C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

24 novembre 2014

Anduze au Moyen-âge - IV


Les Bernard et Bermond d’Anduze et Sauve (suite)

Bernard II, devenu veuf, s’est remarié en 1013 avec Garsinde, vicomtesse de Béziers et Agde, veuve du comte de Carcassonne Raimond-Roger. De Raimond-Roger elle avait deux fils : Guillaume qui devint comte de Carcassonne et Pierre qui eut Béziers et Agde. C’est une fille de ce dernier, Ermengarde, qui apportera l’ensemble de cet héritage au vicomte de Nîmes Raimond-Bernard Trencavel. Bernard II et Garsinde eurent encore deux autres fils ; l’un, Raimond, mourra sans postérité et l’autre fut destiné à la seigneurie de Sauve, le futur Pierre-Bermond I. En attendant sa majorité, Bernard II continua bien entendu à gérer l’ensemble des domaines avec Almérade qui avait pour lot Anduze, Barre, Portes et Peyremale.
Barre contrôlait la Vallée Française ; Portes, sur son col, surveillait la « voie Régordane » menant de Nîmes au Puy dont, rappelons-le, les évêques étaient respectivement les frères Géraud et Frédol.
Quant à Peyremale, non loin de Portes, son château contrôlait la Haute Cèze et se trouvait dans le diocèse d’Uzès ; la région, notamment vers Génolhac, recelait aussi du plomb argentifère...

Il va de soi que circuler au pied de ces places avec des marchandises impliquait l’acquittement d’un péage destiné à l’entretien des routes et leur sécurité, ce qui devait laisser une bonne marge pour le seigneur du lieu, à voir leur attachement à cette fiscalité. Certains voudront même en abuser ! C’est sous Bernard II que Sauve prend de l’importance comme point de convergence des échanges commerciaux par les vallées trans-cévenoles. Au Sud, malgré l’alliance avec la baronnie de Lunel, son influence directe s’arrêtait à Sommières et ce n’est peut-être pas non plus une coïncidence s’il y reconstruit en 1024 la forteresse wisigothique.
Mais ce personnage riche, maître ou suzerain de nombreuses seigneuries, descendant présumé d’une lignée de seigneurs indépendants remontant, pourquoi pas, aux temps des rois de Tolède, est tout simplement Bernard d’Anduze face à tous ces vicomtes, comtes et marquis qu’il côtoie... Cela ne manque-t-il pas d’un peu de panache pour son épouse Garsinde, d’illustre famille, et pour ses enfants aussi ?

C’est alors que, dans un acte notifiant sa généreuse donation à une église, l'on voit Bernard d’Anduze qualifié de « Marchio », marquis d’Anduze ! Et le Dr Paulet de nous expliquer que c’est bien normal puisque ses terres sont une « Marche » aux confins de celles de Maguelone... Bien mince justification d’autant plus que Maguelone n’était même pas encore fief pontifical, ou alors le titre est fort déprécié depuis sa définition Carolingienne.
En fait il y a encore à ce moment un titre de marquis de Gothie, mais porté par le comte de Rouergue. La fierté de Bernard d’Anduze ne devait pas trop s’accommoder de cette décoration factice quand la gloire de ses propres ancêtres pouvait lui en fournir de moins dorées peut-être mais plus authentiques.
En effet, en octobre 1020, son fils Géraud étant devenu évêque de Nîmes, il lui fit donation, ainsi qu’à sa cathédrale et conjointement avec ses deux autres fils Frédol et Almérade, d’un domaine probablement hérité de sa première épouse Ermengarde. Dans l’acte, auquel assistèrent ses derniers fils Raimond et Bermond avec leur mère Garsinde, Bernard s’y intitule « miles pellitus » soit chevalier à la fourrure, ce que Léon Ménard dans son " Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la Ville de Nîmes " commente ainsi :

« On peut conjecturer par ce titre qu’il avait droit de porter une espèce de fourrure qui pouvait être d’hermine, de vair, de martre zibeline ou de quelque autre peau rare et recherchée, et qui devait marquer le degré de chevalerie le plus éminent. C’est ainsi que les rois Wisigoths portaient autrefois ces sortes de fourrures, ce qui leur faisait donner, comme l’a fait Sidoine Apollinaire, le titre de Princeps Pellitus ».

Voilà qui laisse à penser que les seigneurs d’Anduze étaient toujours habités par le souvenir des traditions wisigothiques. Ce n’est certes pas une preuve de cette origine mais un bon indice de plus.
Ce qualificatif devait plaire dans la famille car certains vont le garder comme patronyme : un peu plus tard quand il apparaît que le seigneur d’Anduze est co-seigneur d’Alais, l’autre co-seigneur s’appelle Raimond Pelet... Nous retrouverons les descendants de ce dernier à Alais jusqu’au début du XIVème siècle ; tous des « Pelet », Raimond, Bernard, Bermond, etc., et toujours co-seigneurs avec Anduze jusqu’en 1243. (voir aussi l'excellent ouvrage du grand spécialiste de la fin de l'Antiquité et du Haut Moyen-âge, André Bonnery, " La Septimanie au regard de l'Histoire " qui aborde ce sujet. Phil Gaussent).

Mais nous n’en avons pas fini avec les titres de Bernard II car le Dr Paulet relate une autre donation en 1024 à l’église d’Agde faite sans doute pour plaire à sa femme qui en était vicomtesse ; et l’acte porte : « Consilio et voluntate domini principis Bernardi de Andusia...». Et notre sympathique docteur lui donne aussitôt les titres de « seigneur et prince d’Anduze ». Il semble plus raisonnable de traduire « premier seigneur d’Anduze », sachant surtout qu’il avait alors associé son fils Almérade à la seigneurie. C’est aussi l’avis du Dr Viguier.
Cependant c’est à tort que nos auteurs se plaisent à monter en épingle cette anecdote, car le terme de prince n’était pas alors un titre avec la signification précise que nos rois lui donneront plus tard :
En ces temps, un domaine transmis héréditairement dans une famille depuis très longtemps, avant l’instauration de l’autorité Franque et qui avait échappé à la conquête, était appelé un « alleu ». C’était un domaine en pleine propriété, indépendant de toute suzeraineté officielle et donc non soumis aux impôts et redevances. Et souvent en effet, le seigneur s’en intitulait lui-même le prince, ce qui ne lui donnait d’autres prérogatives que sa seule satisfaction d’amour-propre ; mais il traduisait une indépendance réelle.

Anduze remplissait sans aucun doute les conditions d’un alleu et le comportement de ses seigneurs le confirme assez. Il y avait naturellement beaucoup de « terres allodiales » dans l’ancienne Septimanie et que l’on retrouve fréquemment mentionnées dans les actes de donation ou de vente de l’époque. Ces derniers alleux ne sont souvent que de petites propriétés résultant de partages successifs selon les principes des lois romano-wisigothiques toujours en vigueur dans le Midi. Ces principes assez respectés chez les paysans libres conduisaient bien sûr à l’éparpillement du patrimoine ; aussi les maisons seigneuriales évitaient ce grave inconvénient en usant d'un autre principe de ces lois : le droit absolu du chef de famille de distribuer par testament ses biens fonciers et financiers (dot pour les filles le plus souvent) assorti de clauses de substitution en cas de décès sans descendance d’un héritier. De la sorte l’ensemble des domaines ou seigneuries restait sous l’autorité des plus aptes à maintenir la puissance et l’indépendance du clan.

Ecrites ou non, ces dispositions ont toujours présidé à l’histoire de la Maison d’Anduze et Sauve comme on va le voir.

Pierre Gaussent - A suivre.

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