnaient sur eux depuis quatre siècles.
 
« Une ligue formidable se forma donc, en deçà de la Loire, contre la royauté française. Avons-nous besoin de dire que Bermond ne fut ni le dernier, ni le moins ardent à s’y jeter. On peut hardiment conjecturer qu’il en fut même un des principaux moteurs. C’est que, pour lui, il ne s’agissait pas seulement de satisfaire des antipathies nationales et de se soustraire à un joug odieux ; du succès pouvait sortir, au profit de sa famille, l’éventualité d’une brillante couronne, éventualité qui se fût même réalisée, car Alphonse et Jeanne de Toulouse moururent plus tard sans enfants, ainsi que nous l’avons énoncé tout à l’heure. Mais la fortune, ou plutôt la Providence, en avait décidé autrement : la prise d’armes du comte de Toulouse échoua rudement et rapidement. Le roi d’Angleterre fut battu par les troupes de saint Louis ; le comte de la Marche se détacha de la ligue ; le comte de Foix et les autres princes confédérés se soumirent. Raymond lui-même n’eut d’autre parti à prendre que de se mettre à la merci de son suzerain. Il obtint son pardon, rendit tous les châteaux et bourgs dont il s’était emparé, s’engagea à raser les fortifications de Toulouse, et se vit seulement condamné à se renfermer dans l’observation plus stricte, plus rigoureuse que jamais, du traité de Paris.
 
« Restait l’infortuné Pierre Bermond, qui avait maintenant à supporter seul tout le poids du courroux du monarque français. Aussi fut-il plus maltraité que tous les autres ; et l’on peut le considérer comme la victime sacrifiée à la vengeance, ou mieux encore, aux craintes intéressées du vainqueur. Toutes ses terres et seigneuries furent confisquées et réunies à la couronne, moyennant une pension héréditaire de 600 écus, qui lui fut octroyée, et la cession de la baronnie d’Hierle, dont il ne put même jamais obtenir la remise, malgré ses réclamations réitérées. Défense expresse lui fut faite de jamais remettre les pieds dans les cités et châteaux d’Anduze, Sauve, Sommières, Alais, etc. Ainsi s’éteignit dans nos contrées la domination de la maison seigneuriale d’Anduze. – Tandis que la branche des Raymond Pelet conservait seule sa portion de la seigneurie d’Alais en commun avec le roi de France, la descendance directe de Bermond VII se dispersa dans les provinces voisines, où nous la voyons apparaître de temps à autre portant toujours le nom d’Anduze, mais sans autre rapport que ce nom avec la cité qui le leur avait donné. En 1259, par exemple, sept ans après la mort de Bermond, Guillaume d’Anduze, son fils, et Philippine, sa fille, vicomtesse de Narbonne, font donation à Aymeri de Narbonne, leur neveu et fils, du comté de Tripoli, en Syrie, ou, pour parler plus exactement des prétentions que les comtes de Toulouse avaient eues sur ce comté ; ils font cette donation comme héritiers de Raymond VI, leur bisaïeul, et de Constance de Toulouse, leur grand-mère, tant il est vrai que le traité de 1229 avait seul ravi à la maison d’Anduze son droit héréditaire à la succession des comtes de Toulouse. Ce vain titre de comte de Tripoli fut donc le seul débris que cette maison sauva du grand naufrage de 1242 et 1243.– Que, si la ligue de la grande féodalité méridionale contre la couronne de France avait, au contraire, réussi, Anduze aurait eu, selon toute apparence, l’honneur de donner une dynastie royale à ce que l’on pourrait fort bien appeler le royaume de la Languedoc.

