C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

29 décembre 2020

Ouvrez ouvrez les cages d’Anduze !…

L’avantage d’une petite ville au grand passé comme Anduze est qu’on la découvre tous les jours ou presque un peu plus ! Si les visites organisées par l’office de tourisme et autres historiens amateurs peuvent régaler, à juste titre, un public avide d’histoire et d’anecdotes locales, il n’est pas de plaisir plus grand que de découvrir par soi-même des lieux inédits au hasard d’une balade  – non minutée ! – ou d’une porte cochère restée ouverte…
Malgré une perte énorme de son patrimoine au cours des siècles – et cela toujours pour de bonnes raisons !… – la vieille cité a su garder en son cœur quelques jolies traces des périodes économiques fastueuses de son histoire. Des traces souvent cachées et inaccessibles parce que du domaine privé, comme les deux cages d’escalier parmi les plus magnifiques d’Anduze dont je vais vous parler aujourd’hui.
 
La première se trouve au numéro six de la place Couverte ; il s’agit d’un large escalier en pierre, à balustres, du dix-septième siècle et superbement entretenu par la propriétaire des lieux. A l’origine il était à l’air libre, longeant une petite cour intérieure ou « puits de fraîcheur ». Comme beaucoup de ces « puits » et à tort ou à raison, celui-ci a été rendu étanche par la pose d’une verrière sur le toit. Même au temps de Louis XIII un escalier de cette facture devait coûter cher et la présence aussi d’une très grande cave en pierres taillées pourrait confirmer qu’à l’époque cet immeuble devait appartenir à un riche commerçant de la place.
 
La deuxième est encore plus particulière puisqu’elle appartient à une « maison noble » qui se situe au croisement des rues Saulneries et des Albergaries, un des plus vieux quartiers de la ville. Si dans les années 1990 j’ai pu entrer facilement pour visiter cette maison de maître, c’est qu’elle était encore tenue par un vieil antiquaire qui y exposait ses trouvailles. On entrait dans les lieux par une porte de service, côté rue Saulneries ; la belle entrée principale, côté rue des Albergaries, était fermée par une épaisse porte en bois moulurée assez abîmée vers le bas (comme beaucoup de portes anciennes) et dotée d’une énorme serrure avec sa grosse clé, le tout d’époque Louis XIV. A l’intérieur, face à cette entrée, une large cage d’escalier avec cette fois une rampe en fer forgé du plus bel effet s’élevait vers les étages supérieurs.
Le long des murs blancs étaient accrochées des armes blanches de toutes natures mais pas la plus importante aux yeux de notre antiquaire qui affirmait avoir découvert et possédé l’épée de Jean Cavalier… avant qu’on ne la lui vole ! Une affaire qui n’a jamais vraiment été élucidée à ma connaissance.
Après le décès du maître des lieux, il y a pas mal d’années maintenant, de gros travaux dont certains urgents, comme la toiture, suivirent pour la préservation de l’immeuble. Depuis, celui-ci est complètement fermé et c’est bien dommage…
 
Bien sûr il existe d’autres belles entrées et cages d’escalier à Anduze, certaines d’ailleurs avec encore leurs élégants décors peints. A part quelques exceptions elles ont été relativement épargnées des remaniements effectués par leurs différents propriétaires au cours des siècles, ceux-ci privilégiant plutôt les fenêtres et façades des bâtiments.
Alors il ne faut pas hésiter à pousser les portes, quand on a la chance qu’elles ne soient pas verrouillées !…
 
Photo du haut : cage d’escalier de la place Couverte.
Photo du bas : ancien flyer de l'antiquaire - pour l’adresse il s’agit bien de la rue Saulneries et non Sonnerie ! Il est étonnant qu'il ait laissé passer une telle erreur…

13 décembre 2020

Germain Restouble à l’affiche…

Dans un billet relativement récent j’avais évoqué Germain Rodrigo dans l’exercice de ses multiples talents de peintre (billet 1 - mai 2020) ; aujourd’hui je vais vous parler de celui qui fut son ami mais aussi une figure locale célèbre en son temps.
 
Il s’agit de Germain Restouble, surtout connu pour avoir été pendant de nombreuses années le « Monsieur cinéma » d’Anduze. Avec le même prénom et les mêmes initiales les deux hommes étaient aussi de la même génération, Restouble ayant quatre ans de plus. Ils virent tous les deux, au fil des années d’une longue vie, disparaître progressivement les copains, ce qui renforça leurs liens réciproques : je fus quelques fois témoin de l’inquiétude de l’un quand celui-ci n’avait pas vu l’autre depuis deux jours !…
 
Né en 1903, Germain Restouble arriva de sa Lozère natale en même temps que l’électricité à Anduze, en 1923. Des circonstances prémonitoires puisqu’il devint artisan électricien à la Porte des Cévennes…
 
Passionné par le septième art, il réussit à ouvrir une salle de cinéma dans les années précédant la deuxième guerre mondiale et commença par la même occasion une formidable collection d’objets cinématographiques et notamment d’affiches qui ne furent pas, malheureusement, toujours conservées dans les meilleures conditions. Au cours de l’un de nos entretiens Germain m’apprit que pendant l’Occupation sa petite salle, située avenue Rollin à l’emplacement de la Perception actuelle, fut réquisitionnée par les nazis qui installèrent comme rideau d’écran une grande toile en tissus rouge avec la croix gammée.
Les nombreuses années passant, notre Lozérien ne prit jamais vraiment sa retraite malgré un âge très avancé. Il garda jusqu’au bout ses locaux, cinéma compris, celui-ci pourtant fermé depuis longtemps. Il faut dire qu’avec son état d’esprit de collectionneur et sa longévité, Germain avait accumulé énormément de choses, à l’excès, donnant l’impression qu’il ne jetait plus rien !
 
Il se partageait entre deux boutiques rue Neuve, situées presque l’une en face de l’autre. La plus grande avait un certain succès puisque c’était le lieu d’exposition de ses collections de vieux postes de radio et d’anciens matériels de cinéma ; l’autre lui servait de « bureau » mais était tout aussi envahie d’un véritable bric à brac dont des centaines de journaux et autres revues que l’on voyait déborder sur les marches de l’escalier menant aux étages de l’immeuble, que par ailleurs il habitait !…
 
Les fins d’après-midi d’hiver, quand vous passiez rue Neuve envahie par la nuit et déserte, il n’était pas rare d’apercevoir, à travers la vitrine éclairée chichement par le cône de lumière d’une petite lampe de bureau, la silhouette assise du « père Restouble » penchée sur sa table avec une grosse loupe à la main pour l’aider à lire…
Mais c’est aussi souvent à ces heures là qu’il recevait des visites dont un autre de ses amis, l’écrivain Joseph Zobel ; d’ailleurs celui-ci évoqua ces rencontres dans l’un de ses plus beaux livres sorti en 1994, « d’Amour et de Silence ». Germain en avait été particulièrement touché.
 
Je passais moi-même de temps en temps lui faire une petite visite durant les dernières années de sa vie et c’est lors de l’une d’elles, en octobre 1997, que j’avais avec moi mon appareil photo « argentique », chargé en noir et blanc ; aussi je lui ai proposé de faire son portrait, tout en continuant notre conversation qui avait dérivé pour je ne sais quelle raison sur sa réputation de mauvais caractère… Pour toute réponse il me gratifia d’une grimace que j’eus le réflexe de saisir avant qu’elle ne se transforme en un large sourire complice !
Décédé à 97 ans, Germain Restouble n’a jamais pu atteindre sa centième année, comme la dépassa Germain Rodrigo : peu importe puisque les deux amis sont entrés ensemble dans l’histoire d’Anduze pour d’autres raisons…

27 novembre 2020

Une fenêtre sur l’histoire de la place Couverte…

En 2017/2018 eut lieu la rénovation complète – et il en avait bien besoin ! – de l’un des plus vieux immeubles qui ceinturent la place Couverte. Au cours du décroûtage de la façade, en octobre 2017, les ouvriers mirent au jour une magnifique petite fenêtre en pierres taillées de style gothique, en excellent état.

Celle-ci avait certainement été comblée au plus tard au dix-huitième siècle lors d’un changement des baies du bâtiment, avec sans doute aussi une redistribution de l’espace intérieur des différents appartements.

