C'est le passé et le présent qui se mélangent pour former la passionnante histoire culturelle de notre antique cité, tournée irrémédiablement vers l'avenir…
Ces "billets", pour amoureux d'Anduze, n'en sont que quelques modestes reflets.

17 décembre 2014

Anduze au Moyen-âge - VI

Un siècle et demi de domination bicéphale (suite)

Bernard III d’Anduze eut de sa première épouse, Marie, selon le Dr Paulet, deux fils : Bernard, son héritier vers 1135, et Raimond qui eut probablement Sybille pour épouse. Et de Sybille se réclameront deux fils, Bernard-Bermond et Pierre dont on reparlera plus tard. Bernard III d’Anduze, qui était donc co-seigneur d’Alais avec Raimond Pelet, était aussi demi-frère de Guilhem V seigneur de Montpellier, et leur politique était étroitement concertée. L’avis de Bernard III devait être très écouté car on le voit souvent témoin ou président de plaids dans la région. Les comtes de Toulouse s’en prenant régulièrement à l’abbaye de St Gilles, le pape Calixte II écrivit en 1120 à Bernard III pour l’exhorter à en prendre la défense. Il devait donc bien le savoir peu en accord avec son suzerain dans ce genre d’entreprises. En 1123 c’est la guerre ouverte pour le partage de la Provence entre le comte de Toulouse Alphonse Jourdain, fils de Raymond IV de St Gilles et Raimond Berenger III comte de Barcelone ; elle se termine par un traité en 1125 auquel participe Bernard d’Anduze. L’un des enjeux était la place forte de Beaucaire et la « Terre d’Argence ». Celle-ci est un riche territoire compris entre le Rhône au Sud et à l’Est, jusqu’au Gardon au Nord et Jonquières à l’Ouest. Le comte de Toulouse en garda la propriété et les confia en fief à Bernard III d’Anduze à la place du vicomte Aymeric II de Narbonne, un peu trop ami du Catalan.

La mort de Raimond Beranger III en 1131 ne va pas ralentir la lutte d’influence entre Barcelone et Toulouse sur les domaines méditerranéens et Alphonse-Jourdain, là, va se heurter à des intérêts locaux où la Maison d’Anduze devra mener un jeu subtil entre ses alliances et sa fidélité au comte de Toulouse.
D’abord à Melgueil, le comte, décédé en 1132, laisse pour seule héritière sa fille Béatrix de neuf ans ; mais il a prévu qu’en cas de disparition de celle-ci avant son mariage, le comté... et sa monnaie, reviendrait au comte de Toulouse. On voit aussitôt Guilhem VI, nouveau seigneur de Montpellier, annoncer les fiançailles de Béatrix dont il est un des tuteurs et l’oncle, avec un fils de Barcelone, Bérenger-Raimond Ier comte de Provence !... Patronné par le pape Innocent II, le mariage eut lieu trois ans plus tard sans qu’Alphonse Jourdain puisse faire autre chose que ruminer sa rancune. Histoire à suivre...
Ensuite à Narbonne autre décès, celui du vicomte Aymerie II en 1134 qui, déjà veuf depuis cinq ans, ne laisse que deux filles. Voilà une bonne occasion de ré-affirmer sa suzeraineté pour Alphonse-Jourdain dont le père s’était intitulé « duc de Narbonne ».

Or si l’une des filles, Ermessinde, mariée en Espagne, a cédé ses droits à sa sœur Ermengarde, celle-ci va s’opposer farouchement avec une étonnante énergie à la mainmise du comte de Toulouse, au besoin elle-même à la tête de ses chevaliers et soutenue bien sûr en sous-main par Barcelone. A dix-huit ou vingt ans seulement, cette jeune veuve a besoin d’un homme solide à ses côtés et c’est là que nous retrouvons Bernard-Bermond d’Anduze, le fils de Sybille et Raimond, qu’elle prend pour époux en 1145. Dans son ouvrage " Les comtes de Toulouse " Jean-Luc Déjean est sévère avec lui : « Ce sera un falot vicomte-consort, mais sa parenté, ses alliances sont à Montpellier...». Il est vrai qu’il devait être difficile de briller dans le sillage d’une telle femme, adulée à Narbonne et estimée par le roi Louis VII lui-même. Pourtant la famille d’Anduze avait du poids, et c’est Pierre, un de ses cadets qui devint en 1150 l’archevêque de Narbonne. Pour le Dr. Paulet, il est fils de Raimond et frère de Bernard-Bermond, mais cela est très improbable : Pierre (de Situlvero), précédemment abbé de Saint-Gilles, avait succédé en 1124 à l’abbé Hugues ; de plus, on l’entendit en 1151 affirmer sous serment avoir été témoin en 1095 d’engagement du comte de Toulouse.
Ne serait-il pas, alors, l’ancien Hospitalier de Jérusalem de 1112 à Saint-Gilles et fils de … Raimond 1er d’Anduze et Ermangarde de Montpellier ?…

Veuve, la vicomtesse Ermengarde terminera sa vie à 70 ans retirée au couvent après avoir laissé les rênes au fils de sa sœur Ermessinde, l’espagnol Aymery de Lara, ce qui ne plaira pas du tout à Toulouse.
Mais nous avons laissé quelques lignes plus haut une « histoire à suivre » : En 1144, Béatrix de Melgueil perd son mari Bérenger-Raimond dont elle a un jeune fils. La régence va être assurée par le comte de Barcelone, entre-temps devenu aussi roi d’Aragon...
Libre, Béatrix a vingt ans à peine et est, elle aussi, une femme qui entend ne pas laisser à n’importe qui les destinées de Melgueil. Alors elle épouse Bernard Pelet, co-seigneur d’Alais qui devient donc comte de Melgueil, du moins le nomme-t-on ainsi ; c’est un homme de caractère. La Maison d’Anduze n’y est sûrement pas étrangère. L’autre co-seigneur d’Alais est à ce moment Bernard IV d’Anduze.