« Mais faut-il regretter qu’un tel événement ne se soit point réalisé ? Non, sans doute, car sa réalisation allait à l’encontre des hautes destinées historiques, réservées à notre glorieuse patrie. Il fallait, pour l’entier accomplissement de ces destinées, que le comté de Toulouse, comme les duchés de Normandie, de Bretagne, de Bourgogne, comme la Franche-Comté, la Provence et le Dauphiné, perdissent tour à tour leur rang d’états souverains, et devinssent les simples provinces de la monarchie la plus homogène, la plus compacte peut-être qui ait jamais existé. Oui, les choses devaient ainsi se passer, pour que toutes ces nationalités distinctes, languedocienne, normande, bretonne, bourguignonne, comtoise, provençale, dauphinoise, etc., fussent un jour, au beau soleil du 19.me siècle, fondues en une seule et immense nationalité, la grande nationalité française. »

9 novembre 2016

François-Félix de La Farelle et les seigneurs d'Anduze… 2


« Cette mémorable alliance de la maison d’Anduze avec la maison souveraine de Toulouse, s’effectua dans un moment où cette dernière avait grand besoin de se ménager l’appui de ses principaux vassaux ; car elle allait se trouver en bute à une ligue formidable, dont le prétexte était la prétendue complicité du comte Raymond VI avec l’hérésie ou révolte religieuse des Albigeois, et la véritable cause, la jalousie que sa trop grande puissance inspirait à tous les potentats ses voisins. Raymond VI, en voyant s’approcher l’armée des croisés, qui, sous les ordres de l’impitoyable Simon de Montfort, venait fondre sur ses sujets accusés d’hérésie, prévit bien que l’orage ne tarderait pas à éclater sur sa propre tête. Il jugea donc indispensable de se réconcilier au plus vite avec le saint Siège, et se rendit au concile de St-Gilles, pour y obtenir la levée de l’excommunication fulminée contre lui. Il y reçut, en effet, son absolution ; mais à quel prix ? au prix de l’humiliation la plus profonde qu’un prince souverain ait jamais eue à subir. M.e Milon, notaire et légat du pape, après avoir exigé son serment d’obéissance au chef de l’Eglise, lui fit passer une étole au cou, et, la prenant par les deux bouts, il l’introduisit dans l’église en le fouettant avec une poignée de verges(1) (Histoire du Languedoc). Bermond, son gendre, eut la douleur d’assister à cette humiliante cérémonie, ainsi que Bernard VII d’Anduze, et douze autres grands vassaux de l’infortuné comte Toulousain.
 
« Celui-ci n’obtint même pas, pour prix de cette inconcevable faiblesse, d’être plus épargné que ses malheureux sujets, menacés par la croisade, et, en moins de trois ans, Simon de Montfort l’avait dépouillé de la presque totalité de ses états. Il parait que Bermond, peu jaloux de se faire envelopper dans la disgrâce de son beau-père, non-seulement ne fit pas de grands efforts pour le défendre, mais joignit ses bandes cévenoles aux croisés qui assiégèrent et prirent Béziers. IL ne tarda même pas à séparer plus nettement sa cause de celle de son beau-père et de son neveu le jeune comte Raymond VII. Instruit que le roi d’Aragon, à la prière du vieux comte découragé, intercédait auprès du saint Siège en faveur de ces deux princes, il envoya, de son côté, un ambassadeur à Rome, pour y réclamer l’investiture et la mise en possession de l’entier héritage de Raymond VI. Selon lui, cet héritage revenait de droit à son épouse Constance, seul enfant légitime dudit Raymond, son fils étant, au contraire, illégitime comme issu d’une femme épousée par son père du vivant de Béatrix, sa première compagne. Voici, du reste, la partie la plus importante de sa lettre, telle que don Vaissette nous l’a conservée.
« Moi et mes ancêtres étant spécialement vassaux de l’Eglise romaine, de laquelle nous tenons une partie de nos domaines sous un certain cens, et lui ayant été obéissants et dévoués, je ne doute pas que votre Sainteté ne me réserve tous mes droits. J’ai épousé une fille du comte de Toulouse, laquelle est le seul enfant légitime qu’il ait ; ainsi les domaines de ce prince m’appartiennent à plus juste titre qu’à tout autre. Je prie donc votre Sainteté de ne pas instituer héritier Raymond, fils du comte de Toulouse, supposé qu’il vous en prie, ou quelque autre pour lui, et de ne pas le regarder comme légitime, parce qu’il ne l’est pas, étant né d’une femme (Jeanne d’Angleterre) qui était parente de son père au troisième degré, et que ce comte a épousée durant la vie de la mère de mon épouse, sa femme légitime. Si le jeune comte de Toulouse était institué héritier, non-seulement notre droit serait anéanti, mais tous les soins que les croisés se sont donnés pour rétablir la foi dans la province de Narbonne, deviendraient inutiles. » Pierre Bermond termine sa missive en promettant de se soumettre tout ce qu’ordonnera le pape, et se déclare son chevalier. Mais le pape avait des engagements trop positifs avec Simon de Montfort, pour faire droit à cette requête, qui est de 1212.
 