C’est un nouveau propriétaire des lieux qui conduisit et participa lui-même aux lourds travaux de l’immeuble. Celui-ci est situé sur la gauche de l’entrée de la rue Notarié en partant de la place. Ce fut une réhabilitation sérieuse, faite dans les règles de l’art et respectueuse des contraintes patrimoniales du site ; une constatation malheureusement rare à Anduze pour être soulignée. Le particulier/entrepreneur décida, après en avoir prévenu la municipalité, de conserver visible cette jolie fenêtre sur sa façade entièrement restaurée…

Tant mieux pour Anduze car, en dehors du fait de son caractère architectural devenu atypique aujourd’hui au cœur du centre historique de la cité, elle témoigne de l’histoire très ancienne de son immeuble et plus largement de la place Couverte.
Etant particulièrement bien située, certains locataires ou propriétaires du logis dont elle dépendait, et qui se sont succédés pendant quelques siècles, ont dû être témoins à travers cette ouverture de bien des événements de l’histoire ancienne d’Anduze. A ce propos je ne peux m’empêcher de penser à l’un des épisodes les plus dramatiques des guerres de religion au seizième siècle et qui se passa sur la place Couverte en 1557, devant la fontaine (celle qui précéda la fontaine Pagode, non encore créée). C’est l’un des notaires d’Anduze de l’époque, Etienne de Cantalupa, qui consigna par écrit les circonstances du supplice de Claude Rozier :

« Nota, que le dimanche 22è du mois d’aoust, frère Claude Rozier, cordellier de la ville d’allès, ayant prêché la caresme passée dans la ville d’Anduze, et découvert les abus de la papaulté, l’official de Nismes fit enquérir contre lui ; mais il se retira à Genève et se maria. Et estant venu de sa part, fut prins et condamné par messires Malras, et d’Alson (d’Aussone) estans en ce pays, à faire amende honoraire, la langue couppée, et bruslé à petit feu au devant de la fontaine, le jour susdit, et moureust en vray martir, sostenant toujours la religion » (Registres d’Etienne de Cantalupa, année 1557, folio 62, verso).

La beauté de cette petite fenêtre et son rétablissement dans le décors de la place Couverte viennent confirmer de la plus belle des façons que des trésors cachés, petits et grands, restent toujours à retrouver et à mettre en valeur dans notre cité historique. Quand en plus le découvreur, à l'image de ce propriétaire dynamique, a la fibre patrimoniale, c'est la cerise sur le gâteau !…
 

Les deux photos ont été prises dans les jours suivant la découverte de la fenêtre.

13 novembre 2020

Pierre d’Anduze : un destin religieux atypique… 2

A Saint-Gilles, frère Pierre d’Anduze va devenir au fil des années l’un des proches collaborateurs de maître Géraud, fondateur de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Nous le retrouvons témoin de divers actes passés entre l’ordre et les autorités ecclésiastiques traditionnelles. C’est sans aucun doute à cette époque que Pierre développa ses talents de conciliateur et de négociateur qui lui permirent de se faire remarquer par les hautes instances religieuses.

A la mort de Géraud, en 1120, le poste suprême resta occupé quelques temps de façon transitoire par des frères successifs jusqu’à la nomination de Raimond du Puy vers 1123. Celui-ci est surtout connu pour avoir fait évoluer les statuts de l’ordre et permettre ainsi aux Hospitaliers de défendre aussi par les armes les pèlerins et les lieux saints.

En 1121 c’est Hugues, abbé de Saint-Gilles, qui décède après avoir lancé quelques années plus tôt les bases de la nouvelle et immense église abbatiale, destinée à recevoir les pèlerins de plus en plus nombreux. Sa construction, souvent interrompue pour des raisons politiques ou financières, va durer des années pour finalement n’être jamais complètement terminée.
Son sacerdoce fut aussi marqué par le grave conflit qu’il vécut avec le comte de Toulouse Alphonse Jourdain, celui-ci voulant récupérer certains domaines, droits et taxes qui furent donnés par son père Raimond IV à l’abbaye avant son départ sans retour pour la première croisade. N’ayant de compte à rendre qu’au pape, Il se battra aussi pour que le monastère garde son indépendance – et donc une certaine puissance – et ne passe pas sous la domination de l’abbaye de Cluny et de son puissant abbé qui en faisait la demande insistante.

C’est certainement la conjonction de tous ces événements qui favorisèrent la nomination par le pape Callixte II de Pierre d’Anduze à la haute et prestigieuse fonction d’abbé de Saint-Gilles.
En 1132 le pape Innocent II arbitra le différent entre l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, et celui de Saint-Gilles, Pierre d’Anduze, en autorisant simplement un droit de regard du premier sur l’abbaye, le second gardant toute son autorité sur le gouvernement de celle-ci. Il fut souvent demandé à Pierre de participer aux règlements de contentieux entre abbés ou seigneurs. L’ancien Hospitalier qu’il était entretint aussi de bonnes relations avec l’ordre des Templiers quand celui-ci vint s’installer à Saint-Gilles.

1150 verra l’accession de notre abbé à la fonction d’archevêque de Narbonne. Ermengarde, vicomtesse de cette ville, contribua certainement à cette élection : ayant épousé Bernard III d’Anduze en 1145 – des secondes noces pour tous les deux –, Pierre faisait partie de la famille ! Cette femme de caractère, dont les circonstances ont fait d’elle l’héritière d’une seigneurie qui ne lui était pas destinée à l’origine, n’eut jamais d’enfant mais a toujours défendu ses terres avec ardeur, n’hésitant pas à conduire elle-même ses chevaliers à la bataille.

Une belle fin de « carrière » pour Pierre, ce cadet de la Maison d’Anduze. Il ne profita pas très longtemps de son siège épiscopal : il décéda six ans plus tard…

N.B. – Comme beaucoup de personnages du Moyen-âge, par manque de documents la vie de Pierre d’Anduze est parsemée de zones d’ombre au milieu de faits avérés, notamment pour l’identité de ses parents où les historiens sont souvent en désaccord entre eux ; même ceux de l’ « Histoire de Languedoc » ne sont pas très clairs… Dans les deux billets lui étant consacrés j’ai donc fait un « choix de parents » (Voir la partie 1) en fonction de la chronologie des dates et des événements qui me paraissait la plus logique, mais cela ne reste qu'une hypothèse.

30 octobre 2020

Pierre d’Anduze : un destin religieux atypique… 1

Dans l’histoire d’Anduze au Moyen-âge nous connaissons tous à peu près les noms des seigneurs qui composèrent la Maison des Bernard et Bermond pendant quelques siècles ; même s’il reste des blancs et des doutes sur certaines filiations au commencement de l’arbre généalogique, les principaux chefs de famille qui se sont succédés dans les différentes branches sont identifiés et reconnus.

Si les frères et sœurs de ces seigneurs étaient appelés toute leur vie à demeurer plus ou moins dans l’ombre de leurs aînés, certains, de par leurs alliances ou nominations, contribuèrent indirectement à faire briller la Maison d’Anduze en dehors de son territoire propre et augmenter ainsi son influence.
Ce fut le cas de Pierre d’Anduze, qui en est aussi l’exemple le plus atypique par son parcours surprenant vers les hautes sphères du pouvoir religieux de l’époque…

Le seigneur Raimond d’Anduze épousa en 1074 Ermengarde, récente et jeune veuve de Guillaume III de Montpellier (*). Ils eurent deux garçons, le futur Bernard III et Pierre, le cadet.
Ermengarde avait déjà assuré la succession à Montpellier avec son fils Guillaume V. Celui-ci participa à la première croisade en accompagnant Raimond IV, comte de Toulouse.
Il est possible que Guillaume entraîna Pierre, son jeune demi-frère, dans cette véritable aventure. Une fois en Terre Sainte et à partir de 1099, date de la prise de Jérusalem, ceux-ci furent certainement en contact avec l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem et son hôpital, situé près du Saint-Sépulcre. Il accueillait depuis de nombreuses années déjà les pauvres et les pèlerins malades. C’est peut-être cette rencontre qui déclencha la vocation religieuse du chevalier Pierre d’Anduze… 

Une hypothèse qu’aucun document ne vient confirmer mais qui résulte d’une réflexion issue de la suite des événements narrée dans l’ « Histoire de Languedoc » de Vic et Vaissette.
En effet, les historiens nous apprennent que l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem va s’enrichir et recevoir notamment d’importants domaines et dons des seigneurs croisés. Décidé à élargir ses activités par la création de nouveaux hôpitaux, mais cette fois-ci en occident, il choisira en 1112 la stratégique Saint-Gilles pour le premier d’entre eux.
A l’époque la ville, située sur les terres du comte de Toulouse, est à l’apogée de sa renommée grâce à son pèlerinage et son abbaye. Son deuxième atout et non des moindres est son port, le second en Europe après celui de Gènes. Celui d’Aigues-Mortes n’existant pas encore, les pèlerins se bousculent pour la destination de la Terre Sainte.

Vic et Vaissette, nos moines et auteurs de l’ « Histoire de Languedoc » nous confirment qu’au moment de la création de cet hôpital Pierre était présent : « Plusieurs gentilshommes d’entre les maisons les plus qualifiées de la Province embrassèrent le nouvel institut des hospitaliers de Jérusalem dès son commencement. Aton, archevêque d’Arles, fait mention entre autres de Pierre d’Anduze & de Pons de Montlaur (…) »

A suivre

(*) Au Moyen-âge la Maison d’Anduze et celle de Montpellier entretenaient des relations particulières très étroites d’amitié.