Bernard IV d’Anduze, né vers 1100, aurait eu pour première épouse une sœur de Guillaume de Calmont, évêque de Cahors. Celui-ci, issu du château de Calmont d’Olt, dominant Espalion, a fondé à 7 km au nord, en 1160, l’abbaye Cistercienne de Bonneval, largement dotée par la famille d’Anduze-Sauve.
Les fils de ce premier mariage sont : Bernard, l’aîné, futur Bernard V, suivi probablement de Frédol et de Bermond, qui deviendront respectivement évêques de Fréjus et de Sisteron en 1164 et 1176, et puis Bertrand.
Bertrand a épousé, vers 1150, Adélaïde de Roquefeuil, seule héritière de cette baronnie dont les terres s’étendaient du nord à l’ouest du Vigan. Leur fils aîné Raimond assurera la continuité de cette maison tandis qu’une destinée imprévue attend Bernard son cadet.
Or il se trouve que certains actes de diverses sources témoignent de l’existence d’un autre frère de Bernard V et de Bertrand, qui pourrait bien être Pierre-Bermond V de Sauve, si surprenant que cela puisse paraître !
Il s’agit en fait d’un demi-frère dont le père ne peut être que Bernard IV ayant épousé en seconde noce une sœur de Pierre-Bermond IV de Sauve qui ne pouvait alors espérer d’héritier direct. C’est une hypothèse.
D’ailleurs, on voit ce dernier se faire moine …à Bonneval, en 1161, probablement dès que son neveu fut en âge d’assumer sa succession sur Sauve, qui ainsi n’échappait pas à l’orbite anduzienne.
Ce mariage n’était peut-être pas du goût de tout le monde à Sauve, par exemple d’Elzéar, frère du seigneur, qui en 1154 passa dans l’orbite des vicomtes de Nîmes en recevant en fief le château de Bernis. Bernard V d’Anduze ne dut succéder à son père que tardivement, vers 1160, mais se voit confronté en 1164 à de sérieuses plaintes auprès du roi pour d’abusifs péages aux portes d’Alès, imposés de concert avec le co-seigneur, Bernard Pelet comte de Melgueil. Contrairement à celui-ci Bernard V y renonça et aussitôt, peut-être pour raisons de santé, se retira …à Bonneval, laissant son tout jeune fils Pierre-Bernard sous la tutelle de Guilhem VII de Montpellier. Or Pierre-Bernard rejoint son père à Bonneval l’année suivante et tous deux semblent décédés avant 1168.

C’est ainsi que, contre toute attente, Bertrand, dès 1165, doit prendre en mains la seigneurie d’Anduze et ses terres vassales sous le nom dynastique de Bernard VI, tout en restant « Bertrandus de Andusia » dans certains actes privés.
En effet, c’est à « Bernard d’Anduze et son épouse Adélaïde de Roquefeuil » qu’en 1169 Guilhem VII de Montpellier, l’ami de la famille, confie sa fille Guillemette pour qu’elle devienne en temps voulu l’épouse de leur fils Raimond de Roquefeuil.
En fait le seigneur de Montpellier, toujours méfiant quand un comte de Toulouse s’approche trop de Melgueil, cherchait à resserrer ses alliances. Il venait aussi de marier son autre fille, Sybille, avec Raimond-Gaucelm III de Lunel, dont il fera même le tuteur de son fils, avant de décéder en 1172.
De son côté, Bernard Pelet, intraitable dans l’affaire des péages d’Alès, est mort subitement en 1170, laissant la comtesse Béatrix en grand besoin d’appui face à l’appétit toulousain pour la fameuse monnaie de Melgueil.
Alors aussitôt Béatrix donne leur fille Ermessinde en mariage à Pierre-Bermond V de Sauve.
Un garçon est né de cette union prometteuse et pourtant vite écourtée : en effet, selon les historiens, Pierre-Bermond V n’était plus de ce monde courant 1172.
Et l’on voit, en décembre de la même année, Ermessinde jeune veuve, remariée avec le futur Raimond VI de Toulouse, 16 ans, dont le père mettait ainsi la main sur le comté de Melgueil au bout de 40 ans d’espérance toujours différée. Car Bertrand-Pelet, le fils qui aurait dû succéder, avait été entre-temps déshérité par sa mère Béatrix à qui il avait gravement déplu, et n’aura plus que la co-seigneurie d’Alès.
Plus tard, l’enfant d’Ermessinde aurait pu devenir comte de Melgueil et même Baron de Sauve, mais il s’est éteint en bas âge. Enfin, Ermessinde, la première des cinq épouses de Raimond VI de Toulouse, meurt en septembre 1176 au château de Malaucène, loin dans le marquisat de Provence.

N’est-elle pas bien étrange cette série de disparitions en si peu de temps dans cette même famille ? Or le mystère s’épaissit encore quand on apprend que Pierre-Bermond V aurait été vu dans les années 1180 moine au monastère de Mazan, dans les monts du Vivarais… S’il n’y a pas eu confusion du témoin ou vice d’interprétation, alors on sent rétrospectivement planer les silences d’une « Raison d’Etat »…

Pierre Gaussent - A suivre

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