« Bermond VI eut pour successeur, même avant la mort de son père Bernard VII d’Anduze, arrivée en 1222, un autre Pierre Bermond, septième du nom, son fils aîné.(1) (M. Paulet, et à sa suite tous les historiens qui ont écrit spécialement sur les annales anduziennes, ont confondu ce Bermond VII, petit-fils de Raymond, avec Bermond VI, son père, époux de Constance, ce qui a occasionné, de leur part, d’étranges bévues. Paulet fait pis encore, il confond Raymond VI lui-même avec Raymond VII, qu’il fait fouetter à St-Gilles, en 1229 au lieu de 1209, à la place du comte son père. Ces deux méprises avaient jeté le désordre le plus complet dans cette partie de son histoire, que nous avons tâché d’élucider.)
 
« Peu après, en 1218, la mort de Simon de Montfort, tué au siège de Toulouse, vint ranimer le courage et rétablir les affaires de son aïeul, le vieux comte de Toulouse ; mais celui-ci, avant de se remettre en campagne, voulut se réconcilier avec la puissante maison d’Anduze, et conclut, à Perpignan, un véritable traité d’alliance avec son petit-fils. Par ce traité, dont le texte latin nous est parvenu, Raymond VI, comte de Toulouse, accorde à Bermond de Sauve, 1.° le château de Laroque-Valsergue, en Rouergue, avec toutes ses dépendances ; 2.° ses droits sur les comtés de Milhau et du Gévaudan, que le roi d’Aragon lui avait engagés moyennant 4,000 marcs d’argent fin ; 3.° la suzeraineté et domination qu’il avait lui-même sur les terres de Raymond Pelet, co-seigneur d’alias et autres lieux ; 4.° enfin, la suzeraineté et domination qu’il avait également sur toutes les possessions, tant de Bernard VIII d’Anduze, seigneur de Portes, oncle de Bermond, que de Vierne de Melgueuil, femme de ce même Bernard. De son côté, Bermond s’engage envers son aïeul à le servir et soutenir envers et contre tous, excepté contre le pape et le roi de France, à moins qu’ils ne refusassent de lui faire justice.
 
« Le seigneur de Sauve renonça, sans doute aussi, implicitement du moins, aux prétentions élevées par son père et sa mère, sur les autres états du comte de Toulouse ; car, à la mort de ce dernier, arrivée en 1222, Raymond VII, son fils, s’en mit tranquillement en possession, sans que son cousin germain, Bermond VII, essayât d’y mettre aucun obstacle. Le nouveau comte ne jouit pas long-temps en paix de l’héritage de ses aïeux, que son père lui avait légué après l’avoir reconquis, pendant les quatre dernières années de sa vie, sur Amaury de Montfort, fils et successeur de Simon. Un plus redoutable et plus puissant adversaire ne tarda pas, en effet, à venir le lui disputer. Les rois de France n’avaient point oublié que deux de leurs plus illustres prédécesseurs, Clovis et Charles Martel, avaient autrefois conquis et gouverné nos belles provinces méridionales. Le jeune Louis VIII, fils de Philippe-Auguste, n’ayant pas, comme son père, à lutter contre les Anglais, résolut de joindre ce nouvel et beau fleuron à la couronne de ses pères. Après s’être fait céder les droits d’Amaury de Montfort, et avoir obtenu, pour ses projets de conquêtes, la consécration du pape, il prit la croix avec un nombre infini de seigneurs français, ses vassaux, et s’achemina vers les états de Raymond à la tête d’une puissante armée. »

A suivre