L’illustration est un tableau d’Antoine Favray, peintre français du dix-huitième siècle, représentant le frère Géraud, fondateur de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, recevant Godefroy de Bouillon dans son hôpital lors de la première croisade.

16 octobre 2020

Anduze et les comtes d’Adhémar… 2

Louis-Pierre-Alexis avait trois ans quand son père, enrôlé dans l’armée révolutionnaire, décéda le 17 novembre 1793 pendant la campagne des Pyrénées. Aîné des héritiers de cette branche de la famille et sans doute devenu très proche de son grand-père, il lui a tenu à cœur de persévérer dans les démarches de celui-ci pour retrouver enfin son patronyme d’origine : d’Adhémar au lieu d’Azémar.

Entre-temps sa mère, veuve et maman de deux très jeunes garçons, va épouser en 1796 Antoine-Frédéric-Louis, le frère de leur père… Elle lui donnera quatre enfants, confortant ainsi cette deuxième branche familiale.

Antoine-Frédéric-Louis comte d’Adhémar de Colombier, l’oncle et donc beau-père de Louis-Pierre-Alexis, s’il fut à partir de 1791 chef de bataillon de la garde nationale de Nîmes, n’en fut pas moins suspendu en 1793 pour avoir montré son attachement à la famille royale ; pour cette époque particulièrement brutale il s’en sortait plutôt bien !
Commandant de la garde nationale d’Anduze pendant la période des Cents Jours et resté fidèle à ses convictions, il aida monsieur de Roussy du Vigan et son corps d’armée royale à échapper à une embuscade dans la nuit du 2 au 3 avril 1815.
Le 17 juillet 1815 il sera confirmé commandant pour le roi de la ville d’Anduze (deux jours après la fin des Cents Jours et la reddition aux Anglais de Napoléon).

Vers la fin de ce même mois de juillet, de retour de Lédignan où il était passé faire une inspection, il fut intercepté à hauteur de Lézan par une grande troupe d’hommes armés qui le prirent à partie ; il trouva refuge chez le maire du village, un certain Valcre, qui le fit s’échapper par un chemin détourné ; mais il fut de nouveau repéré et reçut « trois décharges de mousqueterie ». A priori il s’en était bien remis puisqu’il décéda en 1858, à l’âge de 89 ans.
Son neveu, Louis-Pierre-Alexis fut toujours très attaché à Anduze, sa ville de naissance, même si sa longue carrière militaire qu’il commença très jeune lui fit terminer sa vie en 1864 à Montpellier. C’est lui, précise André Georges Fabre dans son livret sur le temple d’Anduze, qui offrit la table de communion une fois la construction du grand monument achevée.

L’histoire de la Maison d’Adhémar est une véritable saga. Nombre de ses membres occupèrent les sphères parmi les plus prestigieuses de l’Histoire de France durant des siècles. Pour s’en convaincre il suffit de parcourir l’ « Histoire de Languedoc » de Vic et Vaissette et s’apercevoir que ce nom célèbre est présent de façon récurrente dans les textes.
Alors bien sûr on peut comprendre qu’au dix huitième et dix neuvième siècle une des branches les plus modestes du Languedoc de cette grande Maison, que l’on croyait pratiquement éteinte depuis le milieu du seizième avec la disparition de l'importante branche de Provence, eut le désir de se faire reconnaître avec son nom d’origine… Quand, dans vos racines les plus profondes, vous avez un souverain de Gênes ou un évêque du Puy légat du pape et chef de la mythique première croisade, pour une famille noble ce doit être une grande fierté d’être attaché à ce même patronyme !

Ce fut chose faîte avec l’Anduzien Louis-Pierre-Alexis, comte d’Adhémar…

L'illustration est une représentation des armes du comte d'Adhémar Louis-Pierre-Alexis.
Elles apparaissaient notamment en "ex-libris" sur la deuxième de couverture des ouvrages de sa bibliothèque.

2 octobre 2020

Anduze et les comtes d’Adhémar… 1

D’après le « Nobiliaire de France » édité en 1874, au neuvième siècle, Pépin, fils de Charlemagne et roi d'Italie, aurait donné « la souveraineté de Gênes avec la qualité de comte à son parent Adhémar dont les descendants le conservèrent pendant cent ans ». Je l’écris au conditionnel car, comme souvent avec les très vieilles familles nobles, les généalogistes ne sont jamais tous d’accord sur leurs origines…
En tous cas ce fut une famille très puissante et prolifique qui, au cours des siècles, s’est divisée en de nombreuses branches et rameaux. Selon ceux-ci et pendant très longtemps, Adhémar et Azémar furent les patronymes d’une même Maison. Cette différence d’orthographe serait venue un jour de l’erreur d’interprétation d’un copiste du fait que dans l’idiome languedocien le « dh » se prononce comme le « z ». La branche la plus prestigieuse par la hauteur de ses alliances au Moyen-âge fut sans aucun doute celle de Provence, ce qui ne l’a pas empêchée de s’éteindre au milieu du seizième siècle.

Mais c’est l’une des branches du Languedoc qui nous intéresse aujourd’hui avec des possessions qui étaient situées dans le Gard et notamment à l’Est de Vézénobres pour les plus importantes.  
Il n’est pas question ici d’en faire l’histoire mais d’évoquer certains membres de cette grande famille qui laissèrent une trace particulière au dix neuvième siècle dans notre département, dont Anduze.


Nous commençons par Pierre Melchior d’Azémar de Saint Maurice de Cazevieille, seigneur de Colombiers, d’Euzet, de Saint-Jean de Ceyrargues, du château du Grand-Teillan, baron de Suëlhes et vicomte d’Héran, né le 15 juillet 1740 à Saint Maurice. En retraite d’une carrière militaire commencée très jeune, il fut nommé en 1789 commandant des gardes nationales du Gard ; la Révolution le rattrapa pour l’enfermer dix sept mois. Plus tard, en 1803, c’est l’Empire qui l’appela pour le poste de sous-préfet d’Uzès, puis de préfet du Var en 1806 à Draguignan. En 1810 il fut fait baron de l’Empire. A cette date il prit aussi définitivement sa retraite et quitta une ville où il avait réussit à se forger une réputation d’homme bon et intègre, laissant un excellent souvenir à la population.
De retour chez lui au château de Teillan — situé sur la commune d’Aimargues – il réactiva une instance ouverte en 1784 pour récupérer le patronyme familial prestigieux de sa Maison d’origine : Adhémar. Ce fut fait au mois de juin 1817 par ordonnance royale. Mais un parent s’y opposa et le Conseil d’Etat transmis le dossier aux tribunaux ordinaires pour qu’ils statuent.

Pierre Melchior d’Azémar bénéficia de l'appui écrit des chefs de deux branches importantes de la Maison, mais malheureusement pour lui il ne verra jamais le résultat du procès ; il décéda à Teillan le 2 septembre 1821. C’est son petit-fils, Louis-Pierre-Alexis, né à Anduze en 1790, qui obtint de la cour de Nîmes un arrêt du 6 juin 1839, confirmé le 8 mars 1841 par la cour de cassation, de maintien dans le nom d’Adhémar…

A suivre

18 septembre 2020

Précisions sur le plus grand tableau d’Anduze…

Cette huile sur toile de très grand format (315 X 403 cm) est installée au-dessus de la porte d’entrée de l’église Saint Etienne. D’après le livret qui fut édité à l’occasion de la rénovation de l’édifice en 2003, il s’agit du « Martyre de Saint Etienne », peint par Chloé Dupasquier en 1846.
Je vais apporter quelques corrections et précisions concernant cette œuvre qui trouve une place atypique au sein de notre patrimoine anduzien.

En fait cette toile importante et son lourd encadrement appartiennent à la collection d’art de l’Etat et non à l’Eglise ou à la municipalité. L’ensemble fut mis en dépôt à partir de 1846 dans l’église sous la responsabilité de la mairie, ceci dans le cadre d’une politique nationale de diffusion des œuvres d’art dans toutes les régions de France. Une initiative culturelle qui prit naissance à la Révolution et qui continue d’ailleurs encore aujourd’hui avec les prêts de nombreux objets d’art aux musées et autres différentes institutions en capacité de les recevoir.

Concernant notre fameux tableau il avait été proposé en 1845 à la peintre Ernestine Hardy de Saint-Yon d’exécuter une copie de l’œuvre originale de Charles Le Brun « La lapidation de Saint Etienne », réalisée en 1651 pour Notre-Dame de Paris ; le peintre préféré de Louis XIV répondait à une commande de la guilde des orfèvres de la capitale qui offrit l’œuvre à la cathédrale.

Alors, l’auteure de cette copie : Chloé ou Ernestine ?…
J’ai peut-être une explication. Officiellement pour l’administration de l’époque la commande a été passée à Ernestine ; seulement il faut savoir que celle-ci était l’épouse d’un certain Auguste Claude François Gamen-Dupasquier, peintre copiste ! De là à imaginer que Chloé Dupasquier, elle-même peintre copiste, faisait partie de la famille : peut-être travaillaient-ils ensemble sur les grands travaux ?…
Les copistes n’ayant pas le droit de signer leurs œuvres côté peinture, ils le font au dos de la toile ou sur le châssis : c’est sans doute à cet endroit que le curé d’Anduze a trouvé le nom de Chloé pour son livret, certainement lors du décrochage du tableau pour nettoyage (tous les tableaux de l’église avait été confiés à un restaurateur d’Avignon).

La photo du haut montre la copie présente à l’église ; celle du dessous, l’original de Le Brun : si la reproduction est très honorable et fait honneur à la ville d’Anduze, elle a tout de même ses limites en ne pouvant imiter le « coup de patte » du grand maître du Classicisme français…


5 septembre 2020

Meilleur souvenir de Caecilius Cornutus, d’Anduzia…

Ce billet consacré au seul vestige antique officiel de la municipalité d’Anduze fait suite à celui commis en juin 2017 sur le même sujet avec le don d’un autel votif gallo-romain anduzien à la commune par un particulier.
Un monument en pierre aux dimensions et poids respectables qui a trouvé sa protection au rez-de-chaussée de la tour de l’Horloge. Il était prévu d’installer un éclairage judicieusement placé pour que l’on puisse apprécier la jolie gravure de sa dédicace.



 Voici l’extrait d’un article d’Elisabeth Hébérard, paru dans la revue annuelle du GARA (Groupe Alésien de Recherche Archéologique) de 2018, qui résume parfaitement bien et de façon très claire le profil de cette grande pierre sculptée destinée à l’offrande :

« (…) De facture très soignée, le style romain avec ses codes symboliques est bien présent, indiquant une datation fin premier siècle / début deuxième siècle : on remarque au dos une couronne de laurier tressé, sur le sommet mouluré un coussin enroulé avec rosette, et un rameau d’olivier sur chacune des parois latérales.
« Cet autel, en calcaire du Bois des Lens
(*), est un riche acte d’offrande, dont la dédicace gravée livre l’identité du donateur (CAECILIVS CORNVTVS) et celle de la personne honorée, ici une mère (MATRIS MAGEIS) et le signe V.S. de reconnaissance. Le questionnement s’est focalisé sur ce nom MAGEIS qui n’est pas une forme purement latine, mais qui serait la déviation du nom gaulois MAGA. Mais MAGA est-elle une mère maternelle ou une divinité ? Et là est tout l’intérêt de ce nom qui nous relie à l’histoire antique de cette région de souche celtique (= gauloise), progressivement romanisée à partir du deuxième siècle avant J.-C., et ayant adopté des pratiques romaines au début de notre ère tout en conservant les traces d’une tradition.
« Caecilius Cornutus devait faire partie de cette aristocratie de souche gauloise élevée aux dignités romaines, peut-être est-il à mettre en relation avec la grande famille des Cornvtvs installée au Proche Orient aux frontières de l’Empire !
« Encore une fois, la preuve est faite que la région des Cévennes eut une histoire antique liée à celle du bassin méditerranéen ! ».


Adrien Bru, l’épigraphiste spécialiste de la période antique qui avait eu la gentillesse de venir à Anduze en 2017 pour voir l’autel, devait nous en fournir une étude détaillée ; à ce jour nous l’attendons toujours…
A cela plusieurs raisons ; la première et non des moindres est que notre ami savant est un homme très occupé, ce que nous comprenons, avec certainement des priorités légitimes de travail ; mais la deuxième et sans aucun doute la plus importante sont les incertitudes liées à l’interprétation de certains mots employés dans l’inscription de la dédicace.
Il s’en était ouvert à Elisabeth et moi-même à travers un courriel commun qu’il nous avait adressé au mois de juillet 2019. En voici l’extrait principal :

« je pense toujours à l’inscription d’Anduze sur l’autel placé dans la tour (= Année épigraphique 1963, n°116), qui pose quelques difficultés. Après des recherches supplémentaires, je crois qu’il s’agit d’un autel votif dédié « aux Mères », divinités celtiques (souvent au nombre de 3) : j’ai trouvé pas moins de 7 parallèles, tous sur les territoires des Volques Arécomiques et des Voconces, en Gaule Narbonnaise.
« La déclinaison de « Matris Mageis » est surprenante, car on attendrait d’abord « Matri » (« A la Mère, dans ce cas au singulier) ou « Matribus » (« Aux Mères », au pluriel) avec un datif latin de dédicace ; « Matris » est un génitif singulier latin inattendu ici ; mais il y aurait peut-être une autre explication : l’utilisation d’un accusatif de dédicace (usage grec, dont l’influence existe à Anduze) qui devrait être « Matres », ici avec une légère modification locale : « Matris », comme dans les dédicaces votives dont j’ai trouvé les parallèles. « Matris » est, je pense, l’épiclèse ou l’appellatif celtique local (et inconnu jusqu’ici) de ces « Mères », dont le culte est bien attesté chez les Volques et les Voconces, mais sans la précision « Mageis ».


Si pour le maître de conférence à l’institut des sciences et techniques de l’Antiquité de Besançon on ne peut émettre un rapport définitif sur notre autel votif du fait de questions restant en suspend pour le moment, c’est tout à son honneur : l’honnêteté et la rigueur intellectuelle sont les premières qualités chez les grands chercheurs. Il n’en demeure pas moins que son hypothèse est séduisante et tant pis si nous devons attendre encore pour sa confirmation officielle ! Vous savez déjà qu’Anduze est terre de mystères, et c’est bien pour cela qu’elle est si attachante…

(*) Les carrières antiques à ciel ouvert du Bois des Lens étaient situées à environ 25 kilomètres à l’ouest de Nîmes, entre Gardon et Vidourle. Ce calcaire fin était surtout destiné aux motifs architecturaux et à la sculpture.

31 juillet 2020

Georges-Frédéric Boudet, historien d’Anduze…

G.F. Boudet en 2004, à l'âge de 90 ans
Il est bon de rendre hommage aux personnalités anduziennes un peu oubliées aujourd’hui mais qui, en leur temps, marquèrent la vie locale de leur empreinte et pour certaines contribuèrent au rayonnement de la cité. Si beaucoup d’entre elles n’auront jamais une plaque baptisant une rue ou une place, qu’au moins leurs noms soient gravés dans nos mémoires pour éviter l’oubli définitif…

Georges-Frédéric Boudet fait partie de celles-ci. Il fut pendant de nombreuses années « l’historien d’Anduze », organisant jusqu’à un âge avancé et avec l’office de tourisme des visites guidées de la ville.
Pour avoir discuté avec lui à de nombreuses reprises, c’est le sommet de Saint-Julien qui l’intéressait particulièrement ; tant que ses jambes le supportèrent sans trop de douleur il alla fréquemment s’y promener, revenant quelques fois avec des croquis dont lui seul connaissait la signification…

On ne peut douter du profond attachement de la famille Boudet pour notre cité quand on sait que la tante de Georges, Françoise Auran-Boudet, auteure de chansons sous le pseudonyme Fabrancy et poétesse reconnue dans les années 1930, écrivit plusieurs poèmes sur le thème d’Anduze. Je vous propose « Le Val d’Anduze », récupéré dans un recueil édité en 1934. Elle dédicaça ce poème au docteur Jean Gaussorgues, conseiller général du Gard. Celui-ci fut d’ailleurs aussi maire de la Porte des Cévennes entre 1912 et 1932…

Un géant pourfendit d’un coup rude, d’estoc
L’infranchissable mur des lourds schistes du roc ;
Depuis lors, le Gardon, dans le val clair, égrène
Sa vive cantilène !

Deux routes, et deux ponts, l’un, massif de poitrail,
L’autre léger, lançant d’un bond son double rail
Encadrent le torrent ; un vieux castel sauvage
Ferme le paysage !
 
De rudes Cévenols, par leur labeur ardu,
Au flan abrupt du mont, jadis, ont suspendu
Les toits d’un bourg fameux, dont la forte charpente
Etreint encore la pente !

Fier d’un noble passé, ferme dans le péril,
Cachant sa vétusté sous un dais de béryl
Et riche de tout l’or que le couchant diffuse
Rêve et sourit : « Anduze ! »
 

Malgré les circonstances très particulières, passez un bel été, faites attention à vous… et aux autres ! 
Rendez-vous en septembre où nous reviendrons notamment aux sources antiques de notre cité !…

18 juillet 2020

Le secret bien gardé de la fontaine Pagode…

Pour continuer un peu plus sur le thème des petits secrets des grands monuments d’Anduze, la fontaine Pagode n’a rien à envier à la tour de l’Horloge ! Non pas, bien sûr, pour sa date de construction, 1649 apparaissant encore sur l’une de ses rares tuiles vernissées d’origine ; une sorte de petit miracle quand on sait les nombreuses réfections de sa toiture effectuées au cours des siècles.

Son élégante structure d’inspiration asiatique aux proportions harmonieuses, soulignée par l’éclat de ses tuiles colorées, a traversé le temps et les différentes épreuves de notre histoire sans dommages irréparables.
Les derniers travaux importants la concernant se sont déroulés entre 2009 et 2010 et j’ai eu le plaisir de pouvoir les suivre de près. Sans esprit pervers, ce fut pour moi une véritable joie de voir cette vieille dame déshabillée et mise à nu pour enfin connaître ses secrets architecturaux les plus intimes ! Un privilège rare et non renouvelable avant de nombreuses années, sauf catastrophe.
 
Sur la photographie inédite du haut que je vous présente, vous voyez un exemple des étapes de rénovation de la fontaine en cours de travaux : vous apercevez la petite charpente nue en bois d’origine, abimée en surface mais encore assez solide pour être conservée ; des languettes neuves de bois de sapin brut sont clouées dessus (elles iront jusqu’au sommet du chapeau), remplaçant les anciennes en mauvais état ; en bas de la photo ce sont ces mêmes languettes neuves qui recouvrent la charpente principale, peintes d’un enduit blanc d’étanchéité (le chapeau aussi sera peint). 
C’est sur cette surface que furent clouées les tuiles récupérées sur le monument mais aussi des nouvelles pour remplacer celles qui étaient défectueuses. La décision avait été prise de remplacer l’épi de faîtage dont les différentes parties superposées, toutes en céramique, présentaient de nombreux éclats difficilement réparables. Celui-ci, à priori d’origine, est précieusement conservé par la municipalité.

Il est de tradition chez certaines catégories d’artisans, notamment ceux qui participent du compagnonnage, de laisser une trace de son passage ; une signature pour l’ouvrage accompli qui ne sera visible que pour un confrère qui viendra à son tour au chevet de l’œuvre à réparer, à restaurer, à entretenir, quelques fois cinquante ou cent ans plus tard. C’est un rituel ancestral secret, un lien à travers le temps n’appartenant qu’à ces professionnels atypiques, et où l’information au grand public est parcimonieuse sinon exclue.

Un matin d’hiver, arrivant à l’improviste à la fontaine entourée de son échafaudage, j’ai surpris le technicien responsable du chantier en train de placer discrètement quelques objets dans une cache aménagée : une bouteille de vin, un exemplaire du journal du jour griffonné et avec plusieurs signatures, quelques pièces de monnaie. Si ma présence imprévue ne l’a pas plus gêné que cela, sans doute grâce à ma curiosité bienveillante, je reste quand même persuadé que cet homme sympathique n’aurait rien dit de son initiative personnelle au référant municipal du chantier que j’étais à l’époque !

C’est pourquoi aujourd’hui je ne vous ai livré qu’un demi secret ; l’autre moitié, l’endroit de la cache, si vous le permettez je la garderai pour moi : je suis tellement fier de connaître au moins un secret bien gardé de l’un de nos monuments historiques !…

3 juillet 2020

Les secrets bien gardés de la tour Ronde…

C’est peu de dire que les Anduziens aiment leur tour. Ils ont un profond attachement pour le monument, repère rassurant de leur environnement immédiat depuis des siècles.
D’autant plus qu’à partir du seizième (*) celui-ci est rendu quasiment « vivant » avec la présence d’une horloge qui rythme leur vie quotidienne ; le cœur battant d’une gardienne qui, même si elle a souvent été malmenée, a su conserver une belle allure.

Une vieille dame qui garde encore quelques secrets et donne du fil à retordre aux historiens et autres archéologues les plus chevronnés !
Comme par exemple son origine : depuis le docteur Paulet et son histoire de la ville d’Anduze – un manuscrit du dix-huitième siècle publié seulement pour la première fois en 1847 –, les différents chercheurs qui ont écrit sur notre cité font référence à son ouvrage pour la date de construction de la « tour ronde » : 1320. Le problème est qu’à ce jour personne n’a retrouvé la source documentaire de cette affirmation, si elle existe… D’ailleurs on ne peut retenir que l’hypothèse d’une confusion de dates lorsque l'auteur nous révèle le nom du maçon, Guillaume le Chandelier : il apparait effectivement dans un acte en latin concernant la tour, mais celui-ci date du 21 septembre 1373…

Il y a quelques années, lorsque le professeur Nicolas Fauchère, l’un de nos plus grands spécialistes en archéologie médiévale, vint à Anduze pour une étude sur nos anciennes fortifications, celui-ci m’écrivit sa conviction que la tour était bien antérieure à cette date :
 
« (…) En tout cas, une chose est sûre : la tour existait avant 1373, et, pour moi, la similitude avec les chantiers royaux de la sénéchaussée de Beaucaire, tels Sommières et Villeneuve-les-Avignon pour le bossage, la tour de Constance d’Aigues-Mortes pour la structure, est tellement frappante que je suis à peu près certain que le lancement du chantier correspond à la main-mise royale sous Saint-Louis, ou au renforcement du contrôle étatique sur les villes des Bernard-Bermond d’Anduze et Sauve sous Philippe le Bel. »

Un autre élément important, une autre énigme aussi, est que nous savons de façon irréfutable que la tour, une fois construite entièrement une première fois avec un sommet cerclé de mâchicoulis (1320 ?), fut rehaussée de deux bons mètres et toujours couronnée par ce dispositif défensif, courant au quatorzième siècle (1373 ? Pourquoi pas : c’est la Guerre de Cent Ans et l’insécurité règne partout avec notamment les Grandes Compagnies de Routiers qui sillonnent le pays et qu’il vaut mieux voir arriver de loin…).
Les traces architecturales de ces défenses sont visibles sur le mur de la tour, avec encore la présence de quelques corbeaux en pierre.

Mais le plus troublant est l’apparence du parement extérieur : la photographie jointe en noir et blanc du début du vingtième siècle montre bien toutes les différences du revêtement de la tour.  A gauche, côté ville, en petit appareil nous avons la partie d’origine du quatorzième siècle, avec la seule archère qui reste et les traces des mâchicoulis successifs ; à droite c’est une pierre taillée plus grande qui domine, avec les différentes canonnières des premier et deuxième étages ; plus bas et jusqu’au sol c’est une pierre taillée encore plus grande…
Nous savons que l’intérieur de la tour a été remanié de façon drastique entre seizième et dix-septième siècle : l’extérieur en a-t-il subit les conséquences ? Une partie de la tour s’est-elle effondrée ? Au quatorze ou quinzième siècle, la tour aurait-elle subit une sape ou une attaque aux boulets de canon dont notre histoire n’aurait pas gardé la trace ?… Il serait aussi certainement très intéressant qu’un jour on s’intéresse à ses fondations.

Des questions sans réponses aujourd’hui et encore beaucoup de travail pour les chercheurs pendant des années : tant mieux ! Car ces mystères participent largement de l’attrait que dégage la tour pour tous les amateurs de patrimoine, qu'ils soient Anduziens ou simplement de passage dans notre cité…

(*) La ville d’Anduze possédait déjà une horloge avant le seizième siècle, document d’archive à l’appui ; mais jamais
le lieu de son installation n'est précisé, pas plus à la tour Ronde qu'ailleurs, à ma connaissance bien sûr…

18 juin 2020

Le témoignage émouvant de la famille LAURENT… 2

Pour continuer dans la suite du précédent billet et grâce à Pierre Laurent vous pouvez découvrir ce très beau document photographique montrant les ouvriers et la devanture en vue rapprochée de l’entreprise de charronnerie Faisse.

Le cliché, pris dans les années 1908/1910, montre au centre des personnages l’apprenti Auguste Laurent, frère cadet d’Edmond dont nous avons déjà parlé.
Une photographie d’autant plus intéressante que l’atelier en question est bien connu des collectionneurs de cartes postales anciennes car sujet principal d’une vue éditée au tout début du vingtième siècle ; un magnifique plan élargi et très animé du quartier du quai montrant l’importance encore à l’époque des attelages et des métiers de charron et de forgeron pour créer et entretenir tous les différents véhicules à traction animale.

En fait, ce que l’on ne voit pas sur la photographie et la carte postale, c’est que l’immeuble qui abrite les charrons est en angle avec la rue Cornie qui passe derrière la tour de l’Horloge : à ce niveau nous ne sommes pas encore rue Basse ; celle-ci commence au pied de la rampe qui conduit au pont pour poursuivre à gauche en bas du quai jusqu’à la rue Fusterie qui la prolonge. La voie entre la tour et la rampe est nommée aujourd’hui rue du Plan de Brie (sur le tracé de la D 907).

Mais revenons à notre apprenti charron et encore une fois laissons Pierre Laurent témoigner de son grand-oncle :

« Mon grand-oncle Auguste, personnage très attachant, aussi entreprenant que son frère ainé était timide, a vécu à Anduze jusqu’à son décès. Sa formation l’avait amené à s’occuper du charronage des wagons à la SNCF où il a terminé sa carrière, mais il avait également des talents de menuisier et un esprit très inventif.
« Il habitait à Labahoue dans une maison venant de ses beaux-parents, lesquels étaient enterrés dans un coin du jardin, un détail qui nous avait marqué dans notre enfance. Que sont devenues ces tombes après que la maison ait changé de mains plusieurs fois ?
« Cette maison était située juste en face de celle louée par Joseph Zobel avant qu’il ne s’installe à Générargues. Mon grand-oncle n’avait évidemment pas tardé à sympathiser avec l’écrivain et il était très fier de fréquenter cet homme de lettre. Lors de son installation à Générargues il lui avait fabriqué une armoire ! Mon oncle figure parmi les portraits réalisés par Joseph Zobel et édités pas sa petite-fille. »


Venant d’être rénovés et libres à la location j’avais eu l’occasion il y a quelques années de visiter les lieux qui nous occupent : si la devanture extérieure n’est pas très large le bel espace intérieur, où la pierre taillée apparente et ancienne domine, bénéficie d’une grande profondeur. Quant à l’immeuble lui-même, malgré quelques remaniements pas toujours très heureux, il est encore reconnaissable ; grâce notamment à sa porte d’entrée principale qui donne l’impression de ne pas avoir bougé depuis la carte postale, comme hors du temps…

6 juin 2020

Le témoignage émouvant de la famille LAURENT… 1

Aujourd’hui et pour vous retrouver, c’est un billet très particulier que je vous propose. En guise d’introduction et pour être de suite au cœur du sujet je vais directement vous soumettre, avec l’accord de son auteur, le courriel que celui-ci m’envoya, accompagné d’une très intéressante photographie ancienne…

« Bonjour,
« En recherchant l’origine d’une photo prise à Anduze au début du 20ème siècle, j’ai découvert avec plaisir votre blog sur l’histoire de la ville de mes ancêtres paternels.
« Je fais appel à votre connaissance de l’histoire d'Anduze pour en savoir un peu plus sur ce document venant d’une ville logée précieusement dans mes souvenirs d’enfance.
« Cette photo est la plus ancienne où figure mon grand-père paternel, Edmond LAURENT, né en 1887 à Alès, mais qui a résidé toute son enfance à Anduze, rue Sainte-Marie.
« Ce grand-père a été apprenti typographe dans une imprimerie d’Anduze en 1903/1904. Sur cette photo c’est le jeune homme dont la tête masque le premier « I » de « IMPRIMERIE ».
« Je cherche à retrouver le nom et l’adresse de cette imprimerie anduzienne, et les traces qui pourraient en subsister aujourd’hui.
« Les 12 personnes figurant sur la photo suggèrent qu’il s’agit d’une entreprise de relative importance pour l’époque.
Les menuiseries des ouvertures (volet métallique et porte à 3 ventaux) sont plutôt celle d’un bâtiment à usage artisanal ou industriel.
« Si on suppose que sur l’enseigne, le nom « Imprimerie » était suivi du nom du propriétaire, le mur de façade devait avoir une longueur de 10 mètres au minimum.
L’écoulement de l’eau sous les pieds des personnages du premier plan doit marquer le centre de la rue, ce qui correspondrait à une largeur de 3,50 à 4 m. environ.
« Voilà ce que j’ai pu raisonnablement déduire de cette photo, et c’est peu, je le reconnais.
« Se pourrait-il que vos connaissances de l’histoire anduzienne et les archives auxquelles vous avez pu accéder puissent apporter un début de réponse à mes questions ? J’en serai très heureux, et je vous remercie par avance de l’attention que vous porterez à ce message.
« Avec mes félicitations pour le niveau de votre blog et mes cordiales salutations,
Pierre Laurent »


Un message qui effectivement attira toute mon attention, d’autant plus avec la présence de cette rare photo rassemblant l’ensemble des salariés d’une entreprise anduzienne dans les années 1900 : un document susceptible d’intéresser, en dehors de celle de monsieur Laurent, plusieurs familles sachant qu’un ou une ancêtre avait travaillé dans une imprimerie de la Porte des Cévennes au début du vingtième siècle.
Il s’agit ici sans aucun doute de l’importante imprimerie Castagnier dont nous retrouvons déjà les divers travaux d’édition au dix neuvième siècle. Au début du vingtième siècle (1907) Castagnier, qui se déclare imprimeur-libraire, s'occupa notamment de la réédition de la notice sur la ville d'Anduze de A. Viguier. Ses locaux étaient installés rue Basse en 1913 ; malheureusement il ne reste aucune trace de ceux-ci aujourd’hui. Bien que peu probable, à l’époque où fut prise la photo (1903/1904) les ateliers pouvaient être à une adresse différente…
Pierre Laurent donne aussi des précisions émouvantes sur son grand-père et ses arrières grands-parents anduziens :

« Pour compléter ce que j’ai mentionné sur mon grand-père dans mon message, son père exerçait le métier de commis-négociant en fruits et légumes et il était surnommé « le sympathique », tandis que sa mère travaillait dans l’usine à soie située au pied du pont sur la rive gauche du Gardon, devenue depuis un lieu de culte (Pierre Laurent veut parler de l’ancienne Filature du Pont dont les locaux abritent aujourd’hui, après transformations, l’Eglise adventiste du septième jour).
« Je joins également un court extrait des mémoires d’enfance de mon père rédigées il y a plus de vingt ans :

« (…) Il vécut pendant son apprentissage à Anduze, des scènes humiliantes pour la classe à laquelle il appartenait.
Bien des années plus tard, quand il nous décrivait la mentalité de l’époque, il n’éprouvait, semble-t-il, aucune amertume mais plutôt de la compassion pour des gens « parvenus » à la fatuité sans limite.
Son atelier se trouvant sur la rive droite du Gardon, le « tout à l’égout » ne posait aucun problème. Notamment le WC (sans eau) patronal qui était rigoureusement interdit aux ouvriers.
Mais, comme il y avait un peu plus loin un lieu d’aisance communal, chacun prenait son temps pour faire une petite promenade et prendre l’air.
Le matin, mon père prenait le chemin de l’école pour suivre les enfants du patron et porter leur cartable (…) »
« Autre temps, autres mœurs, et les entreprises n’étaient pas toujours tendres avec les apprentis … »

Une suite va être donnée à ce magnifique témoignage familial avec cette fois le grand-oncle et un autre corps de métier, celui de charron. Pour ce membre de la famille aucun problème pour situer son lieu de travail à Anduze : ceci grâce à une photographie très précise et exceptionnelle !…

A suivre

7 mai 2020

La tour de l'Horloge, sa méridienne, Germain Rodrigo…


Germain Rodrigo en 2005
Cela fait un moment maintenant que la cloche de la tour de l’Horloge est silencieuse, ne répondant plus aux heures et demi-heures annoncées par les aiguilles du cadran qui, elles, continuent d’avancer. Une panne difficile à réparer du fait d’un accès devenu problématique depuis la rénovation intérieure du monument. Si nous sommes particulièrement fiers de notre escalier hélicoïdal qui mène à la terrasse, celui-ci constitue aussi une véritable barrière au passage d’une échelle digne de ce nom permettant à un technicien de maintenance d’arriver au niveau de la fameuse cloche ! Avouons que personne n’avait anticipé ce genre de problème, architecte compris !
Amener l’échelle par l’extérieur à l’aide d’une corde est une vraie « galère » car nous n’avons aucune vision du sol du fait de l’épaisseur du mur ; la seule solution aujourd’hui est la location d’une nacelle mais imaginons que le technicien, une fois la-haut, soit obligé de changer une pièce qu’il n’a pas et de revenir…
Bref, il nous faut un accès pratique mais surtout définitivement sécurisé pour le personnel de maintenance. Nous avons donc décidé, sur les conseils de la société spécialisée qui s’occupera des travaux, de faire sceller des barreaux avec une ligne de vie sur l’édicule en pierre qui supporte la cloche ; l’ouvrage sera bien sûr exécuté avec toutes les normes en vigueur, le premier barreau étant déjà fixé à une certaine hauteur du sol de la terrasse pour éviter toute tentation des visiteurs et autres enfants à vouloir grimper…

Puisque aujourd’hui je vous parle de la tour, je vais vous communiquer un texte sur sa méridienne qui fut installée probablement au dix huitième siècle. Cet article est à ma connaissance le plus complet actuellement. Je ne connais malheureusement pas l’auteur de ces lignes, particulièrement compétent et dont j’aurais volontiers donné le nom.

Une information en entrainant souvent une autre je vais aussi en profiter pour rendre hommage à Germain Rodrigo qui, en 1978, s’attela à la réfection entière de cette grande méridienne. Peintre en bâtiment de profession à Anduze, cet homme humble et réservé était aussi un véritable artiste. Ayant sympathisé tous les deux, un jour il m’a fait l’honneur de m’accueillir chez lui pour me montrer sa petite galerie de tableaux, des copies d’œuvres de maîtres anciens ; j’avais été épaté par les reproductions et le talent de cet homme sans aucune formation artistique !… Il est décédé en deux mille dix, à l’âge de cent trois ans, une autre performance !… 

« Sur ce cadran vertical le gnomon n’existe pas, il est remplacé par un disque solaire métallique soutenu par trois arceaux, et comportant un trou central placé de façon telle que la ligne imaginaire tracée de ce trou au point de départ du faisceau des lignes horaires se trouve marquée la direction de l’axe du monde, faisant, comme il convient, avec la plaque du cadran un angle égal au complément de la latitude d’Anduze.
« Les lignes horaires inscrites tous les quarts d’heure s’échelonnent entre onze heures et une heure de l’après-midi.
« Lorsque le soleil luit à cette période de la journée, il projette par le trou du disque un rayon de lumière qui vient dessiner sur le cadran un petit cercle lumineux très net, qui permet de lire l’heure soit directement sur les lignes horaires, soit par interpolation. Il n’était pas possible de faire dire au cadran des heures antérieures à onze heures et postérieures à treize heures, la construction cylindrique de la tour aurait entrainé des déformations.
« Par contre, le cadre enregistre les saisons. On conçoit qu’en été avec le soleil élevé dans le ciel, le rayon passant par le trou du disque donne un cercle de lumière sur la partie basse de la table du cadran, en l’espèce vers la courbe du solstice d’été. A l’inverse, le soleil bas de l’hiver donne un cercle de lumière sur la partie haute de la table du cadran, en l’espèce, vers la courbe du solstice d’hiver.

« Six courbes (solstices) et une droite (équinoxe) matérialisant sur le cadran les entrées dans les signes du Zodiaque, qui s’échelonnent tous les trois mois vers la date du 21. L’on n’apprend plus sur les bancs de l’école la suite des animaux symboliques qui représentent ces dates et que le peintre a fidèlement reproduits sur le cadran. Mais leur liste, apprise par cœur, chantonnent encore dans la mémoire des personnes âgées : Aries, Taurus, Gemini, Cancer, Leo, Vigo, Libraque, Corpius, Arcitenens, Caper, Amphora, Pisces. Traduisons par nos descendants : Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagitaire, Verseau et Poissons. »

28 avril 2020

Le magnifique héritage de Jean-Antoine Relhan… 3

Un troisième et dernier volet consacré à ce livre de grande valeur dont on ignore les motivations profondes qui ont poussé son auteur à l’écrire ; si ce n’est déjà peut-être le désir de rétablir une vérité historique malmenée par la complexité des situations des différentes institutions qui se sont retrouvées longtemps enchevêtrées en un même lieu.
En tous cas les 3200 articles qui le composent, le premier établi en 1821 et le dernier le 9 juillet 1828, sont une mine d’informations pour les curieux d’histoire locale dont je fais partie. D’autant que la mairie ne détient plus les archives évoquées dans ce recueil, certaines ayant été transférées aux Archives Départementales  – moindre mal ! – mais aussi pour beaucoup d’entre elles détruites au cours des dernières grandes inondations de notre cité ; d’autres ont tout simplement « disparu »…

A travers certains articles de Relhan j’ai choisi de vous parler du premier cimetière devenu aujourd’hui la place de la République, jouxtant l’ancienne Maison Commune et l’église actuelle. Des lignes susceptibles d’intéresser nos guides conférenciers pour peut-être peaufiner leurs connaissances lors des visites de la ville qui passent par ce lieu incontournable avec sa jolie fontaine et les plus vieux platanes d'Anduze.
Je commence par un texte qui concerne l’environnement de l’église dont la construction vient de s’achever :

« Extrait du registre des délibérations de 1687 à 1715 »

« L’an mil six cent quatre vingt huit et du dimanche onzième jour du mois de janvier, le conseil général des habitants de la ville d’anduze, assemblés par devant M. Pascal juge dans l’hôtel de ville… »

« Par le dit Sieur Coste a esté proposé que le Roy ayant eu la bonté de faire bâtir une esglise dans cette ville pour y faire le service divin, avec plus de décence, plus de commodité pour les habitans nouvellement convertis à la foy catholique, »
« ils sont non seulement obligés de reconnoître la grace de sa majesté, mais qu’ils doivent encore aporter tous leurs soins pour en profiter et pour contribuer à la commodité du dit service : »
« Et parce que le lieu où la dite nouvelle esglise est située se trouve embarrassé de tous costés et presque inaccessible par les creux qu’on y a fait pour tirer les pierres qui restoient de l’ancienne esglise, »
« Et que d’ailleurs le terrain estant beaucoup penchant dans cet endroit, les eaux quy dessendent de la montagne devant les pluyes, peuvent dans la suitte faire de nouveaux creus, »
« Avec beaucoup d’incomoditté pour les habitants quy ne pourroient ny aborder à l’esglise, ni tenir leurs marchés dans la dite place destinée à cet usage depuis plus d’un siècle, »
« Il seroit nécessaire de pourvoir à ces inconvéniants et travailler au plus tôt à une réparation si imposante, quy est d’une grande utillité pour le public. »
« Et à ces fins faire au plus tôt porter tant les terres qu’on a sorty  de la dite nouvelle esglise qui se trouvent tout au devant d’icelle en un grand tas, que celles quy sont à costé sortyes des fondemens. »
« De l’autre part combler les creus et enfin aplanir tant que se pourra la place du devant de la dite esglise et pour cela faire les murs nécessaires. »
« Ce qu’entendu par les dits habitans a esté conclu et deslibéré d’une voix commune et unifforme qu’il est important de faire au plus tôt les dites réparations. »


Note de Relhan à la fin de l’extrait :
« N.B. La place du devant de l’église fut divisée en deux, la place haute et la place basse, réunies par un escalier. Voyez les délibérations pages 72 et 81 du même registre. »
 

Voici un autre extrait où il revient sur l’ancien cimetière : 
« Ce qu’on appelle encore aujourd’hui cimetière, au milieu de la ville, était réellement autrefois un lieu destiné pour les sépultures ecclésiastiques. On n’en fit une place pour les marchés qu’après 1560. Le terrain en était alors d’une seule pente ; il est aujourd’hui coupé par deux murs de soutènement.
« Le plus haut, du côté de la montagne, a été fait le premier, probablement lors du nouveau temple qui fut construit de 1600 à 1602. L’autre mur qui a formé deux places du surplus du terrain et l’escalier qui les réunit, n’ont été faits qu’après l’inauguration de l’église actuelle qui eut lieu le 6 mai 1688. »


Voilà pour ce grand livre, restauré, trésor du petit patrimoine anduzien et d’autant plus émouvant qu’il est manuscrit : un témoignage unique à protéger absolument, mais aussi à faire découvrir… 


 
Cette carte postale ancienne de la place de la République du tout début du vingtième siècle a un cadrage intéressant qui illustre assez bien les propos ci-dessus.

1 : premier mur de soutènement monté lors de la construction du deuxième temple protestant entre 1600 et 1602.
2 : église catholique inaugurée en 1688, construite sur l’emplacement du temple de 1600 détruit après la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685.
3 : fontaine de l’église, reconstruite en 1715 au centre de la place.
4 : démarrage du large escalier, aménagé dans le deuxième mur de soutènement, qui descend vers la partie basse de la place de la République.
5 : deuxième mur de soutènement monté, ainsi que l’escalier, juste après la construction de l’église pour réduire fortement la pente et aménager ainsi une vraie place devant l'édifice religieux.
6 : rampe rejoignant le boulevard Jean Jaurès. Celui-ci fut ouvert à la fin du dix neuvième siècle.
7 : immeuble de la Maison Consulaire où l’on aperçoit le blason de la ville entouré encore de ses deux fenêtres à meneaux disparues aujourd’hui.

22 avril 2020

Le magnifique héritage de Jean-Antoine Relhan… 2

L’avantage de ce livre – un véritable document vous l’avez compris – est qu’il nous fournit énormément d’informations qu’on ne peut mettre en doute sur notre histoire locale. L’auteur a puisé directement à la source, dans les différentes archives d’origine (en latin et en français) encore à sa disposition pour reconstituer la chronologie des différents événements qui animèrent ce haut lieu anduzien pendant des siècles.
Un travail qui, nous l’avons vu, a intéressé plusieurs auteurs d’une histoire d’Anduze et auxquels je rajoute, après vérifications, le pasteur Jean-Pierre Hugues et sa volumineuse histoire de l’Eglise réformée d’Anduze publiée en 1864. Celui-ci, pourtant réalisateur avec son livre d’une très importante recherche documentaire, cite deux ou trois fois Relhan en référence…
 
Je vais donc profiter de ces billets pour vous livrer quelques passages, inédits à ma connaissance dans les détails, qui seront susceptibles d’intéresser les amateurs de notre histoire locale, et je sais qu’ils sont nombreux. A la fin du billet 1 je faisais allusion au déménagement de la mairie vers les Casernes ; voici les quelques lignes que Relhan lui consacre à la fin de son recueil (tel que)…
 
« 21 novembre 1824. »
« Sous la présidence de M. le vicomte de Narbonne Lara, maire d’Anduze, successeur de feu M. Antoine Salle. Des fonds communs viennent d’être votés par le conseil, pour la restauration des Casernes, dont une aile surtout, celle du couchant, avoit été gravement endommagée par la chute du temple de 1811*. »
« 15 mai 1825 »
« Le conseil municipal approuve les plans, devis et détails estimatifs des ouvrages nécessaires pour la restauration susmentionnée, à commencer par l’aile du couchant, dite du Luxembourg, où les réparations deviennent de jour en jour plus urgentes. »
« Une bonne partie des pièces dont se compose la dite aile, sont affectées à divers établissements publics en première ligne desquels doit être une nouvelle maison commune, et plus spacieuse, et plus commode que l’ancienne. »
« Session de 1826 »
« Un crédit est ouvert sur le budget à compte des ouvrages qui s’exécutent à l’aile du Luxembourg : l’adjudication de ces ouvrages faite le 12 février, avoit été le 22, approuvée par mr. le Préfet. »
« 21 juin 1826 »
« Des fonds sont votés pour l’ameublement de l’hôtel de ville en construction, qui doit se composer d’une grande salle à gauche en entrant, et de trois pièces moins vastes à droite ; le tout au rez-de-chaussée de la dite aile. »
« 7 janvier 1827 »
« Première séance du conseil municipal dans la nouvelle maison commune : l’ancien local désormais inutile en nature, pour les besoins de la mairie, allait être loué. Lorsque des incidents inattendus sont venus donner aux affaires une tout autre direction. »


A suivre

* Vous vous souvenez que lors de la première construction du grand temple au Plan de Brie, celui-ci s’écroula non encore terminé dans la nuit du 19 au 20 septembre 1811. L’aile des Casernes côté rue du Luxembourg fut la plus touchée par l’effondrement.

Sur cette vieille carte postale datée de 1909 on devine devant l'entrée de la mairie le garde-champêtre avec son tambour : dommage que le photographe n'ait pas eu l'idée de le prendre en gros plan !…

14 avril 2020

Le magnifique héritage de Jean-Antoine Rehlan… 1

Avec ce grand billet je vais commencer à vous parler d’un important ouvrage entièrement manuscrit, daté de 1821, que les différentes municipalités anduziennes qui se sont succédées depuis sa réalisation ont pu miraculeusement conserver, même si, au vu de son état quand je l’ai découvert, cela n’a pas été à priori toujours dans les meilleures conditions…

Sans être le plus ancien il s’agit sans aucun doute pour moi du plus beau fleuron de la bibliothèque d’Anduze, aujourd’hui, et cela à plus d’un titre.
Commençons par la forme puisque ma première préoccupation quand je connus l’existence de ce grand exemplaire unique – format 38 X 25 cm – fut de redonner à son aspect extérieur une présentation digne de l’importance de son contenu. La couverture d’origine du livre était en carton et excessivement usée et abîmée, rendant sa restauration impossible. Par contre les six cent cinquante pages manuscrites intérieures ont gardé toute leur fraîcheur, sans aucun doute grâce à la qualité du papier-chiffon utilisé, avec une épaisseur suffisante pour supporter la plume d’oie recto-verso.
J’ai donc demandé à notre relieur d’art d’Anduze, le sympathique Jean-Luc Gonzalez, de s’occuper du malade ; ce qu’il a fait avec la compétence et l’amour du métier qu’on lui connaît pour un beau résultat tout en cuir et en sobriété.
 

Bien entendu ce qui fait l’essentiel du livre c’est le fond. Son titre, un peu long, a le mérite de nous mettre immédiatement au cœur du sujet : « Recueil de documens, concernant le bâtiment qui sert dans Anduze d’hôtel-de-ville et de presbytère ». L’auteur, qui n’avait signé qu’avec ses initiales J.A.R., m’est longtemps resté inconnu avant de découvrir son identité par hasard dans une relecture sommaire de la « Notice sur la ville d’Anduze et ses environs » du docteur Viguier, publiée en 1823. Celui-ci cite en renvois une partie de ses sources dont ce recueil, précisant qu’il se trouve à la mairie, laissé par son créateur, un certain Relhan.
Plus prêt de nous c’est André Chastand, ancien maire d’Anduze (1945 - 1947), qui évoque cet homme dans un chapitre de son « Histoire d’Anduze » de 1952 où il raconte les imbroglios à la fois urbanistiques, juridiques, consulaires, religieux concernant cette « maison contentieuse » et qui durèrent plusieurs siècles !… Il lui rend d’ailleurs hommage à la fin de son livre : « Jean-Antoine Relhan, maire en 1793, poète, écrivain et latiniste distingué ».

Ceux qui connaissent Anduze et son histoire savent que le bâtiment important dont il est question se trouve au niveau du côté bas de la place de la République, anciennement place de l’église, plus anciennement place Saint-Etienne, plus anciennement encore place du cimetière… Un quartier haut qui fut le premier centre historique de la cité, bien avant celui de la place Couverte.
Rehaussé et transformé en locaux commerciaux et appartements de façon pas très heureuse dans les années 1990, l’ensemble du bloc de la « Maison commune » est encore reconnaissable grâce à l’ancienne grande porte d’entrée en pierres taillées conservée. Sur une autre façade, 1590 est gravé au-dessous du blason de la ville, lui-même martelé à la Révolution mais dont on devine toujours les trois tours.

Quand Jean-Antoine Relhan commence l’énorme travail de recherche pour son ouvrage, nous sommes donc en 1821 et il a accès en mairie (encore place de la République) à toutes sortes d’archives ; dans ses écrits il consacre d’ailleurs une page intéressante sur ces « Archives de la commune » :
« Ces archives furent commencées en 1546 ; au moyen d’un grand coffre à 4 clés, placé dans la maison consulaire. Les actes latins qui s’y trouvaient et dont il ne reste aujourd’hui qu’un très petit nombre, furent traduits en français vers la fin du dix septième siècle.
« Le vieux coffre cessa de servir en 1695, que les papiers furent transportés chez le greffier de la ville, comme il est dit au paragraphe 1815 ci devant.
« Après avoir resté près d’un siècle chez le susdit greffier ou ses successeurs, les dites archives seront transférées de nouveau dans l’hôtel-de-ville, dès les premières années de la Révolution.
« Aux dernières réparations du dit hôtel-de-ville, dont il est parlé paragraphes 2725-2727 ci-devant, il a été fait un inventaire général des registres et papiers de la commune, tant anciens que modernes, et Mr. Coulomb-Roquiers, secrétaire en chef, les a arrangés d’une manière qui facilite singulièrement toutes les recherches.
« L’on y conserve en un même paquet, le registre particulier d’actes notariés découverts paragraphe 2720, et celui qui contient un extrait sommaire en français des actes latins dont il est parlé au commencement du présent article. »


Raconter l’ancien hôtel-de-ville d’Anduze et son pâté de maisons c’est être au cœur de notre histoire locale. D’autant que leurs vieux murs ont abrité durant des siècles presque toutes les institutions – à tour de rôle mais aussi ensemble pour certaines – qui participèrent à la vie publique, politique, sociale et religieuse du Moyen-âge au dix neuvième siècle.
Si le livre est daté de 1821 il n’en demeure pas moins que son auteur avait pris la liberté de le continuer bien au-delà, reprenant son manuscrit pour y ajouter quelques chapitres en fonction de l’actualité et du résultat de nouvelles recherches. C’est pour cela que nous y trouvons des informations concernant la construction du grand temple, mais aussi sur le déménagement de la mairie dans l’une des ailes des anciennes casernes…

A suivre